Vidéo pirate : la censure à France-Télévisions officiellement reconnue par le président Sarkozy
La vidéo pirate, publiée par Rue 89, qui a enregistré les préparatifs de l’intervention du président Sarkozy sur France 3, lundi soir 30 juin 2008, offre l’occasion d’une utile leçon sur la relation d’information.
Les apparences d’une information extorquée
Selon toute vraisemblance, ces images relèvent de l’information extorquée puisqu’elles paraissent avoir été saisies à l’insu et contre le gré de leur émetteur, le président. Elles gagnent donc en fiabilité. On le voit, en effet, tancer un technicien incorrect qui n’a pas répondu à son salut, en promettant que « ça va changer » ; puis il se répand en informations indifférentes pour tuer le temps et surtout tenter de briser la glace entre lui et les journalistes qui doivent l’interviewer : il s’extasie sur la beauté du studio, se fait rappeler l’heure de l’émission comme s’il pouvait l’avoir oubliée, s’inquiète de l’écart d’heure entre la pendule du studio et sa montre qu’il détache de son poignet pour la régler, se félicite de la présence de Gérard Leclerc qu’on ne voyait plus à l’antenne, et s’inquiète de la durée qu’il a passée « au placard ». Enfin, il demande si les journalistes ont l’intention de l’interroger sur l’accident de Carcassonne, feignant de leur laisser la liberté de le faire quand ils comprennent que c’est un ordre auquel ils doivent déférer.
On perçoit tout l’écart qu’il y a entre l’information donnée tissée d’amènes civilités convenues que les uns et les autres se prodiguent dès que commence l’émission, et l’information extorquée sur le conseil de rédaction brutal qui vient de se tenir sous la direction du président.
À l’évidence, l’attitude incorrecte du technicien a donné au président l’occasion de s’affirmer d’entrée en patron de la rédaction face aux journalistes assis sagement à leur pupitre comme des élèves. Le directeur Paul Nahon, destinataire d’une œillade, s’est fait souffler la place faute d’avoir soufflé mot : « Ça va changer, » a grincé par deux fois le président. Le ton était donné. On connaît climat plus propice à la liberté d’expression quelques instants avant une interview présidentielle.
La censure officielle reconnue par le président de la République
Puis, entre deux banalités pour feindre de détendre l’atmosphère, est tombée cette révélation. Jamais, sauf erreur, on n’a entendu président de la République faire pareil aveu. C’étaient, disait-on jusqu’ici, des bruits, des ragots distillés par l’opposition, tout au plus des interprétations gratuites quand un journaliste disparaissait de l’antenne. On n’en avait pas de preuve formelle vraiment. Or, voici que, pour la première fois, un président de la République française fait état ouvertement de la censure officielle qui peut frapper un journaliste selon le bon plaisir du pouvoir dans la démocratie française. Se tournant vers Gérard Leclerc qu’il paraît assez connaître pour le tutoyer, le président s’est réjoui de le revoir à l’antenne et s’est enquis élégamment de savoir combien de temps il était « resté au placard ». Mieux, il a tenu à faire connaître qu’il avait protesté en son temps contre sa mise au placard.
Un changement dans la continuité
Pour qui doutait encore de la main de fer avec laquelle le pouvoir tenait l’information du service public, il ne peut être fait aveu plus clair de la part de la plus haute autorité de l’État. Or, le comportement du président est-il promesse d’un changement quand il répète « Ça va changer ! » ? La protestation qu’il dit avoir émise à la placardisation de Gérard Leclerc, est-elle l’indice d’un refus de ces méthodes de censure et d’autocensure, contraires aux règles d’une démocratie ?
On songe plutôt à Henri, le cafetier du « Père tranquille », dans le film d’Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, Un air de famille : il reçoit à la fin un coup de téléphone de sa femme qui a souhaité prendre un peu le large pour respirer et échapper à son sexisme insupportable. Or, pour la convaincre de revenir tout de suite, il se dit prêt à des concessions. On croit deviner que son épouse en doute : c’est alors qu’il explose : « Mais puisque je te dis que je vais changer ! », hurle-t-il au téléphone.
Le président Sarkozy a montré, lui aussi, par son seul comportement, le changement qu’il médite. L’évocation du placard d’un des journalistes avait-il d’autre but que de servir d’avertissement à ses collègues et de les déstabiliser avant l’interview pour dissuader toute tentation d’insolence ? Enfin, dans la pure tradition monarchique, la suggestion murmurée d’une question sur la faute des militaires de Carcassonne, laissée en apparence à la discrétion des journalistes, n’était-elle pas un ordre ? Ils l’ont compris aussitôt. Le président, qui revenait du chevet des blessés, entendait donner le plus large écho à sa compassion pour les victimes et à sa colère pour les « amateurs » inconscients de cette tragédie, selon son plan-média programmé.
Il reste maintenant un doute. Le président Sarkozy est trop familier des préparatifs d’une interview pour ignorer que les caméras tournent souvent et que les micros sont branchés avant le commencement d’une émission. N’aurait-il donc pas choisi, selon le mode de la « fuite organisée », de faire connaître ces informations apparemment extorquées à son insu et contre son gré, puisque le canal officiel de l’information donnée ne le permettait pas décemment ? Pour qu’il n’y ait pas de malentendu sur la réforme de France-Télévisions, dont on sait déjà qu’il entend attribuer à l’exécutif la nomination du président, il aurait tenu à avertir les personnels de ses intentions en prenant les téléspectateurs à témoin. Il avait déjà ainsi joué cartes sur tables au sujet de sa relation avec Mme Bruni qui « (était) du sérieux », lors de sa conférence de presse du 8 janvier. À bon entendeur salut !
Paul Villach
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