Vive la crise de 2009 ! Menteurs ou visionnaires de l’après-crise ?

Premier tableau
La crise est là, vive la crise ! S’exclamait Montand en d’autres temps de mitterrandie où la crise pouvait être surmontée mais tout de même, la crise fut supportée par des mesures d’accompagnement pour permettre aux non classés de surnager. TUC, puis RMI, CES, ASS et maintenant RSA. La crise actuelle n’aura pas d’incidence pour ceux qui sont placés là où la crise ne les touche pas dirait ce cher La Palisse. D’autres vivront des temps difficiles. La crise est la plus grave depuis 1945 disent les analystes. Elle n’a aucune incidence pour une majorité de gens. Mais un impact sévère pour une large minorité. L’affaire est dite. Enfin presque. La crise sociale dure depuis plus de deux décennies. Beaucoup n’ont pas eu accès à une existence économique moyenne et décente. Ils finiront au minium vieillesse puis dans les hospices. La crise actuelle n’est qu’un détail à l’échelle de l’économie mondiale. Les entreprises, les économies nationales se recomposent en tenant compte des disparités de coût du travail et des solvabilités locales et internationales. Bref, tout va bien mais pas pour tous le monde, pas partout sur le monde, pas tout le temps. Les équilibres, échanges, productions et répartitions de biens et richesses se déplacent, se transforment. Telle est la loi du Temps allié à la Technique. Le capitalisme n’étant pas le maître mais entre les mains des maîtres. Un simple calcul crée des emplois et une usine dans un lieu, et en détruit une autre ailleurs.
Conversation entre une caissière de supermarché, d’âge respectable, et un jeune payant un paquet de gâteaux premier prix, que j’ai reconnu comme ancien hôte de caisse. Alors, qu’est-ce que tu deviens ? Eh bien, je change de boulot, je vais être chômeur. Ah bon, tu faisais quoi ? Mécano dans l’aéro. Il y en a des centaines de milliers, jeunes ou d’âge mur, exclus du travail pour raisons comptables et récupérés soit par les solidarités familiales, soit l’assistance d’un Etat de moins en moins providentiel car les caisses se vident. Pendant ce temps, les transactions immobilières se poursuivent à un rythme atténué, sans que les prix aient chuté substantiellement. Les véhicules automobiles neufs se vendent. Les berlines haut de gamme ne semblent pas décliner. Le luxe se porte bien. Les gens partent en vacance. Au lieu de 49 % ce sera 48%. Qu’on explique la différence. La crise est pratiquement invisible. Peut-être que dans cinq ans, les choses vont s’accentuer et l’on verra la situation. Car la croissance va reprendre, doucement, sur le long terme, comme le chômage, installé sur le long terme. Dix, vingt ans ? Qui sait.
Les comparaisons avec 1929 sont risquées. Les contextes économiques sont bien différents. Et quelque part, la crise de 1929 a débuté en 1999 et a été surmontée. En 2009, la capacité à surmonter la crise vacille. Quelques points de similitude mais ils sont si vagues et imprécis qu’on aura du mal à les présenter comme pertinents. Replonger dans le passé n’éclaire pas forcément le présent, sauf si on parvient à se convaincre que des ressorts similaires sont en œuvre. C’est là le point le plus intéressant car les coïncidences formelles n’ont pas vraiment de valeur compréhensive. Des formes similaires peuvent se produire avec des ressorts distincts alors que des ressorts identiques peuvent s’exprimer avec des formes et styles différents. Que ce soit en politique ou en économie ou encore à l’échelle des comportements sociaux. Le mieux étant d’avoir la double similitude, entre formes et ressorts, mais c’est rare.
1939. Pourquoi pas, l’étrange défaite militaire. 1936, c’est mieux, l’étrange défaite de la gauche. 1933, l’axe du mal en Allemagne. Que dire de plus ? Rien. La gauche française et les gauches européennes ne font pas mieux que le Front populaire de 1936. Une bonne nouvelle ; les extrémismes ne peuvent plus émerger en Europe. Une mauvaise nouvelle ; il n’y a pas d’alternative à la gouvernance des élites droitières, pragmatiques, au service des grands intérêts financiers et industriels. Le projet de domination des élites, dessiné a posteriori par les nazis, s’accomplit avec douceur et dans un contexte démocratie. Contrairement à ce qu’on pense, la démocratie n’a jamais été un projet de gouvernance du peuple au nom de ses intérêts. La démocratie peut très fonctionner avec une majorité de citoyens ayant abdiqué et décidé d’être dominés par des élites moyennant un relatif confort matériel et une sécurité tout aussi relative. La démocratie laisse quelques plumes depuis une décennie dans les pays riches. En 1939, la démocratie a laissé ses ailes. Autant alors prendre ce constat comme une bonne nouvelle. Tout en restant prudents car il ne fait pas bon déplumer la démocratie en laissant faire les intérêts spécieux, tout en jouant les citoyens désinvoltes. Une dictature est si vite arrivée.
Second tableau
Intéressons-nous à la seule question importante. Quel est l’état de la situation économique et sociale ? Et surtout, quelles sont les possibilités d’intervention des personnes concernées, en premier lieu les dirigeants, puis les citoyens ?
Première option, l’optimisme opportuniste et pragmatique. Les adeptes de la méthode coué prononcent une formule magique, quand on veut, on peut ! Les promoteurs de l’information calibrée mettent en scène des dirigeants se réunissant, parcourant le monde, annonçant des mesures qui bien sûr vont permettre à l’économie de sortir de cette crise. Dont les causes ont pratiquement été identifiées. Frénésie des marchés spéculatifs. Distribution de crédits immobiliers. Produits financiers dérivés opaques. Et bien des légèretés de la part des banquiers, quand ce n’est pas de l’escroquerie pure et simple. 50 milliards a-t-on évalué pour le plus grand escroc du 20ème siècle qui restera 150 ans en prison. Les dirigeants se sont engagés auprès du monde devant les caméras. Ils vont surveiller de près le monde de la finance. Plus jamais ça ont-ils déclaré en mode apocryphe. Comme en 1918. C’était la der des der ! Finie l’époque des escrocs, des voyous de la finance. Et maintenant, place au volontarisme. Cette crise est l’occasion de construire quelque chose de nouveau. La France de l’après crise nous attend. Cher François Hollande, nous voilà, bâtisseurs de gauche, humanistes invétérés de toujours, abonnés aux combats sociaux, aux luttes républicaines, un pacte nouveau nous est proposé. Voici un extrait de la tribune de l’ex secrétaire du PS :
« Nous traversons la plus grande crise économique et sociale que le monde ait connue depuis la Seconde Guerre Mondiale. Nous courbons l’échine, mieux nous faisons face. Et pourtant cette crise peut nous fournir l’occasion d’une nouvelle étape de notre construction nationale.
Comme il a été possible de nouer un contrat de l’après-guerre, nous devons à présent, écrire avec nos concitoyens, le contrat de l’après-crise. Un contrat qui devra promouvoir la Démocratie de la réussite.
Ce contrat doit traduire un accord de volontés, et consacrer des engagements mutuels entre des citoyens et la nation. Exigence de compétitivité, garantie de solidarité, responsabilité écologique.
Ce contrat de l’après-crise doit porter un nouveau pacte productif. La France a besoin de ses entreprises. De l’ampleur de la création de richesses dépend notre la place dans la mondialisation comme notre capacité à réduire le chômage. Ce pacte pourrait s’écrire de la manière suivante : l’État s’engagerait à faciliter l’accès au crédit, en fixant des obligations aux banques, en créant des produits d’épargne affectés à l’investissement productif. Il favoriserait, en liaison avec les Régions, des pôles de compétitivité avec une défiscalisation de l’effort de recherche ».
Ces propositions n’ont rien d’original. On les croirait extraites d’un document sur le Plan datant des années 1960. Les politiques faisant preuve de volontarisme face à la crise sont-ils sincères ou bien appliquent-ils une méthode d’autopersuasion au service d’une récupération politicienne et d’une mise en scène médiatique servant leur personnage de héraut luttant contre la terrible fatalité de l’économie mondiale ? F. Hollande est loin d’être le seul. F. Bayrou surfe sur cette crise en déclamant le besoin d’Europe qui se fait évident et par la même occasion, le président du Modem se fait une place tout aussi évidente dans la course pour 2012. Savez-vous comment on rebaptise le Modem dans les cafés du Poitou ? Désir de Bayrou ! D. Cohn-Bendit n’est pas en reste pour promouvoir, comme les autres, une formidable opportunité pour changer de modèle économique et d’aller vers une croissance verte. Moins de gaz carbonique, économies d’énergie, paquet climat énergie... N. Sarkozy réalise en quelque sorte une synthèse de toutes ces idées. Un peu de modèle social, de volontarisme étatique, de vertitude fiscale, de sollicitude européenne. Vive la crise en 2009 ! Telle est la formule apocryphe lancée par les politiciens.
Deuxième option, le pessimisme lucide. Qui peut croire que la crise servira de tremplin pour rebondir ? Et que les Français vont aller main dans la main œuvrer pour un nouveau contrat social. C’est mal connaître le genre humain. Quand il y a moins dans l’assiette, chacun se fraye un chemin pour récupérer sa part. Et quand les caisses sont vides, on ne voit pas comment on peut financer les mesures annoncées pour un contrat d’après-crise dont on se demande bien s’il signifie quelque réalité tangible. Il faut une bonne dose de naïveté ou de malhonnêteté pour suggérer que cette crise amène son cortège de solutions et de rebonds. Surtout que la majorité des citoyens ne seront guère affectés. Sans doute, ils auront quelque nausée en voyant ces SDF squattant les trottoirs ou quelques proches affectés par le chômage. Mais pas de quoi produire une rupture. Personne n’a vu venir la crise mais la plupart voient venir l’après-crise. Cherchez l’erreur. L’hypothèse la plus plausible, c’est la poursuite du système actuel avec des mesures sociales pour atténuer les effets de la croissance en berne. Le monde ne va pas changer. Et question moyens, les économies émergentes vont prendre une part croissante dans l’économie ce qui conduira inexorablement à une désindustrialisation des pays avancés comme la France. Les délocalisations augmentent et vont prendre une importance plus accentuée, contrairement aux années passées. La crise est un moment d’opportunité à saisir pour les entreprises dont le réflexe est darwinien. La reconquête industrielle ressemble à une illusion. François Hollande nous prend-il pour des cons ? L’histoire semble se répéter et la gauche paraît actuellement tout aussi impotente que le fut le Front populaire en 1936.
Ces intellectuels qui nous prédisent une nouvelle société d’après-crise sont-ils aussi ridicules que les lieutenants de forza italia sautillant aux côtés de Silvio ? On se lève tous pour Dany et Sarky. Vive l’écologie, la croissance verte, l’Europe, vive la crise ! La vérité est ailleurs. La crise n’existe pas pour le système des dirigeants, sauf comme une fatigue passagère qu’il faut traiter. La crise est une maladie devenue légèrement aiguë mais qui était déjà présente depuis des décennies. Tout va continuer comme avant. Parce que les fondamentaux et les ressorts du système ne vont pas varier. Le changement, ce sera pour les entreprises qui devront s’adapter et trouver des mesures appropriées. C’est arrivé par le passé et cela se produira dans l’avenir. Et tout sera comme avant. Les promoteurs d’un nouvel ordre social sont-ils des menteurs ? Hollande, Bayrou, Sarkozy, Cohn-Bendit, sont-ils des menteurs ? En 1939, la sortie de crise a nécessité des efforts et des sacrifices dans la société américaine et des drames en Europe. En 2009, l’affaire se présente pour l’instant différemment. Dieu merci, il n’y aura pas de nazisme mais il n’y aura pas non plus d’après-crise. Juste une stagnation, un marasme social, quelques progrès technologiques, conduisant les sociétés avancées à s’adapter aux évolutions des ressources et des zones économiques. Ce qui, compte tenu du niveau matériel, ne laisse pas supposer un mal être. Bien au contraire. Un équilibre de vie peut émerger si les gens savent développer la sagesse. Vouloir à tout prix trouver le salut dans la croissance n’est que folie, partagée par la plupart des politiciens et des préposés aux think tanking, que je vais me faire un plaisir de rebaptiser think sinking. Ou quand la pensée contemporaine fait naufrage !
En conclusion, l’idée d’un pacte social d’après-crise signé au nom de la croissance et du redressement national n’est pas une idée d’avenir mais du passé. C’est celle qui fut adoptée avec succès par l’Amérique sous Roosevelt et hélas, l’Allemagne nazie avec les résultats que l’on sait. En fait, il semblerait y avoir deux options pour aller de l’avant. L’une étant celle des Sarkozy, Cohn-Bendit, Hollande, le pragmatisme volontariste, ce qui revient, en combinant le pessimisme, à une position à la Gramsci, autrement dit, un optimisme dans l’activisme. L’autre pole serait plus culturel, raisonné, philosophique. Mobiliser l’intelligence humaine pour inventer une société qui ne se voue pas à la croissance mais qui aille dans le sens d’une Civilisation, un art d’exister, le chantier est encore vierge, tout au plus, quelques vieilles pierres philosophiques peuvent servir pour construire ce nouveau temple de l’esprit.
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