Vers un progressisme de droite
Les réaco-conservateurs assimilent trop souvent l'avenir à un déploiement inéluctable des forces progressistes. Ils en viennent à prendre l'objet (l'avenir) façonné par le sujet (la gauche) pour le sujet lui-même. Le futur étant devenu synonyme d’avancées « progressistes », l’unique remède ne pourrait être que son contraire – le passé – plutôt qu'un avenir alternatif. Or il y a là une forme de défaitisme, comme si la droite assimilait sa propre déconfiture, ratifiant le monopole de la gauche sur l'avenir. Puisque l’Histoire n'est qu'une longue série de victoires progressistes, c’est l'avenir lui-même qu’il faudrait brider, plutôt que les acteurs qui le façonnent. Ralentir le temps et sanctuariser certaines institutions apparaît alors comme la solution par défaut.
Cette analyse, plus ou moins consciente, est une variante de la croyance en un progrès linéaire : l'avenir n'est plus une irrésistible ascension, mais une lente décadence. Ainsi, tout en ridiculisant l’idée d’un « sens de l’Histoire », les réaco-conservateurs considèrent implicitement que le temps fait le jeu de la gauche. S'il leur arrive – du bout des lèvres – de se satisfaire d'une nouveauté, ils n'iront jamais jusqu’à batailler pour la faire advenir, non plus qu'ils ne mobiliseront leur énergie intellectuelle pour concevoir un nouveau « de droite ». Leurs forces sont toutes entières consacrées à faire l’éloge du passé.
Le progressisme au sens strict repose sur des postulats infirmés par l'Histoire. Le pacifiste et le jouisseur finissent toujours par se soumettre au guerrier. Mais le conservatisme lui-même n’en repose pas moins sur des présupposés erronés, car les projets d'Homme nouveau, loin de se réduire à des utopies illusoires, sont un des moteurs de l'Histoire.
La posture d’un Schopenhauer, qui écrit « le progrès, c'est là votre chimère, il est du rêve du XIXème siècle comme la résurrection des morts était celui du Xème, chaque âge a le sien », n’est plus tenable. La véritable erreur, c'est de croire que les chimères sont sans prise sur le réel – surtout quand ces chimères peuplent les cerveaux des élites. Chaque époque a sa conception particulière du progrès, et ceux qui se refusent à proposer la leur doivent renoncer à écrire l'Histoire. De même, Nietzsche peut bien déclarer que le Progrès est « une idée fausse1 », il n'empêche que sa philosophie du surhomme est progressiste – progressiste de droite.
Notre ennemi ne doit pas être le progressisme au sens large, mais uniquement le progressisme de gauche. Non pas l’idée de progrès, mais la direction que veulent lui faire prendre nos adversaires. Car « l’idée de progrès constitue moins une idéologie que la présupposition de toutes les idéologies, systèmes de représentations et de croyances proprement modernes2 ». C'est pourquoi la droite doit développer son propre progressisme, qui doit viser la réunification de l'Occident (plutôt que la défense des Etats-nations) et encourager l’évolution anthropologique (plutôt que sanctifier la tradition). Par définition, le futur a toujours raison du passé. Aussi, le duel du Passé et de l’Avenir doit s’effacer au profit d’un choc entre un avenir de gauche et un avenir de droite.
Par Romain d'Aspremont, auteur de auteur de « Penser l'Homme nouveau : Pourquoi la droite perd la bataille des idées »
1 F. Nietzsche, L'Antéchrist, § 4, Oeuvres philosophiques complètes, Paris, Gallimard, 1974, t. VIII, p. 162.
2 Taguieff, Ibid., p. 243.
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