Voter et consentir : une évolution décalée
Alors que certains élus envisagent très sérieusement de demander abaissement du droit de vote à 16 ans, le gouvernement fait passer en un tournemain l’âge du consentement légal de 13 à 15 ans. Que signifie ce décalage ?
Phénomène social récent dans notre histoire, le droit de vote a suivi l’évolution des mentalités depuis deux siècles. Dans son acceptation républicaine, il remonte à 1791 avec, cependant, deux bémols importants. D’abord il est réservé seulement aux hommes ayant au moins 25 ans et qui paient un cens (impôt) équivalant à un minimum de trois jours de travail. D’autre part ce vote-là est indirect, puisque ces primo-électeurs élisent des électeurs encore plus fortunés qui éliront à leur tour les députés qui siègeront à l’assemblée nationale. En 1799, l’âge autorisé pour voter est abaissé à 21 ans par le Consulat, mais le suffrage reste à trois tours et exclusivement masculin. Il faudra attendre la seconde République (février 1848) pour qu’il devienne universel, sous condition de résider au même endroit depuis six mois et de n’avoir pas subi de condamnation. Si 1944 voit les femmes accéder enfin au droit de vote, il faudra attendre 1974 pour que Giscard d’Estaing abaisse l’âge de la majorité civique à 18 ans.
Verra-t-on bientôt le droit de vote ramené à 16 ans ? Un projet de loi, porté par des députés dissidents de l’actuelle majorité, va dans ce sens, quoiqu’il ait été déprogrammé en octobre 2020 par l’assemblée nationale. Il prend acte que d’autres pays européens (l’Autriche, la Grèce ou la Slovénie) l’ont déjà abaissé en dessous de 18 ans. Selon la politologue Céline Braconnier, le droit de vote à 16 ans permettrait de mieux éduquer les jeunes à la citoyenneté, alors qu’ils sont encore, pour la plupart, scolarisés. Ce qui serait aussi une manière de lutter contre l’abstentionnisme des 18-24 ans, qui concerne un bon tiers d’entre eux.
Si, dans le champ civique, on reste donc dans une perspective progressiste, il n’en est pas de même dans le champ de l’intime et de la sexualité en France. A quel âge doit-on établir l’âge légal du consentement dans un pays où – faut-il le rappeler ? – la majorité sexuelle est fixée à 15 ans depuis 1982 ? Cette question a beaucoup occupé les esprits depuis quelques temps. Elle a été largement déterminée par la multiplication des affaires de mœurs impliquant des mineurs et la résonance médiatique dont elles ont bénéficié. Parmi celles-ci il y a certainement l’acquittement prononcé, en novembre 2017, par la cour d’assises de Seine et Marne à l’encontre d’un homme ayant eu une relation sexuelle avec une fillette de 11 ans. Celui-ci – 22 ans au moment des faits – avait été tout d’abord accusé de viol. Mais le témoignage en sa faveur de l’adolescente – qui reconnaissait avoir été consentante – inclina les juges à la clémence. Au grand dam des associations féministes et de Marlène Schiappa, leur porte-voix gouvernemental, qui réclamaient une sévérité exemplaire. Celle-ci tentera en 2018 de faire passer une loi annulant le consentement d’un mineur en dessous de 15 ans ; avant de se rétracter face au Conseil Constitutionnel. Mais l’idée était en marche, d’autant qu’il y avait, sur ce point précis, un vide juridique dans le droit français. Le 21 janvier dernier, la sénatrice centriste Annick Billon fit adopter par le Sénat l’âge de 13 ans comme limite au consentement.
Il faut croire que ce seuil-là était trop bas, puisque les associations de protection de l’enfance (avec le soutien de plusieurs députées) ont tout fait depuis pour qu’il soit rehaussé de deux ans. L’actuel Garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, s’est finalement rallié à leur avis en annonçant, mardi 9 février, que l’âge légal de consentement était porté à 15 ans (ce qui le rabat sur l’âge de la majorité sexuelle). Concrètement, cela signifie que tout adulte ayant des relations sexuelles avec un mineur en dessous de cet âge-là sera considéré comme un violeur et encourra une peine de 20 années d’emprisonnement. Quand bien même l’adolescent(e) se déclarerait consentant(e), puisque cette loi juge qu’il n’a pas la faculté de discernement et en fait d’emblée une victime. Rappelons tout de même que l’âge du consentement légal est de 12 ans en Espagne, 13 ans en Angleterre et 14 ans en Allemagne. Il n’y a guère que la Suisse et les Pays-Bas – 16 ans dans ces deux pays – qui fassent mieux que la France sur ce point.
Qu’est-ce que tout cela nous dit sur la société française actuelle et son rapport à la jeunesse ? Que lorsqu’il s’agit de faire participer les jeunes à la vie civique, nos politiques sont disposés à abaisser l’âge de la majorité ; quitte à supposer qu’un collégien de 16 ans ait les moyens intellectuels de faire un choix éclairé parmi des propositions programmatiques souvent très complexes. Mais sur le versant intime, le législateur dénie à l’adolescent de moins de 15 ans la capacité de faire un choix en rapport, bien sûr, avec ses désirs – ce qui semble pourtant beaucoup plus évident. D’un côté on mise sur l’élévation du niveau de conscience et de responsabilité du jeune ; de l’autre on l’abaisse jusqu’à le tenir juridiquement pour un enfant, alors qu’il ne l’est plus, biologiquement parlant. Cela traduit une approche répressive des moeurs, où la sexualité est à nouveau criminalisée, pour peu qu’elle ne soit pas strictement normative. Manifestement, au pays de Sade, d'Apollinaire et de Bataille, le puritanisme et l’ordre moral ont encore de beaux jours devant eux.
Jacques LUCCHESI
18 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON