Vote par anticipation, avec machine à voter ou vote par correspondance, fausse bonne solution ?
Mardi 16 février, le gouvernement a déposé au Sénat un amendement destiné à permettre le vote par anticipation avec des machines à voter (vote électronique ) pour l’élection présidentielle de 2022. Mais, cet amendement ne semble pas être du meilleur goût pour de nombreux parlementaires.
Une proposition des plus controversée
Cet amendement ajouté au dernier moment à un texte sur l’organisation technique du scrutin présidentiel prévoit, à une « date fixée par décret, durant la semaine précédant le scrutin », un vote par anticipation dans certains bureaux, via une machine à voter.
Les électeurs pourraient, selon l’exposé du texte, « demander à voter dans une autre commune de leur choix parmi une liste de communes arrêtées par le ministre de l’Intérieur ». Le texte technique sur l’élection présidentielle, déjà adopté par l’Assemblée nationale en janvier, doit être soumis le 18 Février 2020 en séance publique au Sénat, dont la majorité de droite n’y semble guère favorable.
Le président des sénateurs LR, Bruno Retailleau, a affirmé qu’il n’était « pas question que le Sénat puisse prêter la main à ce genre de manoeuvre politicienne » Et de rajouter : « Nous y sommes fortement opposés. D’abord c’est un amendement, ce qui permet au gouvernement de passer sous le radar du Conseil d’Etat, et en dehors d’une discussion parlementaire approfondie. Ensuite, pour l’élection présidentielle qui est la clé de voûte de nos institutions, on ne peut pas faire les choses à la va-vite ». « Un vote par anticipation est totalement opposé à la tradition française, c’est un amendement stupéfiant qui montre la légèreté du gouvernement sur les principes démocratiques », a-t-il conclu.
Un vote par anticipation et par « machine à voter » serait-il compatible avec notre culture électorale ?
A l’évidence, si le choix d’un vote d’anticipation est loin de faire l’unanimité, le principe d’un vote par l’usage d’une machine à voter, ou vote électronique, n’est pas loin de soulever une « vraie bronca », avec à minima des réserves pour des parlementaires de LREM et une opposition des plus fortes pour celles et ceux de droite (LR, Centristes, RN et divers ).
Plutôt que de se perdre dans un débat portant sur des machines à voter, pourquoi, en plus du vote actuel par procuration, ne pas rétablir le vote par correspondance ?
À l’occasion de la pandémie Covid-19, le groupe parlementaire MoDem à l’Assemblée nationale avait déposé une proposition de loi en Janvier 2021, afin que les élections régionales et départementales programmées en 2021 puissent rétablir la possibilité de voter par anticipation et par correspondance.
Le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin avait déjà fait part de son opposition à la résurrection de cette option de vote supprimée en 1975.
En souhaitant rétablir la possibilité de voter par correspondance, l’objectif des centristes, selon eux, est de diminuer l’abstention et ainsi de renforcer la légitimité des élus, alors que nombreux sont ceux qui ont remis en cause celle des exécutifs locaux élus en mars et juin dernier, du fait de la faible participation au scrutin.
Quelles sont les raisons évoquées par les irréductibles opposants au vote par correspondance ?
Le vote par correspondance n’est pas une forme différente de vote présentiel, toutefois, les opposants à ce mode d’expression électoral considèrent que de plus de plus de Français ne se décident qu'au dernier moment, quelques jours, parfois quelques heures avant le scrutin. Or demander aux gens de voter en avance aurait donc, selon eux, indéniablement un réel impact sur les résultats. Il y a le secret du vote, et donc par définition la possibilité de manipulation ou d’instrumentalisation. Pour les opposants, le vote à distance (aussi bien par voie postale que par internet) pose le problème d’éventuelles pressions. Seul le passage par l’isoloir et le dépôt par l’électeur lui-même de son bulletin dans l’urne garantit le secret et la sincérité du vote, à l'abri des pressions familiales, sociales et communautaires que peut induire le vote à distance.
Des risques de contrôle des votes ?
Les opposants au vote par correspondance s’inquiètent par ailleurs qu’avec le vote par correspondance : qui pourra garantir dans certains quartiers que des « semeurs de peur » ne collecteront pas les enveloppes de toute la population afin d’en contrôler le contenu avant leur envoi ? Qui pourra garantir que le chef de famille ou une « autorité morale » locale ne voteront pas en lieu et place de toute la famille ou de toute la communauté afin d’être certain que chacun choisisse le « bon bulletin » ? À l’heure où l’on entend lutter contre le »séparatisme islamiste », a-t-on réellement mesuré toutes les conséquences d’une telle réforme ? Enfin, et c’est la dernière problématique qu’ils évoquent : la mise en place du vote par correspondance ne résout pas le vrai problème qui est celui de la campagne électorale, dont l’année 2020 a montré qu’elle ne pouvait se faire uniquement sur les réseaux sociaux. La véritable difficulté d'un scrutin en pleine épidémie, c'est bien l'impossibilité de faire campagne ou le fait que celle ci se retrouve tronquée.
Problèmes logistiques ?
Autre crainte sur le plan logistique, dont le dépouillement devient en lui-même un enjeu, avec le risque que l’on ne parvienne pas à acheminer la totalité des bulletins à temps. A cet effet, les opposants rappellent qu’en 2017, pour le vote des Français de l’étranger aux les législatives, pas moins d’un quart des bulletins n’ont pu être comptabilisés.
Les opposants au vote par correspondance s’interrogent également : comment concilier le rétablissement de celui-ci avec la désertification rurale, alors même que les bureaux de poste et les boîtes aux lettres sont de moins en moins nombreux dans certains territoires ? Dès lors, selon eux, le vote par correspondance, loin de sécuriser la démocratie, peut l’affaiblir.
Les raisons évoquées par les opposants au vote par correspondance ne peuvent-elles pas être remises en cause et des risques énoncés n’existent-ils pas actuellement ?
Il est évident que le vote par correspondance étant supprimé depuis 1975 ( soit plus de 45 ans) nous n’avons plus la culture de ce mode d’expression électoral, mais est-ce une raison pour ne pas le rétablir ? Le problème du secret du vote est-il aussi réel, tel qu’il est évoqué ? Le risque d’une manipulation du vote au sein de certaines populations n’existe t-il pas actuellement ?
Comment peut-on oublier qu’avec l’actuel vote par procuration les craintes évoquées par les opposants au vote par correspondance existent déjà, malgré que l’électeur qui donne procuration doit se présenter en personne auprès des autorités compétentes (commissariat, gendarmerie, tribunal) : avec un justificatif d'identité admis pour pouvoir voter (carte nationale d'identité, passeport ou permis de conduire par exemple) https://www.interieur.gouv.fr/Elections/Comment-voter/Le-vote-par-procuration. Plutôt que le vote par correspondance, vouloir alléger le vote par procuration et augmenter le nombre de procuration par électeur, comme certains responsables politiques le réclame n’irait- il pas dans le sens des craintes exprimées par les opposants au vote par correspondance ?
Dans l’absolu, le secret du vote dans l’isoloir n’est pas garanti, car préalablement avant d’y entrer, pour certaines populations vulnérables, le bulletin de vote peut leur être choisi dès leur domicile. C’est bien là un secret de polichinelle...
Rétablir le vote par correspondance suppose toutefois de prendre des mesures de sécurité pour garantir la sincérité du scrutin, qui pourraient se traduire de la façon suivante :
Après accord avec les responsables de la poste, un vote par correspondance par courrier postal spécial avec le respect strict des dates d’envoi au cours de la semaine qui précède le scrutin ne serait-elle pas la solution la mieux adaptée ? Vu la situation sanitaire qui ne sera probablement pas encore au beau fixe, pourquoi ne pas mettre en place ce dispositif aux élections régionales et départementales de Juin 2020 ? Il est encore temps pour la mise en place de la logistique...
Après négociation et accord de la profession, pour éviter toute controverse, le lieu de réception des votes par correspondance pourrait être chez un huissier de justice ou un notaire, voire les deux, gendarmerie, commissariat de police. Les bulletins de vote par correspondance seraient réceptionnés et placés dans une urne sous leur responsabilité. La collecte des urnes se faisant le jour du scrutin pour leur ouverture au moment du dépouillement.
Parmi les mesures de sécurité pour l’envoi des bulletins de vote, comme dans les bureaux de vote, le bulletin de vote devrait être mis dans l’enveloppe anonyme, laquelle serait mise dans une enveloppe comportant l’identité et l’adresse de l’électrice - électeur, ensuite cette enveloppe contenant l’enveloppe anonyme avec le bulletin de vote seraient mise dans l’enveloppe pré-timbrée comportant seulement le nom et l’adresse du destinataire (Huissier de justice, notaire, commissariat de police, gendarmerie), suivant le lieu du domicile.
Les tribunaux existent et peuvent être saisi au moindre doute d’insincérité du vote
Il est évident, quel que soit le mode d’expression électoral choisi, il y aura toujours un risque d’insincérité du vote dans certains cas, même si ce risque reste mineur. Lorsque de fortes suspicions existent, il suffit de saisir la justice, soit administrative, soit en pénal, selon le degré de la faute suspectée.
Pour conclure
Au-delà des querelles en légitimité, efficacité ou nature du scrutin, voter doit rester un engagement. Il doit impliquer une démarche de la part des citoyens. Le vote est revêtu d’une charge symbolique, celle de la participation de tous à la vie de la collectivité, quel qu’en soit le niveau. Le vote reste ce moment unique de notre vie démocratique qu’il convient de préserver. Aujourd’hui, par exemple, les Birmans et tant d’autres peuples de part le monde souhaiteraient bien en avoir « un petit bout ».
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