V. Nuland, le Faucon déplumé : effondrement de la stratégie américaine en Ukraine et revanche posthume de G.F. Kennan
« Je rejette fermement et intégralement toute conception d’un rôle messianique de l’Amérique dans le monde ; c’est-à-dire que je refuse une image de nous-mêmes comme maîtres et rédempteurs du reste de l’humanité »
George F. Kennan i
Étonnamment, la sous-secrétaire d'État américaine aux Affaires politiques, Victoria Nuland, prend sa retraite du service extérieur.
La démission annoncée ce lundi 4 mars 2024 de Victoria Nulandii, la sous-secrétaire d'Etat américaine pour les Affaires politiques, troisième diplomate la plus haut placée de l’administration Biden, a fait l'effet d'un coup de tonnerre.
Il est bien possible que cet événement signe en même tant que l’effondrement de toute l’architecture de la stratégie américaine en Ukraine vis-à-vis de la Russie une sorte de revanche posthume sur fond de Guerre Froide de toute l'action diplomatique du diplomate George F. Kennan.
Victoria Nuland, "GrannnyWolfNeoCon"
Comme l'explique le diplomate indien M.S. Badrakhumar dans un article publié sur Indian Punchline particulièrement remarquéiii, « une explication simple pourrait être qu'il est regrettable qu'elle n'ait pas été promue au poste de secrétaire adjointe, un poste qu'elle convoitait en 2021 au début de la présidence de Biden, et que Kurt Campbell, le principal conseiller du président Biden pour la Chine, a en revanche récemment obtenu à sa place.
Les éloges appuyés https://www.state.gov/on-the-retirement-of-under-secretary-of-state-for-political-affairs-victoria-nuland/ que le secrétaire d’État Antony Blinken a adressés à Mme Nuland, âgée de 62 ans, pour sa retraite prématurée du service extérieur sont généralement réservés aux obsèques.
Avec le retrait ou la mise à l'écart de V. Nuland le couvercle se referme sur cet héritage de la guerre froide que la Russie représentait pour le service extérieur américain qui avait tendance à avoir des opinions bien arrêtées sur son domaine d’expertise. Le remarquable diplomate spécialiste de la question que fut George F. Kennaniv regrettait souvent que son adhésion à une stratégie d'endiguement ("containment") contre l'Union soviétique, telle que décrite dans son célèbre « Long Telegram » de 5 400 mots alorsqu'il était en poste à l'ambassade américaine à Moscou – suivi d'une deuxième contribution légendaire via un article publié dans Foreign Affairs sous le pseudonyme « X », ait été mal comprise et transformée en un programme militarisé de confrontation avec la Russie.
George F. Kennan
Dès 1948, Kennan commençait à être insatisfait de sa carrière diplomatique et, au cours des cinquante années qu'il vécut après son départ, il fut un critique fréquent de la politique étrangère américaine. Une splendide biographie intitulée A Life Between Worlds, de Frank Costigliolav, dresse le portrait d'un homme doté d'une capacité et d'une ambition extraordinaires dont l'idée de contenir l'Union soviétique (on rappellera ici que George F. Kennan est l'auteur du fameux concept de « politique de containment/endiguement »), si elle abien contribué à déclencher la guerre froide, a aussi conduit le même homme à consacrer sa vie durant le demi-siècle suivant à essayer de l'éteindre.
I- Prémonition et intelligence géopolitique
Toujours prémonitoire, Kennan avait en effet prévenu dans les années 1990 que l’expansion de l’OTAN vers l’est déclencherait une nouvelle guerre froide avec la Russie. Dans ce fameux "câble" envoyé en août 1948vi en tant que directeur de la planification politique, Kennan abordait la grande question qui prévaut encore aujourd’hui : dans le cas d’un effondrement soviétique, les États-Unis devraient-ils privilégier le maintien de l’intégrité territoriale de l’empire soviétique ou s’efforcer de le diviser ?
Kennan expliquait et suggérait que tout en prônant l'indépendance de l'Ukraine (déjà !) les États-Unis devraient être extrêmement prudents. Conscient du pouvoir que représentait l’identité ukrainienne, il conseillait fermement à Washington de ne pas s’opposer à une Ukraine indépendante, mais de faire très attention à ne pas être considéré comme la puissance qui la défendait, et ce compte tenu des sensibilités d'une Russie très chatouilleuse et prompte à réagir sur ce domaine sensible et réservé.
Il ne se trompait pas.
II- Un retournement de situation majeur
Imaginons aujourd'hui un seul instant, au mois de mars 2024, en lisant les propos de George F. Kennan cités ci-après qu'ils soient ceux d'un diplomate russe et qu'en lieu et place des mots « Etats-Unis » et « soviétique », vous lisiez « Russie ». Le résultat serait surprenant mais assez réaliste et ferait écho à la situation actuelle dont l'Ukraine est le Trou Noir qui engloutit tout ce qui passe à sa portée.
« Nous avons ici une force politique fanatiquement attachée à l’idée qu’il ne peut y avoir de modus vivendi permanent avec les États-Unis, qu’il est souhaitable et nécessaire que l’harmonie interne de notre société soit brisée, notre mode de vie détruit, l’autorité internationale de notre État anéantie, si la prédominance et la sécurité du pouvoir soviétique doivent être assurées. » vii
Comme l'explique le diplomate et fin analyste indien M.S. Badrakhumar, « À mon avis, la décision de Victoria Nuland de jeter l’éponge en tant que diplomate de carrière pourrait s’inscrire dans une matrice similaire à la désillusion de Kennan de voir ses conseils ignorés par l’administration Truman. Cela nécessite quelques explications.
L’impression générale donnée par V. Nuland est celle d’un « faucon » invétéré et russophobe, animé par l’idéologie néoconservatrice et l’exception américaine qui ont précipité l’intervention russe en Ukraine et sont en grande partie responsables de l’alimentation de la guerre en cours. Il est bien entendu indéniable que V.Nuland a joué un rôle clé dans le changement de régime survenu à Kiev comme dans le déroulé des événements qui ont conduit l'Ukraine à la situation actuelle.
Mais ce qui est enfoui sous les décombres et presque oublié aujourd’hui, c’est que V.Nuland a également promu les accords de Minskviii comme moyen de sortir de l’impasse dans le Donbass où des violences explosives ont éclaté en 2014 alors que les séparatistes russes, soutenus par l’arrière-pays russe, rejetaient l’usurpation artificielle du pouvoir à Kiev par les forces ultranationalistes ukrainiennes. »
La précision est plus que notable.
III- Une Proconsule déguisée
« Il ne fait aucun doute qu'après l'établissement du nouveau gouvernement en Ukraine, V.Nuland est devenue l'un des principaux responsables de la politique du pays, en particulier des processus qui ont eu lieu entre Kiev et Moscou. V.Nuland a été très active s'agissant des accords de Minsk et a rencontré à plusieurs reprises début 2016 le conseiller présidentiel russe de l'époque, Vladislav Surkov (le véritable Mage du Kremlin de Giuliano da Empoli) ,ix et a discuté des plans pour la mise en œuvre de la partie politique des accords concernant le statut spécial du Donbass au sein de l'Ukraine.
Cependant, une fois Donald Trump est arrivé au pouvoir en janvier 2017, l’élan a été perdu, puisque le célèbre guerrier du froid Kurt Volkerx a été nommé envoyé spécial pour l’Ukraine pour remplacer Nuland qui a quitté son poste gouvernemental. Deux ans plus tard, Volker a également démissionné de son rôle d'envoyé après avoir été pris au piège dans le scandale lié à l'Ukraine qui a finalement consumé la présidence de Trump.
Quoi qu’il en soit, à l’approche de l’élection présidentielle de novembre 2019 (que Biden a remportée), V.Nuland a déclaré publiquement qu’il serait nécessaire de reprendre les travaux sur les accords de Minsk. Pour la citer : « Je pense que nous devrions entamer des négociations sérieuses sur la mise en œuvre des accords de Minsk… J’espère que nous serons invités à devenir partie prenante à ce processus si et quand les États-Unis recommenceront à considérer l’Ukraine comme un engagement important pour le l'avenir de la démocratie. J’espère que cela se produira après nos élections de novembre 2019. »
V. Nuland a également souligné qu’elle ne connaissait aucun autre moyen d’amener la Russie à se retirer d’Ukraine que le document de Minsk, qui après tout est signé par le président Poutine lui-même. Cependant, en l’occurrence, la politique russe de Biden a suivi une trajectoire totalement différente.
(Il convient d'ajouter ici, précision de ma part, que lesdits accords de Minsk ont malgré tout été soigneusement sabotés par les Etat-Unis, l'OTAN et l'UExi, comme l’ont finalement confirmé Madame Angela Merkel lors d’un entretien au journal die Zeit le 7 décembre 2022,
et François Hollande lors d’un entretien au media The KYIV Indépendant en date du 28 décembre 2022
Alors qu'ils avaient été garantis par la France et l'Allemagne,les accords de Minsk se sont finalement révélés comme un trompe-l'oeil, au grand dam de la Russie qui a compris que contrairement aux usages elle avait été littéralement victime d'une véritable tromperie diplomatique . Alors que s’ils avaient été respectés, dès 2014, à commencer par le cessez le feu, côté Russe comme côté occidental, l’autonomie du Donbass pouvait être établie durablement au sein de l’Ukraine, et le Donbass comme l’Ukraine, dans son ensemble, seraient aujourd’hui en paix.)
IV- Explication du changement de trajectoire de la politique russe de Biden
La seule explication plausible au changement de trajectoire de la politique de J. Biden serait qu'en tant que fervent partisan du transatlantisme tout au long de sa carrière, Biden a donné la priorité au renversement de la négligence bienveillante de Trump à l'égard du système d'alliance de l'OTAN (qui était également crucial pour sa stratégie d'endiguement à l'égard de la Chine) et qu'il devenait tactiquement avantageux de donner à la Russie une image d’ennemi (et donc de faire de son dirigeant un véritable Croquemitaine) pour imprimer un nouvel élan au leadership transatlantique des États-Unis, lequel s’était affaibli sous Trump.
Dans le même temps, l’inclusion des candidats d’Hillary Clinton dans l’équipe de politique étrangère de Biden à des postes clés signifiait également l’injection d’une forte dose de russophobie dans la politique américaine. Le reste appartient à l’histoire.
Il suffit désormais de dire que V.Nuland a joué un rôle important dans la vie de l’Ukraine et, comme l'écrit M. Badrakhumar, nous ne pouvons qu’en deviner l’ampleur.
En effet, elle a publiquement célébré le sabotage du gazoduc Nord Stream, qui a brisé le cordon ombilical qui liait l’Allemagne à une alliance géopolitique avec la Russie. Le mois dernier, après une visite soudaine à Kiev, Nuland a promis de mauvaises surprises au Kremlin dans la guerre en Ukraine.
On rappellera que tous les pays européens concernés ont clôturé leurs enquêtes les uns après les autres, s'efforçant de « ne rien trouver » et de ne surtout pas soupçonner outrageusement et sans la moindre preuve possible l'unique Cui Bono outre-atlantique, comme si dans le fond l'explosion était imputable à une fuite de gaz et à un robinet mal fermé.xii
Était-ce à l’idée d’un déploiement de combat en Ukraine par les pays de l’OTAN à laquelle elle faisait référence ? Il n'y a pas de réponses faciles. Eh bien, du moins tardivement, la Maison Blanche est intervenue à deux reprises pour affirmer que l’envoi de troupes américaines sur le terrain en Ukraine était une zone interdite.
Le fait est qu’il est tout à fait concevable que le départ de V.Nuland puisse être le reflet de l’effondrement de toute l’architecture de la stratégie américaine en Ukraine, qu’elle a conçue. Les "carottes sont cuites" et la politique ukrainienne sent de plus en plus le brûlé en cuisine.
V- Une recomposition discrète du jeu diplomatique entre Etat-Unis et Russie avec une Europe et une Ukraine embourbées entre aveuglement du désastre militaire et folie belliciste macronienne
La porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a déclaré avec insistance que cette évolution était uniquement imputable à l'échec de la politique anti-russe des États-Unis : « Ils [la partie américaine] ne vous en diront pas la raison. Mais c’est simple : l’échec de la politique anti-russe de l’administration Biden. La russophobie, proposée par Victoria Nuland comme principal concept de politique étrangère américaine, fait couler les démocrates comme une pierre. Eh bien, comme ils sont déjà en bas, il ne faut pas les laisser remonter.xiii »
Tout bien considéré, la remarque intrigante du chef du renseignement extérieur russe Sergueï Narychkine promettant à son homologue de la CIA, William Burns qu'il respecterait scrupuleusement leur accord mutuel de ne permettre aucune fuite sur leur communication, pourrait donc avoir un sens supplémentaire. « Nous avons convenu d'un commun accord de ne pas permettre de fuites non seulement sur la nature, sur les questions qui sont discutées ou seront discutées lors de nos réunions en face-à-face, lors de conversations téléphoniques, mais aussi sur leur déroulement . Je maintiens cet accord », a déclaré Narychkinexiv.
Ce pourrait être une coïncidence si Naryshkin a envoyé un message à Burns lors d'une journée tumultueuse marquant la nouvelle de la démission de Victoria Nuland – et dans la semaine qui a suivi l'avertissement nucléaire de V. Poutine aux États-Unis. Mais il serait extraordinaire qu’un homme politique chevronné et chef du renseignement s’exprime par hasard.
VI- Un changement de décor a lieu en coulisses alors que sur scène M. Macron continue son pitoyable et dangereux batelage
Passée sous silence sinon complètement ignorée par les media européens et français, ce qui n'a rien de surprenant, la déclaration effectuée par M. S. Lavrov lors d'une conférence diplomatique prononcée à Antalya (Turquie) le 1er mars 2024 ouvre de nouvelles perspectives.
Le secrétaire américain à la Défense Lloydd Austin, en affirmant que l'OTAN et la Russie pourraient finir par s'affronter en cas de défaite de l'Ukraine, a prouvé que les États-Unis avaient un plan pour cela, a déclaré le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov lors d'une conférence diplomatique à Antalya.
"Le sens de cette déclaration est que si l'Ukraine perd, l'OTAN devra s'attaquer à la Russie. Dans un lapsus freudien, il a laissé échapper ce qu'ils avaient en tête. Avant cela, tout le monde disait : nous ne pouvons pas laisser l'Ukraine perdre, parce que [ Le président russe Vladimir] Poutine ne s'arrêtera pas là et prendra le contrôle des pays baltes, de la Pologne, de la Finlande. Mais il s'avère que, selon la déclaration ouverte et sans ambiguïté de M. Austin, c'est l'inverse. Nous n'avons pas de tels projets et ne pouvons pas les avoir, mais les Américains les ont", a déclaré le ministre.
Selon Lavrov, l'Europe est actuellement la principale victime de la politique américaine consistant à "entraîner l'Ukraine dans l'OTAN".
"Toutes les principales dépenses ont été transférées vers l'Europe. Les gens vivent de plus en plus mal, les prix des ressources énergétiques ont grimpé en flèche par rapport à ce qu'ils auraient pu être si les Américains n'avaient pas fait exploser les gazoducs Nord Stream", a déclaré le ministre.
Il a déclaré que la situation autour de l’Ukraine avait été conçue par Washington pour s’assurer que l’Union européenne ne devienne pas un rival trop puissant pour l’économie américaine.
"Et cet objectif a été atteint. L'Europe n'est plus du tout un concurrent des Etats-Unis. Toutes les principales entreprises et industries manufacturières se déplacent vers les Etats-Unis, où les conditions sont complètement différentes et où l'énergie est beaucoup moins chère", a déclaré M. Lavrov.
Austin avait déclaré plus tôt qu'il pensait que "l'OTAN se battrait contre la Russie" si l'Ukraine était vaincue. Le secrétaire américain à la Défense a fait cette déclaration lors d'une audition de la commission des services armés de la Chambre des représentants.
VII- Le faucon désormais déplumé
Il n'y a qu'un individu sénile et cynique tel que J. Biden pour déclarer à propos de Victoria Nuland :
« Le mandat de (Vic)Toria couronne trois décennies et demie de service public remarquable sous la direction de six présidents et dix secrétaires d’État », peut-on lire dans une déclaration du secrétaire d’État Antony Blinken..
« Ce qui rend Toria vraiment exceptionnelle, c’est la passion féroce qu’elle met dans la lutte pour ce en quoi elle croit le plus : la liberté, la démocratie, les droits de l’homme et la capacité durable de l’Amérique à inspirer et à promouvoir ces valeurs dans le monde entier ».
On relira la phrase de George F. Kennan mise en exergue.
Loin de ses qualités annoncées, Nuland, qui ira rejoindre son mari Robert Kagan ( une autre engeance qui aura su développer le business model familial de la guerre éternelle, pour citer ici l'intitul é de l'article de R. Parry xvpublié en 2015) a utilisé sa position de pouvoir pour poursuivre des activités idéologiques qui ont servi de force de mort et de destruction.
Granny Wolf NeoCon est désormais hors-circuit et avec elle une mondialiste malveillante aux réalisations désastreuses et criminelles ci-après rappelées :
Annexe :
Dernier entretien donné par George F. Kennan qu'un médiocre et insignifiant pseudo chef d'Etat, boutefeu et va-t-en guerre sans aucune expérience et beaucoup trop jeune pour avoir le recul historique nécessaire et les moyens de saisir, comprendre et avoir l'intelligence d'une époque qu'il ignore, se devrait de méditer plutôt que d'essayer de précipitet la France et l'Europe dans la guerre.
« Je pense que les Russes vont progressivement réagir de façon adverse, et que cela aura un effet sur leurs politiques. Je pense que c’est une erreur tragique. Il n’y a absolument aucune raison de faire cela. Personne n’était menacé. Cette extension ferait se retourner dans leur tombe les pères fondateurs de ce pays. Nous nous sommes engagés à protéger un grand nombre de pays, alors même que nous n’avons ni les ressources ni l’intention de le faire de façon sérieuse. [L’extension de l’OTAN] était simplement une action conduite avec insouciance par le Sénat qui n’a aucun intérêt réel pour les Affaires étrangères.
« Ce qui m’ennuie, c’est le manque d’information et la superficialité de l’ensemble du débat qui a eu lieu au Sénat » ajouta M. Kennan, qui était présent lors de la création de l’OTAN, et dont l’article anonyme, en 1947 dans le journal of Foreign Affairs (Journal des Affaires étrangères), signé « X », a défini la politique de containment de l’Amérique pendant la guerre froide pour les 40 ans qui suivirent.
« J’étais particulièrement ennuyé par les références à la Russie comme un pays mourant d’envie d’attaquer l’Europe de l’Ouest. Les gens ne comprennent-ils pas ? Nos différends étaient avec le régime communiste soviétique. Et maintenant, nous tournons le dos à ces mêmes gens qui ont organisé la plus grande révolution de l’Histoire pour mettre fin à ce régime soviétique, et cela sans effusion de sang ! »
« Et la démocratie russe est aussi avancée, si ce n’est plus, que celle de n’importe lequel de ces pays que nous venons de nous engager à défendre contre la Russie. » dit M. Kennan, qui rejoignit le Département d’État en 1926, et fut ambassadeur américain à Moscou en 1952. « Cela montre un manque de compréhension de l’histoire de la Russie et de l’Union Soviétique. Bien sûr que cela va entraîner une réaction hostile de la part de la Russie, et alors, ils [ceux qui auront choisi d’étendre l’OTAN] diront qu’ils vous avaient bien dit que les Russes étaient comme cela. Mais c’est tout simplement malhonnête. »
On peut seulement se demander ce que les historiens du futur diront.
Si nous avons de la chance, ils diront que l’extension de l’OTAN à la Pologne, à la République tchèque n’eurent aucune importance, car le vide qu’elle était censée remplacer avait déjà été comblé, ce que l’équipe de Bill Clinton n’avait pas vu. Ils diront que les forces de la mondialisation intégrant l’Europe, couplées aux nouveaux accords de contrôle des armements, eurent un effet si important que la Russie, malgré l’extension de l’OTAN continua son processus de démocratisation et d’occidentalisation, et fût peu à peu entraînée dans une Europe vaguement unifiée.
Si nous n’avons pas de chance, ce qu’ils diront, prédit M. Kennan, c’est que l’extension de l’OTAN a créé une situation dans laquelle l’OTAN avait alors soit à s’étendre jusqu’aux frontières mêmes de la Russie, déclenchant une nouvelle guerre froide, soit à s’arrêter après l’inclusion de ces trois nouveaux pays, et créer une nouvelle ligne de division en Europe.
Mais il y a quelque chose que les historiens du futur ne manqueront sûrement pas de remarquer, et c’est l’absence complète d’imagination qui aura caractérisé la politique étrangère des États-Unis à la fin des années 1990. Ils noteront que les événements clés de ce siècle eurent lieu entre 1989 et 1992 – l’effondrement de l’Empire soviétique, qui avait les capacités, les intentions impériales, et l’idéologie pour réellement menacer le monde libre. Que grâce à la résolution de l’Occident, et au courage des démocrates russes, l’Empire soviétique s’effondra sans un coup de feu, engendrant une Russie démocratique, libéra les anciennes républiques soviétiques, et mena à un accord de contrôle des armements sans précédent avec les États-Unis.
Et quelle fut la réponse des États-Unis ? Ce fut d’étendre l’OTAN, l’alliance créée pendant la guerre froide contre l’URSS, et de la rapprocher des frontières de la Russie.
Oui, racontez à vos enfants et vos petits-enfants que vous viviez à l’âge de Bill Clinton et William Cohen, à l’âge de Madeleine Albright et Sandy Berger, à l’âge de Trent Lott et Joe Lieberman, et que vous aussi étiez présent lors de la création du nouvel ordre de l’après-guerre froide, lorsque ces géants de la politique étrangère mirent leur cerveau en commun pour produire… une souris.
Nous sommes dans l’ère des nains. La seule bonne nouvelle est que nous y sommes arrivés en un seul morceau car avant cela, il y eut un autre âge, l’ère des Grands Hommes d’État, qui avaient à la fois de l’imagination et du courage.
Source : Source : Thomas Friedman, Foreign Affairs, 2 mai 1998
Traduction : www.les-crises.fr
i MATLOCK Jack, « George Kennan, diplomate et stratège », Politique américaine, 2005/3 (N° 3), p. 73-88. DOI : 10.3917/polam.003.0073. URL : https://www.cairn.info/revue-politique-americaine-2005-3-page-73.htm
ii A propos de Victoria Nuland, https://fr.wikipedia.org/wiki/Victoria_Nuland
iiiM. K. BHADRAKUMAR,Is ground beneath Biden’s Russia policy shifting ?I ndian Punchline, MARCH 6, 2024, https://www.indianpunchline.com/is-ground-beneath-bidens-russia-policy-shifting/
iv A propos de George F. Kennan, une excellente notice : https://fr.wikipedia.org/wiki/George_F._Kennan, ainsi que https://les-yeux-du-monde.fr/ressources/25561-george-f-kennan-biographie/ et https://international.blogs.ouest-france.fr/archive/2016/02/17/guerre-froide-russie-kennan-15670.html
v COSTIGLIOLA, F., Kennan, a Life between Worlds, Princeton University Press, 2023, https://www.goodreads.com/book/show/60564511-kennan
viUn excellent article : Thomas Friedman, Foreign Affairs, 2 mai 1998 , https://www.les-crises.fr/l-ere-des-nain-kennan/, et https://en.wikipedia.org/wiki/X_Article
vii Cité dans George F. Kennan, Memoirs, 1925-1950, Little, Brown, 1967, p. 557.
viii MAILLARD, Bernard, Les Accords de Minsk en trompe-l'oeil, Malicorne, 30 Décembre
2022,https://malicorne.over-blog.com/2022/12/les-accords-de-minsk-en-trompe-l-oeil.html et
Accords de Minsk, https://www.jean-jaures.org/publication/tout-ce-quil-faut-savoir-sur-les-accords-de-minsk-en-22-questions/
ixPierre de Gasquet, à propos de Vladislav Surkov, https://www.lesechos.fr/weekend/businessstory/vladislav-surkov-letrange-disparition-du-raspoutine-de-poutine-1401793.
Lire aussi https://legrandcontinent.eu/fr/2022/03/30/letrange-fiction-premonitoire-de-vladislav-sourkov/
xA propos de Kurt Volker, https://ldns.asu.edu/about/ambassador-kurt-volker
xihttps://www.courrierinternational.com/article/vu-de-moscou-apres-l-interview-de-merkel-la-russie-denonce-la-tromperie-des-europeens-lors-des-accords-de-minsk
xiihttps://press.un.org/fr/2023/cs15422.doc.htm
xiiiZAKHAROVA Maria, https://tass.com/politics/1755869
xivNARYCHKINE, https://tass.com/politics/1756031
xvPARRY, Robert ; Le business-modèle de la guerre éternelle : Une petite entreprise familiale typique qui ne connaît pas la crise, 20 mars 2015, https://lesakerfrancophone.fr/le-business-modele-de-la-guerre-eternelle-une-petite-entreprise-familiale-typique-qui-connait-pas-la-crise
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