Vincent Delory, mort sous les balles françaises : une confirmation
Je vous avais fait part de mes doutes à plusieurs reprises (*) et les faits semblent bien corroborer mes suppositions de l'époque. L'un des deux otages français, Vincent Delory, n'a pas péri sous les balles de l'Aqmi. Un témoignage récent atteste de ce qui s'est passé, même s'il s'agît d'un témoin indirect n'ayant pas été sur les lieux lors de l'assaut. Dans cette même série d'articles, je vous avais également dit que l'une des clés de cet assaut raté était dans la séquence filmée d'hélicoptère de l'assaut (cela m'étonnerait qu'elle provienne du Bréguet qui faisait le relais lors de l'opération). Car ce film nous avait été promis alors par Alain Juppé. Et ce film, que d'aucuns ont donc pu voir depuis, a été... visiblement charcuté par l'armée : il manque une minute, où l'on apercevrait l'embrasement du 4x4 dans lequel se tenait Vincent Delory. Dans la grande tradition américaine des vidéos découpées, l'armée française aux ordres d'une équipe fort restreinte, dont j'ai évoqué ici précisément le rôle, a donc tenté de dissimuler son écrasante responsabilité dans cette décison d'attaquer un campement où se trouvaient les deux otages. Aujourd'hui, Alain Juppé, Benoit Puga et Nicolas Sarkozy, décisionnaires, sont placés au pied du mur devant la famillle de l'otage décédé : c'est bien une énième affaire d'Etat qui se profile, et une responsabilité qu'ils devront assumer, un jour ou l'autre. Le charcutage du fim de l'intervention est une très mauvaise idée : celle de personnes cherchant à minimiser leurs erreurs manifestes.
Les informations sont venues de Libération, qui a effectué un très bon boulot sur le sujet, en ayant l'intelligence ne pas lâcher une enquête, en pensant à aller examiner un procès verbal de membre revendiqué de l'Aqmi, Mohamed al-Amine ould Mohamedou ould M'Balle, alias Mouawiya, celui qui avait tenté d'attaquer l'ambassade de France et qui affirme avoir entendu de la bouche de Fayçal al-Jazaïri, qui serait l'un des ravisseurs, qu'il avait bien exécuté ntoine de Léocour, mais que pour le second otage, en l'occurence Vincent Delory, c'était bien l'embrasement du 4x4 qui l'avait tué (en photo ici à gauche : on peut voir les impacts de balles sur la porte arrière). Mais pas seulement, puisque l'autopsie avait bien révélé la présence de balles dans le corps, jugé "non létales" par le médecin légiste qui avait examiné le corps à moitié carbonisé. L'accusation est grave, mais elle ne fait que reprendre ce que j'avais ici exprimé, après en particulier la phrase d'Alain Juppé affirmant d'emblée que "tout semble indiquer que les otages français ont été exécutés par leurs ravisseurs". Celui-là savait déjà ce qui s'était passé exactement, en qualité alors de chef des armées.
Je ne vous résume pas ce que l'on savait à l'époque, je vous renvoie à mes textes du moment (*). L'intervention décidée en plus haut lieu par un comité fort restreint dans lequel on trouvait le trio déjà cité s'est soldée par la mort des deux otages, qui n'ont pas pesé bien lourd dans la décision. L'opération une fois ratée, il restait à en camoufler les tares fondamentales, liées à une intervention bien trop risquée, faite en prime de nuit d'après ce qu'on a pu savoir. Et c'est bien ce qui a été fait. Si Frédéric Beth. d'après Libération, le patron du COS, les forces qui sont intervenues ce jour-là est resté muet, et on le comprend, sur ses hommes et leur façons de faire, un fait nouveau est apparu : le film promis par Alain Juppé, et qu'à ce jour aucun média n'a diffusé, a été visiblement amputé de la séquence où l'on voit le 4x4 ou est prisonnier Vincent Delory prendre feu sous des tirs. Or, à l'évidence, ce sont bien ceux de l'hélicoptère du COS, comme j'avais déjà pu en conclure dans ma série d'articles. Une coupure que ne nie pas le ministère de la défense, qui se retranche derrière une excuse grossière : "selon le ministre français de la Défense, qui le précise dans une lettre au juge datée du 9 décembre, cette coupe a pour but de « ne pas révéler (...) certains détails opérationnels". On aurait pu imaginer, à ce stade une explication du genre "cette coupe contient des images difficilement supportables pour les familles" : non, ce qui est mis en avant, et qui prouve que c'est extrêmement gênant pour les décisionnaires, c'est bien la responsablité des troupes du COS, et surtout de ceux qui leur ont fait appliquer des ordres précis. Le procédé est grossier et révoltant. Pas un mot, toujours, pour l'otage décédé. Une méthode qui en rappelle d'autres.
Dans les années 70, la CIA avait trouvé une méthode particulière quand ses sbires se retrouvaient pris la main dans le sac, ou quand on enquêtait de trop près sur elle avec la Commission Church : elle pratiquait le "plausible denial", à savoir la pire explication possible qui pourrait être avalée par un public gavé de sentiment patriotique. Lors des délibérations du Church Committee, en 1975, on avait obtenu la définition exacte et la méthode utllisée : "la non-imputation aux États-Unis des opérations secrètes était l'objectif initial et principal de la doctrine dite de « déni plausible ». Un témoignage devant le Comité démontre clairement que ce concept, conçu pour protéger les États-Unis et ses agents contre les conséquences de divulgations, a été élargi pour masquer les décisions du président et ses cadres supérieurs". Un mensonge plausible, voilà le meilleur moyen de protéger un président et son staff rapproché. Grâce à Alain Juppé, et aujourd'hui de Gérard Longuet qui vient de rédiger cette missive du 9 décembre, nous revoilà plongé à la fin de la Guerre Froide. On savait l'équipe de Sarkozy passéiste, à sa manière d'enfoncer mais 68 via les discours de Guaino, on ne savait pas à quel point elle pouvait imiter Reagan, voire Kennedy lors de la baie des cochons et son ambassadeur, Adelai Stevenson, qui met le nez devant la photo d'un B-26 américain préparé pour aller bombarder Cuba avait tout de go affirmé que c'était un avion "appartenant à Fidel Castro". Aujourd'hui, Gérard Longuet nous rejoue la séquence du "plausible denial", c'est une évidence : le procédé est le même, et les falsiifications historiques similaires.
Le 9 février dernier j'avais écrit ceci : "l’intervention française au Niger a viré au carnage, c’est une évidence à ce jour non assumée, contrairement aux déclarations faites aux familles par le chef de l’Etat : il y a bien des responsables à ce fiasco, dont lui même, entouré par une équipe fort restreinte qui nous a livré un an et demi avant le processus avec lequel elles allaient mener l’assaut. Deux généraux sont en cause, et des membres du ministère, très proches du chef de l’Etat, qui ont tous pris la décision non pas de sauver les otages, mais de se débarrasser d’une menace islamiste qui n’en n’est pas vraiment une. Les français ont bien élu en 2007 un Bush bis, dont les talents de matamore se révèlent désastreux : entouré d’incompétents notoires, comme G.W.Bush, mal informé ou persuadé de la valeur de ses responsables militaires, le président français ne pouvait que prendre la mauvaise décision. Elle avait été déjà prise il y a plus de six mois, cette décision : à la prochaine prise d’otages, c’est sûr, il n’y aurait pas de quartier." Sans vouloir jouer les devins, j'exprimais déjà l'idée d'une lourde responsabilité : aujourd'hui, elle est patente, et ne devrait pouvoir se solder que par une ou des démissions, ultime fusible pour protéger le plus haut sommet de l'Etat. Je parlais le long de trois articles consécutifs d'une "équipe fort restreinte" en effet. Un trio, je dirais même. Selon Jean Guisnel, du Point, "C'est Nicolas Sarkozy en personne qui a donné, samedi, l'ordre d'intervenir aux unités des forces spéciales françaises pour intercepter les ravisseurs de deux otages français, Antoine de Léocour et Vincent Delory, enlevés vendredi vers 23 h 15 au restaurant Le Toulousain de Niamey, au Niger." Il avait été tenu au courant à la minute près, toujours selon Guisnel : "Samedi, vers 16 h 30, le président de la République est en Martinique. Il ouvre une table ronde à Schoelcher et déclare en préambule : "À la minute où je vous parle, il semble, je suis prudent, que la garde nationale nigérienne poursuive les terroristes dans leur progression vers le Mali. Cette opération est en cours." En réalité, Nicolas Sarkozy sait exactement ce qui se déroule de l'autre côté de l'Atlantique, dans le désert du Sahel. Il est d'ailleurs très possible qu'il sache déjà les tragiques conclusions de cette opération, dont nous avons pu reconstituer, au moins partiellement, le fil." Déjà, il savait que c'était un échec.
Dans les jours qui vont venir, nous verrons bien qui, dans le trio cité, sera obligé de remettre sa démission au chef de l'Etat qui restera inexpugnable, bien entendu : comme dans ce cas, on tape au premier niveau de la hiérarchie, c'est Benoit Puga (présenté parfois comme "catholique très pratiquant") qui tient la corde, Alain Juppé étant devenu bien trop nécessaire à la campagne de Nicolas Sarkozy ces derniers jours, en ayant joué à Cannes le rôle de premier ministre bis qu'il affectionne tant. Ce n'est pas un pronostic : c'est déjà une certitude : poussé par une opinion qui doute depuis l'annonce des deux décès, le pouvoir sera obligé de lâcher du lest. S'il respectait à minima la douleur de l'admirable famille de Vincent Delory (dont sa sœur, Anabelle), il l'aurait déjà fait depuis longtemps...
(*) ici :
le 24 janvier 2011 :
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-kalachnikov-belge-de-mr-juppe-87590
le 8 fevrier :
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-otages-du-niger-une-equipe-88378
le 9 février :
le 10 février :
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-otages-du-niger-une-equipe-88380
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-otages-du-niger-une-equipe-88379
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