Vous avez dit « VIOLENCE SOCIALE »
A partir des derniers évènements survenus chez AIR FRANCE, on tente d'analyser ce que peut être la violence sociale en France, en 2015.
AIR FRANCE
Les incidents survenus lors du Comité Central d’Entreprise (CCE) d’Air France tenu le 5 octobre 2015 ont fait couler beaucoup d’encre en France et à l’étranger. La violence sociale subie par le personnel a quelquefois été évoquée pour expliquer voire justifier les agressions contre des membres de la direction d’Air France.
QUE PEUT ETRE LA VIOLENCE SOCIALE ?
Que peut donc signifier " violence sociale " en France, en 2015 ?
Avant d’entrer dans le vif du sujet, ouvrons une brève parenthèse. Naître constitue le premier acte social de l’être humain, celui par lequel il prend sa place au sein de la société. De sa part, il s’agit d’un acte involontaire s’il en est au point que, quelques années plus tard, certains déclareront :« Nous n’avons jamais demandé à vivre » : Ces fils ingrats et révoltés voient leur naissance comme une violence sociale. Mais fermons vite la parenthèse car cet aspect de la condition humaine (1) n’est sans doute pas la préoccupation première des opposants à la direction d’Air France.
MATERIALISMES
Une large indifférence religieuse caractérise notre société sécularisée. Cette indifférence va le plus souvent de pair avec un double matérialisme. Le premier type, philosophique, affirme que seule la matière existe : des êtres spirituels tels que Dieu, l’âme humaine ou l’au-delà restent inconcevables (2). Le second type, plus terre à terre, marque l’attachement jouissif aux biens terrestres, aux plaisirs, faciles ou non, et à la camelote de ce bas monde. Si, contrairement aux matérialistes, l’on croit au salut de son âme dans un autre monde, on peut (ou on devrait…), sans trop geindre, accepter quelques privations matérielles ou, tout au moins, se passer du superflu pendant notre bref passage sur cette Terre (3). Par contre, il est révoltant de ne pas recevoir sa juste part du gâteau quand on est certain de n’avoir d’autre vie que celle d’ici-bas. Bien entendu, la réalité n’est jamais aussi simple : il existe des matérialistes du premier type qui n’adhèrent nullement au second et vice versa. Par exemple, on trouvera des croyants matériellement très avides pensant probablement recevoir hic et nunc une petite avance sur ce qui les attend à coup sûr au Paradis (4).
CONSUMERISME
Pour conclure cette analyse trop sommaire, admettons que le consumérisme (5) s’est substitué à la religion comme moteur d’existence si ce n’est comme principal générateur d’espoir (6). Cette religion a ses paradis ( les " shopping paradises " ) et ses saints ( les " shopping addicts " (7) ). Il est courant d’entendre, lorsqu’un salarié perd son travail, qu’il " reste sur le carreau ". Tel un pion, il sort du damier social où se joue un consumérisme dont il devient un damné, un hôte du purgatoire dans le meilleur des cas.
Entendons-nous bien : il y a plusieurs degrés dans l’élimination du circuit consumériste. Nous ne parlons pas ici des vrais pauvres et des travailleurs précaires dont les besoins primaires ne sont pas satisfaits, de ceux qui ne rêvent guère de peur d’être encore déçus. Nous ignorons également les très riches. Nous traitons seulement de ceux qui, déjà bien engagés dans le circuit consumériste ( belle voiture, voyages, club de gym, crédits, soins anti-âge etc… ), bref des classes moyennes confirmées, peuvent raisonnablement espérer des avancées consuméristes prometteuses au cours des années à venir. Leur sacro-saint pouvoir d’achat leur permet de s’aventurer dans des régions du superflu situées au-delà de la ligne grise du nécessaire (8). Ceux-là, lorsqu’ils perdent leur travail dans la France de 2015, se sentent victimes d’une violence sociale inouïe. Les syndicalistes des grandes entreprises ont d’abord ce type de violence en tête lorsqu’ils "comprennent " le comportement de certains de leurs camarades lors du CCE d’Air France. Arracher les vêtements d’un DRH, jugé comme valet du patronnat, c’est très symbolique, c’est un germe de guerre civile, la pire des guerres. C’est encore plus fort que de brûler des pneus ou des clayettes en mangeant de sympathiques merguez.
PARTAGE ET SOLIDARITE
Prendre goût au superflu ne rend pas très partageux, ça peut même vous rendre un tantinet égoïste. On assiste à une collectivisation non plus des moyens de production mais des désirs. Hélas, la différence entre un salaire brut et un salaire net ( celui qui permet de consommer sur-le-champ ) est là qui tente de pourvoir aux dépenses sociales notamment au sauvetage des pauvres évoqués plus haut. Sans compter les coûts d’une médecine de plus en plus sophistiquée censée augmenter l’espérance de vie ; sans compter non plus la pression de la compétition internationale L’équation n’est pas simple car, à côté des chiffres, elle fait intervenir le facteur humain comme nous avons tenté de le montrer. Et pourtant, il faudra bien la résoudre un jour ne croyez-vous pas ...
(1)Vraisemblablement jugé comme inacceptable par les transhumanistes les plus intégristes
(2)Le matérialisme est un monisme opposé, par exemple, au dualisme cartésien
(3)Tout en concoctant une nouvelle drogue à l’usage du prolétariat, Marx ne disait-il pas que la religion est l’opium du peuple …
(4) Cependant "… votre or et votre argent sont rouillés … " (Lettre de Saint Jacques sur la richesse)
(5)Le consumérisme, comme le matérialisme, possède deux significations : la première désigne l’action de groupes de consommateurs désireux de faire valoir leurs droits (class action, par exemple), la seconde, employée ici, dit la consommation en tant qu’axe de vie majeur.
(6)A ceux qui trouveraient ce point de vue abusif, il convient de rappeler que l’offre de vie corporelle éternelle se fait de plus en plus précise dans le milieu transhumaniste.
(7)Une shopping addict se rendra, par exemple, dans un shopping paradise de Dubaï afin d’acheter un " it bag " prétendument introuvable ailleurs.
(8)Permettez-moi de rappeler ici mon article " Nécessaire et superflu, marchand et non marchand " ( 26 mars 2015 )
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