Yann Moix l’accusateur
En prenant le parti des migrants contre le chef de l’état, Yann Moix nous rappelle courageusement que l’honneur de la France ne se ramène pas qu’à des questions économiques
Qu’est-ce qu’un intellectuel ? Un homme – ou une femme – qui travaille avec des éléments symboliques, bien sûr, une personnalité dotée d’une capacité à organiser ses idées. Mais aussi un citoyen interpellé par les problèmes de son temps, désireux d’intervenir avec les moyens qui sont les siens dans l’arène publique, prenant parti pour ce qu’il estime être le juste contre l’injuste, quelles que soient les formes que ces notions-là prennent momentanément. Pas question, pour lui, de laisser s’émousser sa capacité à juger. Pas question d’abandonner aux seuls spécialistes la catégorisation du monde. Car l’intellectuel- au sens moderne du terme – se situe d’emblée dans le champ de l’éthique. C’est sous cet angle-là qu’il observe et commente les phénomènes sociaux ou les décisions politiques (quand bien même il aurait ses propres engagements). Son domaine à lui, c’est l’universel, ce qui doit être plutôt que ce qui est. Il est ce fragile aiguillon des consciences et son influence est, bien sûr, proportionnelle à sa notoriété.
On sait ce que firent Voltaire et Zola pour la réhabilitation de Calas et Dreyfus. Aujourd’hui c’est Yann Moix qui assume un peu de leur héritage avec sa lettre ouverte au président de la République, publiée lundi dernier dans Libération. Ainsi entend-il rappeler, à celui qui incarne présentement la voix de la France, ses obligations morales dans la crise migratoire actuelle. On sait que l’écrivain-chroniqueur n’a pas la langue dans sa poche quand il s’agit de dénoncer les errements de notre époque - comme la mise au pilori de Colbert et du Code Noir par les associations anti-racistes d’aujourd’hui. A trop vouloir juger les oppresseurs d’hier, on en oublie presque les exactions de leurs épigones qui se déroulent en ce moment avec l’aval tacite de nos dirigeants. Non, nous ne devons pas nous tromper de cibles et Yann Moix remet à sa façon les pendules à l’heure avec des mots qui claquent comme des coups de fouet : « Chaque jour, vous humiliez la France en humiliant les exilés. ». Ou, plus loin : « Les mesures anti-migratoires sont toujours populaires. Mais, voulant faire plaisir à la foule, vous trahissez le peuple. ».
Le point de départ de cette philippique est dans les brimades que font subir des fonctionnaires français à des migrants qui continuent de se rassembler à Calais dans l’espoir de pouvoir passer en Angleterre. C’est aussi le double discours officiel que met en avant l’écrivain. Que signifie, par exemple, « un usage des gaz lacrymogènes fait dans le respect de la réglementation » argué par le préfet du Pas de Calais ? Imagine-t-on un zélé tortionnaire qui écrirait, dans son rapport, que les séances de baignoire ou de gégène n’ont pas dépassé le seuil autorisé par les médecins ? Cette hypocrisie langagière, Emmanuel Macron en a usé lui-même en déclarant, lors de sa visite à Calais le 16 janvier, « s’élever contre l’idée que les forces de l’ordre exercent des violences physiques en confisquant les effets des migrants », menaçant de sanctions les policiers si ces agissements étaient prouvés. Car il est difficile de croire à la sincérité du chef de l’état face à ce que Moix appelle « un protocole de la bavure ».
La France est-elle en train de devenir comme la Chine ? Obnubilée par sa croissance économique, elle met de plus en plus sous le boisseau les Droits de l’Homme et les problèmes humanitaires afférents. C’est pour tenter d’enrayer cette dérive fatale de la politique que nous avons, plus que jamais, besoin de la parole critique des intellectuels. Dont Yann Moix est, momentanément, le surgeon le plus flamboyant.
Jacques LUCCHESI
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