Universités : … maintenant comme dans la rue ?
Universités : … maintenant comme dans la rue ?
On a été bien aise d’entendre le président de la République, le Premier Ministre, et beaucoup d’autres membres de l’élite dirigeante et loquace, vanter … « rétroactivement » les mérites de Samuel Paty. Et rappeler, après que le mal fut fait, les valeurs de la République malmenées comme … on le constate avec d’itératifs regrets. Et la nécessité de garantir la liberté intellectuelle … que l’on programme pour demain.
En passant peu ou prou … (ou moins encore) sous silence, les initiatives prises par certains administrateurs ( qui osèrent demander des comptes au professeur Paty), comme le « lâchage » de la victime par certains de ses collègues (qui osèrent ajouter leurs critiques aux attaques des ennemis de la liberté d’expression) .
On s’attendait en tous cas à ce que les universitaires soient, eux au moins, protégés de ces comportements. C’est que traditionnellement, les enseignants-chercheurs jouissent d’une liberté totale d’expression, traitée comme une liberté de valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel.
Eh bien non !
Il semblerait au contraire que certains universitaires d’aujourd’hui ( ce qui n’était pas le cas il y a quelques années) ont la même « mentalité » et les mêmes réflexes que les collègues de S. Paty et … que le commun des mortels : - « pas de vagues » ; et, pour mieux aller dans le sens du vent, - « on en rajoute » (1).
Qu’on en juge :
Un professeur d’une faculté de province utilisa naguère, dans un de ses cours, une formule de style. Selon laquelle certaines religions se transmettent comme les maladies sexuellement transmissibles, avec comme exemples l’Islam et le Judaïsme (2) .
Evidemment les mêmes que d’habitude, qui ne veulent pas que d’autres qu’eux évoquent telle religion sinon pour s’en réclamer et justifier ce qu’ils en disent ou veulent en faire, ou encore exigent de l’Etat qu’il modifie ses lois en conséquence, se mirent en branle. Et trouvèrent dans la presse des hauts parleurs complaisants pour dénoncer le sacrilège. Ils portèrent plainte avec constitution de partie civile, ce qui devait entraîner une convocation du professeur devant un juge d’instruction … en attendant éventuellement pire. Et firent part de leurs argumentaires habituels et de leurs formules connues, aux « responsables » universitaires.
Et comme dans l’affaire Paty, le président de l’université en question, réagit « au quart de tour ».
Pour assurer la « protection » (3) du fonctionnaire ?...
On l’entendit plutôt annoncer que des mesures seront possiblement ou probablement prises contre sa collègue. De leur côté, des collègues n’oublièrent pas de s’offusquer de la formule de style.
Et, pour couronner le tout, une commission de discipline fut réunie, qui infligea une sanction ( dont l’examen de la légalité ne fait pas l’objet de ces lignes) à l’intéressé. Au motif essentiel que l’universitaire aurait tenu des propos … « contraires aux exigences d’objectivité prévues par le code de l’éducation ».
Cette situation ( que certains pourraient trouver surréaliste et … catastrophique ) exige que l’on réfléchisse.
Surtout qu’elle fait irrésistiblement penser, même s’il faut de méfier des comparaisons hâtives, à ce qui se passe dans la rue. Les voyous n’ont plus peur ( on ne parle plus depuis longtemps de « respect ») de la police, institution à laquelle ils réussissent dans les faits, à imposer leur « loi » : les policiers n’osent plus se risquer sur le territoire de ces derniers (sauf à déployer - ponctuellement - des moyens qui n’avaient jadis pas lieu d’être). Et de leur côté, les policiers ont peur. Ont peur de sortir leurs armes quand ils sont roués de coups, en pensant aux réactions prévisibles de la hiérarchie. Peur que l’on s’en prenne à eux et à leurs familles. Peur de leurs femmes. Peur de leurs enfants qui cachent que leurs parents sont des « keufs ».
Les universitaires n’en sont pas loin : Ils n’osent plus dire certaines choses en amphi ou dans les salles de travaux dirigés ; ils n’osent même plus risquer certaines « plaisanteries ». De peur d’y risquer à la fois leur « peau » ou celle de leurs proches. Avec la crainte d’être abandonnés par la hiérarchie. Qui a de fortes chances, si l’on en juge par ce que l’on observe, d’utiliser ses prérogatives dans un sens allant exactement à l’encontre des textes sur la protection (3) et même à l’encontre d’un principe constitutionnel. Autrement dit, non dans le sens de la défense de l’enseignant et de sa liberté d’expression, mais … dans le sens opposé. Comme avec l’utilisation de la procédure disciplinaire, lorsque l’universitaire se refuse à la pratique de l’acte de contrition ou lorsque son éventuelle repentance est jugé inefficace pour avoir une efficacité pédagogique suffisante sur la profession.
Cette situation rend opportun que l’on étudie une réforme de quelques procédures dans l’enseignement supérieur.
Sur la base de ce qu’on observe dorénavant. Avec d’un côté l’action de certains groupes d’étudiants assis dans les travées des amphithéâtres, et d’un autre côté, avec ce qui paraît être une baisse des exigences de certains universitaires concernant leur statut ou portant sur la dignité de leur profession. Tandis que, dans le même temps, des idéologies d’une nouvelle mode se répandent.
Réforme nécessaire dès lors que la mise en œuvre des règles propres à l’enseignement supérieur, au lieu de contribuer à protéger les enseignants, peut avoir / a / désormais pour effet inattendu et paradoxal de porter atteinte à leur liberté d’expression.
Et parce qu’au delà du statut des enseignants, c’est, en plus, la qualité, le niveau et la crédibilité de l’enseignement supérieur français qui sont en danger.
D’où les pistes suivantes à explorer.
1. Réformer la procédure disciplinaire.
En s’inspirant de ce qui a été fait pour les autres ordres d’enseignement, on pourrait transformer les actuels conseils de discipline des universités en commissions administratives consultatives émettant des avis liant ou ne liant pas ( à étudier) le ministre. Ministre qui déciderait alors des sanctions éventuelles. NB. Sanctions cessant d’avoir ce faisant une nature juridictionnelle (les recours étant par voie de conséquence simplifiés, puisqu’ils obéiraient aux règles du recours pour excès de pouvoir).
Ainsi, pourrait-on espérer d’un ministre doté de cette nouvelle compétence, - au moins s’il a un peu de courage, et s’il a un minimum de compréhension de ce que sont les principes français et de ce qu’implique une liberté de valeur constitutionnelle- , qu’il prenne des décisions avec le recul indispensable ; recul qu’il est difficile d’avoir localement dans l’émotion et les pressions de divers ordres.
Et s’il advenait qu’un ministre manifeste la velléité de vouloir (lui aussi, et fût-ce pour d’autres raisons) contrôler ce que disent les professeurs, ou leur dicter une manière de voir ou de dire, ou encore leur imposer des vérités (comme le faisait l’Eglise avant que ne soit créée l’Université pour assurer la liberté intellectuelle et satisfaire aux exigences de la science) il est peu probable (au moins en l’état actuel de ce qui reste des habitudes ou des réflexes) que localement, les enseignants prêtent la main à la réalisation d’une vilénie venue d’en haut.
2. Compléter la mise en œuvre de la « garantie des fonctionnaires ».
Il existe des règles dont la rédaction nous paraît tout à fait satisfaisante (3). Puisqu’elles organisent une riposte contre certains comportements, puisqu’elles prévoient que les fonctionnaires obtiendront réparation du préjudice ( qui peut être un préjudice moral) qu’ils ont subi, puisqu’elles obligent à prendre des mesures visant à empêcher qu’il soit porté atteinte à l’intégrité physique du fonctionnaire. Que dire de plus et de mieux ?
Le problème, c’est que la mise en œuvre de ces règles se trouve entre les mains des administrateurs locaux (nommés ou élus). Et qu’il arrive que ces derniers, comme il vient d’être dit, ne les mettent pas en œuvre. Et qu'il peut arriver qu’ils aient recours à la mise en oeuvre d’autres textes, dont l’objet et la mécanique transforment, un peu comme dans les procédures-« bâillon » (4) , l’universitaire en défendeur.
C’est la raison pour laquelle, il nous paraît nécessaire de ne pas en rester aux termes vagues « la collectivité publique est tenue … ». Et de prévoir que l’agent, « incarnant » la collectivité publique, et devant à ce titre faire ce que les textes lui ordonnent de faire, engagera sa responsabilité « personnelle » (5) lorsqu’il aura négligé de mettre en œuvre ces dispositions.
La perspective de mettre la main à la poche, quand « on » a laissé un collègue se trouver en danger d’être assassiné (a fortiori quand le collègue l’a été), ou quand « on » a tourné la tête quand collègue était « attaqué » pour avoir fait usage de sa liberté constitutionnelle, serait très probablement ( en tous cas, il faut l’expérimenter) de nature à mettre un peu de piquant dans l’exercice de certaines fonctions.
Qui lancera l’affaire ?
Marcel-M. MONIN
m. de conf. hon. des universités
consultant (réforme de l’université)
(1) Ce qui pose problème, car lorsque ce sont des gens de ce genre qui tiennent le haut du pavé, c’est l’institution tout entière qui en souffre.
Ce qui tend incidemment à vérifier que la nature humaine est plus forte que le reste. Et plus forte que le respect des règles attachées ( ou qui étaient attachées hier) au statut d’enseignant chercheur.
( 2) en ce qui nous concerne, nous qui avons dit et fait pire ( v. l’article du Figaro du 17 juin 2005 repris par la revue de FO http://www.forumamislo.net/viewtopic.php?f=12&t=14019 ) nous regrettons évidemment de ne pas avoir pensé à cette figure de style avant le collègue en question.
NDLR. En ce qui concerne les Chrétiens, ce n’est pas loin d’être la même chose. Puisqu’on devient Chrétien par le baptême, et que ce sont encore les parents, qui peu après l’accouchement dans la quasi totalité des cas, confèrent (ou font conférer par un prêtre) cette religion au fruit de leurs relations intimes.
(3) art. 11 de la loi 83 634 du 13 juillet 1983 :
« IV.- La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté.
Lorsqu'elle est informée, par quelque moyen que ce soit, de l'existence d'un risque manifeste d'atteinte grave à l'intégrité physique du fonctionnaire, la collectivité publique prend, sans délai et à titre conservatoire, les mesures d'urgence de nature à faire cesser ce risque et à prévenir la réalisation ou l'aggravation des dommages directement causés par ces faits. Ces mesures sont mises en œuvre pendant la durée strictement nécessaire à la cessation du risque ».
(4) un exemple pour illustrer la notion : https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/03/10/les-chercheurs-face-aux-procedures-baillons_5268629_3232.html
(5) Ce qui ne prive pas d’engager la responsabilité de la collectivité (plus solvable). V. les explications sur la technique de mise en œuvre et des exemples dans la jurisprudence citée dans « Arrêts Fondamentaux du Droit Administratif » (p. 483 et sq.) Ed. Ellipses.
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