Venezuela : petits calculs pétroliers
Tiens, le prix du baril de pétrole vient de battre un nouveau record (on est habitué) : 98,62 US$... En même temps, à la pompe au Venezuela, nous continuons à bénéficier de l’essence la moins chère du monde.
Jugez-en : 70 bolivars le litre de normale (soit 0,032 US$ au taux de change officiel - ne parlons pas ici du dollar parallèle, ce serait franchement indécent) et 97 bolivars le litre de super (soit 0,044 US$). Arrondissons le tout à 0,04 US$ le litre. Non, vous ne rêvez pas : 25 litres pour un dollar, 35 litres pour un euro ! Que les incrédules examinent la photo ci-dessus !
Or un baril de pétrole brut vaut 159 litres. Le litre de pétrole brut vaut donc :
98,62 US$ : 159 = 0,62 US$
Nous obtenons donc qu’au Venezuela, un litre d’essence à la pompe vaut 15,5 fois moins qu’un litre de pétrole brut sur le marché international ! Vous me suivez ?
Mais attention ! D’un baril de pétrole on ne tire pas 159 litres d’essence, mais bien moins. Je n’entrerai pas dans les détails, mais cela dépend du cru et des traitements qui lui sont apportés. Soyons bon prince, et ne tenons pas compte de ces futilités techniques...
Ne tenons pas compte non plus :
- du coût du transport du brut jusqu’aux raffineries,
- du coût du raffinage,
- du coût du transport des raffineries aux stations-services,
- des coûts d’exploitation d’une station-service.
Sinon, on arriverait à la conclusion que l’essence vénézuélienne se vend à un prix 25 fois moindre que son coût de production.
Qui perd gagne
Qui gagne et qui perd à ce petit jeu distorsionné ? Le consommateur gagne, cela ne fait aucun doute. Il ne se préoccupe pas du tout du prix de l’essence lorsqu’il se trouve à la pompe (mais se préoccupe plutôt du prix du lait, 25 fois plus cher, qui a disparu du marché !).
On pourrait croire que l’État, grand propriétaire des ressources pétrolières, y perd. De fait, d’un point de vue strictement économique, il perd quelque chose comme un dollar US chaque fois qu’un litre d’essence est débité à la pompe. Cela fait beaucoup si l’on pense aux quelque 5 millions de voitures qui font en moyenne un plein de 30 litres par semaine ! Un petit calcul nous indique que le manque à gagner serait d’environ 8 milliards de dollars par an !
Mais détrompez-vous : l’État ne perd pas, l’État ne perd jamais lorsqu’il fait des cadeaux... Il se gagne l’opinion publique, et cela n’a pas de prix ! Idéologiquement, le concept qui se diffuse, c’est que le pétrole appartient aux Vénézuéliens, donc qu’il est juste qu’ils ne le paient pas, ou si peu. Ce fondement est sacré : tout gouvernement qui a tenté de changer de paradigme s’est allègrement cassé la pipe. Hugo Chávez, friand de peuple, est encore moins enclin à prendre un tel risque. Il a besoin de voix pour sa réforme constitutionnelle, et pour le reste !
Et le grand perdant est...
Par contre, il y a un grand perdant dans toute cette affaire, et non des moindres : l’environnement. Les statistiques indiquent que le Venezuela est de loin le plus gros producteur non seulement de pétrole, mais aussi de CO2, en Amérique Latine ! Pour vous en assurer, voyez la carte sur le nouveau site des Nations unies qui monitorise les objectifs de développement du millénaire.
- Émission de CO2 par habitant dans le monde en 2004 (tonnes)
- Le Venezuela (cercle rouge) se distingue en Amérique latine
Selon le Carbon Dioxide Information Analysis Center (CDIAC) du Département de l’Énergie des États-Unis (je sais, on va encore me dire que c’est une source tendancieuse), le Venezuela a en effet émis 6,57 tonnes de CO2 par habitant en 2004. Cela le situe certes bien en dessous des gros pollueurs que sont les États-Unis, le Canada, l’Australie et la Russie. Il se trouve cependant dans la même tranche que la plupart des pays européens. La petite différence, c’est que ces derniers sont des pays hautement industrialisés dont le revenu par habitant est très élevé. Cela ne justifie pas, mais cela explique, le niveau relativement élevé d’émission de CO2 dans ces pays. Mais au Venezuela ?
Avec quelques autres pays (la Lybie, l’Arabie saoudite, Oman, l’Iran, les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale... - comme par hasard des producteurs de pétrole), le Venezuela se révèle être l’un des champions d’émissions de CO2 dans ledit tiers-monde. Triste record...
Je ne dis pas que le prix ridicule du carburant en est la cause unique, mais à n’en pas douter c’en est l’une des principales. Quand le prix de l’essence n’est une préoccupation pour personne, on obtient un parc automoteur éminemment pollueur : les vieilles américaines aux énormes moteurs mal réglés des plus pauvres côtoient les SUV dernier cri des plus riches. Un cocktail véritablement catastrophique pour l’environnement.
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