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Villepin ou la trahison du modalisateur

Comment le premier ministre, dimanche soir, s’est fait piéger par l’implicite : une analyse rhétorique.

Comme beaucoup de Français impliqués, j’écoute, chez Claire Chazal, Dominique de Villepin répondre à la rue, aux manifestations étudiantes, aux inquiétudes de la nation sur le CPE. Curieusement la rhétorique du premier ministre ne se focalise pas sur cette réponse au peuple, même si un « je suis à l’écoute » est lancé comme on fait faire à son cheval un galop d’essai. Ce hors d’oeuvre plein de copeaux de bois (de ce bois de la langue politique bien connue et toujours fortement utilisée) se transformera, quelques minutes après, dans la continuité d’une annonce vague sur tois garanties supplémentaires (accompagnement par un référent, complément de rémunération, évaluation) en une phrase programme qui l’accuse dans sa méthode même : « Je propose d’ouvrir un dialogue sur la précarité ».

Ce qu’il n’a pas fait pendant toutes ces semaines. Au détour d’une explication assez brillante dans sa forme, le premier ministre, qui souhaite montrer qu’aujourd’hui, avec la crise de l’emploi des jeunes, c’est la précarité qui domine, et qu’avec le CPE, c’est l’emploi et l’expérience qui permettront aux jeunes de se faire un nom dans l’entreprise, utilise ce que les élèves de lycée, dans leurs études de lettres sur l’énonciation, appellent un modalisateur.

Il s’agit d’une forme adverbiale, d’une conjonction, d’une ponctuation dans le discours, qui révèlent l’implicite. Citons l’expression exacte, employée à propos de cette précarité que les jeunes redoutent, de cette possibilité de mettre à la porte au bout de deux ans l’élu de ce premier emploi : Villepin signale que le CPE permet à l’employeur de « garder le jeune dans l’entreprise, autant que faire se peut ». Modalisateur du verbe « garder ». Bien sûr, on voit bien ce que le Premier ministre a en tête : si l’employé est nul, pourquoi le garder ? Mais l’implicite fait son chemin, et le téléspectateur attentif ne conscientise que cette dernière question : pourquoi le garder ? Oui, pourquoi le garderait-on, puisqu’il est si facile de le licencier ?

La rhétorique de Villepin fut impressionnante de conviction chaleureuse (sans individualisation excessive, sans grande clarté non plus), mais il a commis une erreur : l’emploi d’une expression qui donne vie à la conception libérale de son texte, qui surdimensionne le thème de la précarité qu’il souhaitait habilement gommer.

L’homme politique parle et explique. Il dérape aussi, par un manque de maîtrise simple de ce que quelques-uns apprennent sur les bancs de l’école... Encore une question de communication ? Peste soit des effets du langage ! D’aucuns brandissent des livres abîmés par la colère dans une nuit à la Sorbonne, d’autres se laissent aller, dans la permanence de leur conviction, à étaler un petit modalisateur, glissé dans une phrase d’interview télévisée,et qui peut déchirer le cœur de ceux qui se souhaitent, en France, un avenir.


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3 réactions à cet article    


  • Claude DP (---.---.97.129) 14 mars 2006 16:00

    Exquis de finesse. Mais ce modalisateur n’est-il pas au contraire une preuve de sincérité de la part de DdeV ? « Je vous en supplie, »gardez« nos jeunes au travail...si vous avez les moyens de le faire » Le chef d’entreprise que je suis l’ a ressenti ainsi. Le modalisé n’est donc pas toujours celui que l’on croit ! smiley


    • J ;(e (---.---.70.195) 14 mars 2006 21:56

      Que certain chefs d’entreprise soient des gens honnêtes, soucieux de leurs salariés, c’est certain. Le problème, c’est que ce n’est pas le cas de tous et que ce contrat donne à cette deuxième catégorie d’employeurs carte blanches.


    • Mark (---.---.1.221) 14 mars 2006 20:38

      Propos tout à fait juste : on oublie parfois que la langue n’est qu’une langue, c’est-à-dire que l’on s’accorde à dire que l’on ne peut pas la maîtriser complètement, contrairement à ce que l’on pourrait croire. De sorte qu’il est normal qu’on se trompe. De sorte, aussi, que les lapsus sont souvent révélateurs (le discours de Villepin fondé sur la confiance se transforme soudain en méfiance par la modélisation seule). De sorte, aussi, que depuis quelque temps, déjà, l’on se méfie de la langue, de la rhétorique, de l’oraison - comme véhicules de fausseté - et que les hommes politiques n’ont toujours pas compris que la langue n’est qu’une langue, que la promesse n’est qu’une promesse et que l’on ne construit pas un pays sur la langue seule.

      La langue se doit d’être accompagnée d’une réflexion et d’une négociation politiques.

      Monsieur Villepin aurait-il trop cru en son pouvoir linguistique ?

      Je ne trouve pourtant pas, comme le laisse entendre Philippe Amen, qu’il s’agisse d’une langue de bois. Elle ne sonne pas creux pour moi. Au contraire elle est pleine, peut-être trop pleine de manipulation rhétorique. Elle sonne plutôt faux. Simplement.

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