« Vivre avec les animaux » de Jocelyne Porcher
Jocelyne Porcher (1) a commencé comme éleveuse avant de retourner en formation préparer un Bac agricole à l’âge de 34 ans. Un premier stage provoquera une prise de conscience et une réflexion qui décideront de ses engagements : il s’est agi d’une porcherie auprès de truies encagées dans des bâtiments où le jour ne se distingue pas de la nuit, où l’on ne respirait qu’avec peine, avec des « éleveurs » qui n’avaient à la bouche que le mot « argent », qui battaient les animaux, les insultaient. Le choc fut rude !
1 - Jocelyne Porcher est directrice de recherches à l’INRA-SAD (UMR Innovation, Montpellier). Ses recherches portent sur la relation de travail entre éleveurs et animaux en élevage et dans les productions animales. Elle s’est engagée dans une démarche de recherche après avoir été éleveuse et technicienne agricole...
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"Les nouvelles formes de management des ressources humaines et des ressources animales sont très similaires puisqu’elles se réduisent à un rapport d’intérêt à court terme pour les uns des conditions de vie au travail des hommes et des animaux, lesquels tendent à partager un statut commun de « bêtes de somme ». La fonction implicite de « DRA » (directeur des ressources animales) est pensée de façon très proche à celle de « DRH » (directeur des ressources humaines)."
Dans cet ouvrage, l’auteure précise que « certaines règles du travail qui ont changé dans l’entreprise ont également changé dans les productions animales ; la carrière d’un animal qui est le terme exact pour décrire la place d’un animal dans le travail sur la durée, est également aujourd’hui une chose révolue ; la carrière de l’animal est résumé à ses courbes de performance et arrêtée dès que celle-ci n’est plus conforme aux objectifs.... » avant de prendre à partie la zootechnie enseignée dans les écoles d’agriculture qui se veut la “science de l’exploitation des machines animales”.
Jocelyne Porcher rappelle qu’au milieu du 19e siècle, la zootechnie s’est imposée comme la théorie de l’élevage en dehors de toute pensée de la relation de travail avec les animaux et de toute perspective historique : « Chercheurs et techniciens, les bonnes pratiques d’élevage ont été en grande partie détruites pour lui substituer en l’imposant un savoir-faire comportementaliste sans rapport avec le travail d’élevage. Cette approche scientifique repose sur un déni : celui de l’intersubjectivité des relations entre humains et animaux. »
L’auteure poursuit : « cette quête de connaissance scientifique s’est faite contre les savoirs profanes des paysans. La diffusion du modèle économique dans la relation de travail aux animaux s’est opérée contre leur affectivité et leurs valeurs morales ».
D’où l’exercice d’une violence à la fois physique et symbolique qui a une conséquence terrible chez les éleveurs et les travailleurs : c’est l’humiliation : « L’organisation hiérarchique du travail, dans l’agriculture héritée de la prise en main par la science technicienne des activités agricoles pèse sur les personnes d’une manière sous-estimée. »
La vraie découverte de Jocelyne Porcher est celle-ci : la souffrance des animaux est aussi celle des éleveurs « dont la relation aux animaux reposait, outre la visée de rentabilité économique, sur une dimension d’empathie, de don et de contre-don. Dans l’élevage les animaux restent individualisés ; ils ont un nom, ils sont hébergés, nourris, soignés. Il existe une vraie contagion de la souffrance entre les animaux et les travailleurs : éleveurs, transporteurs, employés des abattoirs. La souffrance résulte de la pénibilité physique du travail avec les animaux dans les conditions industrielles. Les maladies engendrées par les productions animales, chez les humains comme chez les animaux ont des causes communes liées aux conditions de vie au travail dans les systèmes industriels et intensifiés. Les maladies épidémiques des animaux et leur abattage par dizaines de milliers, ont par ailleurs de conséquences affectives et morales sur les travailleurs : culpabilité, sentiment de faire un travail morbide et de trahir les animaux, de les avoir laisser tomber »
Pour Jocelyne Porcher, l’élevage industriel n’existe pas ; seuls existent les systèmes industriels : « Ensemble des activités fondées sur la division du travail et la spécialisation qui ont pour objet l’exploitation à grande échelle d’animaux domestiques en vue de leur transformation en biens de consommation avec le meilleur et le plus rapide rendement technique et financier possible. Les animaux parqués, attachés, engraissés artificiellement, bourrés d’hormones, sont réduits à l’état de machines à profit ; un monde dés-animalisé pour un monde déshumanisé. L’une des propriétés des systèmes industriels est de n’être rattachés à aucun territoire ou pays, de n’être plus paysan. »
On ne saurait être plus clair. Néanmoins, un élément qui prend aujourd’hui une dimension particulière doit être ajouté : la novlangue digne de 1984 d’Orwell dénoncée par l'auteure : « soins aux porcelets » consiste en fait à mutiler les animaux ; « abattage technique » désigne l’élimination des animaux improductifs ; « élevages rationalisés » désigne les systèmes industriels ; le terme « unité » désigne l’animal…
Cette novlangue appliquée à la production animale n’a qu’un but : masquer la vérité de la réalité des conditions de vie et de travail.
Contre la production industrielle animale, à propos de la problématique du « bien-être des animaux », l’auteure fait preuve d’une lucidité à toute épreuve : "Cette problématique s’inscrit dans une démarche paternaliste ; elle vise à minorer les effets dévastateurs de l’exploitation des animaux sans remettre en cause l’industrialisation des productions animales, considérée comme inévitable."
Quant à la position des « antispécistes », l’ancienne éleveuse qu’est Jocelyne Porcher n’hésite pas à rendre le diagnostic suivant : « Leurs théories bénéficient de l’absence de théorie de l’élevage, de théorie morale de l’élevage a fortiori et imposent un système de valeurs apparemment indiscutable. Les animaux d’élevage sont inexistants dans ce champ d’étude comme si le statut de l’animal d’élevage se résumait à son devenir alimentaire dans la souffrance et l’indifférence de l’éleveur. Ces théories ne prennent pas en compte le travail réel de ceux qui le pratiquent avec leur esprit et leur corps en tant que travail vivant. »
Et c’est alors que l’antispécisme devient le porte drapeau du végétarisme dont les agissements et modes de fonctionnement sont assez proches de ceux des sectes.
« A l’heure où la conversion au végétarisme se marie avec la dénonciation de l’élevage, c’est une autre voie que Jocelyne Porcher propose : notre monde ne restera humain qu’aussi longtemps que nous saurons encore vivre et coopérer avec les animaux... » conclue Alain Caillé, le préfacier de l’ouvrage.
Mais alors, le degré de civilisation du rapport de l’homme à l’animal serait-il le meilleur indicateur du degré de civilisation humaine tout court ?
Et l’auteure de nous proposer à la fin de son ouvrage, une pérennité de l’élevage et de nos liens avec les animaux domestiques dans le reconsidération du statut de ces derniers : reconnaître leurs compétences affectives et cognitives : « Comment pourrait-on au XXIe siècle en finir avec l’industrialisation de la mise à mort sinon en ré-instituant une relation d’élevage cohérente avec nos sensibilités, nos aspirations et celles des animaux ! Animaux et éleveurs sont impliqués dans un cycle du « donner-recevoir-tendre » à l’échelle d’une vie d’homme et d’animal mais aussi à l’échelle de la vie d’un troupeau et d’une famille. La relation avec l’ensemble des animaux repose sur une base commune : le respect et la gratitude. Les éleveurs se reconnaissent une dette envers les animaux et le don de la vie bonne est la reconnaissance de cette dette et la reconnaissance de la valeur des animaux. »
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Pour prolonger, cliquez : Le site de Jocelyne Porcher
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