Zone 51/CIA : une redite, comme rapport, mais à lire quand même
C'est encore un peu l'été et la presse n'a rien à se mettre sous la main (les journalistes ignorent jusqu'au nom de JJ Cale, c'est vous dire). Alors lorsque la CIA remet un rapport sur l'existence de la fameuse base 51, jusqu'ici toujours niée, pensez donc, on y a droit à Roswell et aux extra-terrestres en papier mâché ou en caoutchouc façon Jacques Pradel. Car bien entendu, pas un des journalistes ne s'est coltiné la LECTURE attentive de ce volumineux opus de plus de 300 pages. Et pas un ne s'est aperçu que tout avait déjà été écrit et répandu à l'extérieur dans une version expurgée, il est vrai (*) ! Et pourtant, cela regorge d'informations, dont je vais bien sûr vous livrer les premières bribes ici-même, en attendant de pousser plus loin la lecture. Sans trop de surprises, ce rapport démontre une chose évidente : à Groom Lake, il y avait des machines volantes étonnantes, certes, mais de fabrication humaine seulement. Et des êtres humains surtout comme pilotes, obligés à une réserve bien verrouillée, étant donné le contexte, celui de la Guerre Froide, où tous les articles de presse étaient épluchés par les espions adverses, même les journaux de jardinage. Cette sortie estivale de documents de la CIA est donc l'occasion de revisiter un pan de l'histoire contemporaine. Mais commençons tout d'abord par des engins volants venus d'ailleurs. De l'URSS tout d'abord...
La zone 51, une zone mystérieuse ? Pour sûr, à lire cette savoureuse anecdote retrouvée dans mes archives aéronautiques (in Aviation Magazine, N°922 de juillet-août 1986), sur le "Box", la zone interdite de vol autour de la Base 51 : "c'est de là que l'USAF met en œuvre les matériels soviétiques qu'elle est parvenue à récupérer, (exemple avec ce Mig 21 flambant neuf) comme par exemple le MiG-23 qui s'est écrasé l'an dernier avec, aux commandes, le général Bond. Il est vraissemblable que c'est également sur ce terrain qu'elle expérimente le F-19 à technologie Stealth's, et non à Indian Springs comme ont pu le prétendre certains auteurs (ce sera le F-117 au final, précédé par l'expérimentateur de taille réduite Have Blue, qui a été enterré sur place après accident !). "Le site de Groom Lake, lui, offre de bien meilleures garanties de discrétion, comme en témoigne la mésaventure survenue en1982 à à un pilote de Jaguar anglais participant à Red Flag. Victime d'une chute de poussée alors qu'il évoluait dans la partie Nord-Ouest du "Range", il essaya de regagner Nellis par la voie la plus directe, ce qui l'amena à survoler la "Box" (le surnom de la Zone 51). Son avion étant de plus en plus difficile à maintenir en ligne de vol, il aperçut la piste de Groom Lake et, malgré l'interdiction, s'y posa. Retenu là pendant plusieurs jours, il fut finalement restitué aux anglais mais ne se souvenait plus ni de son nom, ni de son grade, ni bien entendu de ce qui s'étaitpassé durant les jours précédents...
Par lasuite, la mémoire lui revint peu à peu, sauf pour ce qui concerne son séjour à Groom Lake. Une bien mystérieuse base, décidément..." concluait l'encart. Vouloir vider les mémoires des pilotes qui avaient eu le malheur de s'y poser, avouer que ce la pose question... quant au général Bond, héros de Corée et du Viet-Nam s'était tué en effet en tentant de s'offrir une sortie un peu présomptueuse sur un délicat à piloter Mig-23 qu'il ne connaissait ni d'eve ni d'adam en pilotage : il crashera son appareil à mach 2,5, en réussissant néanmoins à s'éjecter, mais sa tête heurtant le cockpit, il sera retrouvé mort au sol. Des avions soviétiques "subtilisés" ou fournis par des transfuges, cela ne manque pas en effet aux USA, et c'est à Groom Lake qu'on les testait. Il y en eu plusieurs. En Floride, on retrouvera même un Mig-29 Moldave, par exemple.
L'origine de ces avions russes est parfois surprenante : si on compte en effet logiquement sur les défections, au début, la CIA s'active beaucoup pour obtenir par la bande des avions soviétiques pour les étudier en détail et l'Air Force pour les tester en combats aériens qui doivent bien entendu être entourés du plus grand secret. A Groom Lake, devenu de facto zone interdite de survol pour les avions commerciaux ! "Le Lieutenant No Kum-Sok fait défection le 21 Septembre 1953 et son MiG est devenu le premier d'une longue liste détenue par les États-Unis. Les pays occidentaux ont déjà eu un regard sur le Mig-15 plus tôt cette année-là.
(En novembre 1953 à Wright-Patterson on testera aussi un Yak-23). Le 5 Mars 1953 le pilote polonais Franciszek lieutenant Jarecki a volé de Slupsk (Polish Air Force Base) à l'aéroport de Ronne sur l'île de Bornholm, dans un Mig-15bis. Les spécialistes aériens occidentaux ont vérifier l'avion et quelques jours plus tard, et le Mig a été retourné à la République populaire de Pologne par bateau. Jarecki, cependant, est allé ensuite aux États-Unis, où il a fourni beaucoup d'informations importantes sur les avions soviétiques moderne et la tactique de l'air (voir son interview en bas de document où l'on indique qu'il sera l'objet d'une tentative d'assassinat par le KGB). Le 20 mai 1953 Lt. Zdzislaw Jazwinski du 28 Escadron de chasse à Slupsk (le même escadron que le lieutenant Franciszek Jarecki) fait défection avec Mig-15bis (un biplace) de l'aéroport de Ronne sur l'île de Bornholm. Le 7 novembre 1955 le Lt. Kozuchowski du 31 e Escadron d'appui à Lask fait défection avec son Mig-15 et sécrase près de Halland en Suède, et le 25 septembre, 1956 Lt. Zygmunt Gosciniak de Zegrze Pomorskie fait défection avec un Mig-15bis
et il atterrit à l'aéroport de Ronne sur l'île de Bornholm. A cette époque, toutefois, le Mig-15 était considéré comme une conception hors d'usage, ayant été remplacé par le supérieur Mig-17." Le premier Mig 15 testé pour l'avait été à la base de Wright-Patterson en Ohio). Tous les avions russes étaient alors testés par le 4477th Test & Evaluation Squadron, surnommé obligatoirement... les “Red Eagles.” Un groupe basé au Tonopah Test Range, juste à proximité de Groom Lake.
Les souvenirs du commandant de la base, John Manclark, demeurent précis et rappellent combien les tests étaient dangereux, tant les manuels faisaient défaut et les tableaux de bord étaient rédigés en cyrillique : sur le MiG-21 (et les J-7 chinois ou le fameux Yak yougoslave) : "Il y avait pas de réserves (d'essence) - c'était un combattant "sur place". "Nous ne savions pas ce que 90 pour cent des interrupteurs faisaient. Nous avons changé l'ASI (l'indicateur de vitesse) et des parties du système d'oxygène. Nous avions un interrupteur que nous avions juste étiqueté "explosion de bombe". « C'était amusant de voler. On pouvait voir assez bien les limites -dont la manette des gaz -.. Il y avait deux jauges de RPM (tours par minute), et si vous vous les laissiez trop éloignées l'une de l'autre, à 80 pour cent du maxiumum, il vous fallait 17 secondes pour obtenir la pleine puissance. Lorsque vous aviez volé quelque temps, vous aviez vite remarqué un cran qui était là pour vous rappeler de ne pas le faire". Le souvenir surtout était que le Mig-23, à contrario, était une vraie brute à piloter (dompter) :
Dans les années 50, au milieu des premiers Mig 15 subtilisés venus se faire tester, s'ajoute en 1967 un Mig 21 d'origine irakienne cédé par Israël, via le travail du Mossad auprès d'un défecteur irakien, Munir Redfa. L'avion posé par Redfa l'année précédente sur la based'Hatzor est testé par Dani Shapira, leur meilleur pilote. Cela leur fera gagner la guerre des 6 jours de 1967. L'avion, très recherché, sera échangé contre la vente de Phantom II américains. Les pilotes US ne tariront pas d'éloges sur le Mig 21, plus petit que les leurs, ou sur le Mig-17 qui était considéré comme dépassé alors qu'au Viet-Nam il leur menait la vie dure. "En 1961, un pilote soviétique déçu a volé ave son intercepteur Sukhoi Su-9 jusqu"à Abadan, en Iran. Seuls des détails très fragmentaires sur cet incident sont connus aujourd'hui encore, mais l'avion et le pilote ont été ramassés par les agents de la Division des technologies étrangères (FTD) du DoD. Après avoir été démonté en moins de 24 heures, le Su-9 a été transporté aux Etats-Unis, tandis que le pilote a suivi peu de temps après. En 1966, le capitaine irakien Munir Redfa fait voler son MiG-21F-13 vers Israël.
Deux ans plus tard, Israël a rétrocédé son MiG-21F-13 et deux MiG-17F aux États-Unis pour l'évaluation. Les deux Mig 17 et Mig 17 d'origine syrienne seront baptisés « Have Drill », et t Have Ferry", ils n'arriveront qu'en 1969)" Le Mig 3 est devenu YF-110B, les MIg-17 YF-113A ou YF-114C dans la terminologie américaine. Pas question de parler de Migs, bien entendu, lors des conversations radios !
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Parmi les sources de matériel russe, plus tard, dans les années 80, c'est le secteur... privé qui va permettre à la CIA de s'informer. Avec la création notamment de Private trainers Military Professional Resources Incorporated (MPRI) créé en 1987 par 8 généraux US à la retraite. Ils sont alors très proches d'Executive Outcomes, des mercenaires d'Afrique du Sud dirigés par un anglais, qui s'étaient saisis d'hélicoptères d'attaque MIl Mi-24 Hind de Mig 17 et d'un Mig-23 pour combattre en Sierra Leone. Auparavant, les USA ont obtenu le 6 septembre 1976 un des fleurons de la gamme soviétique, leur plus belle prise :
un Mig 25, capale de flirter avec Mach 3, conçu pour abattre le B-70, grâce à la défection surprise de Viktor Ivanovitch Belenko, pilote du 513eme régiment de chasseurs de la 11 eme Armée de l'Air des Forces soviétiques, qui pose son lourd appareil à Hokodate au Japon (en tout bout de piste !). L'avion sera retourné en URSS après avoir été démonté examiné et rermonté, le Japon ayant refusé de le céder aux américains (Belenko avait même emmené avec lui le manuel de vol car il espérait le voir voler aux USA). Il gagnera une rente à vie aux USA par Gérald Ford pour sa défection. L'un des derniers en date sera le capitaine Alexander Zouïev qui posera son MiG-29 à Trabzon, en Turquie, le 20 mai 1989. Lui aussi, comme Belenko, racontera son épopée dans un ouvrage.
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Mais bien auparavant, en plein désert du Nevada, un autre appareil était arrivé discrètement, emballé sous une bâche, dans les soutes d'un C-124. Un appareil bien américain, celui-là. Ses premiers essais débutent le 27 juillet 1955. C'est le nouveau projet de l'inventeur du Starfighter, Kelly Johnson, véritable génie de l'aéronautique, qui vient d'emporter le concours d'un avion de reconnaissance avec son modèle CL-282. Sa première ébauche est d'ailleurs un Starfighter à l'aile agrandie, décollant sur un chariot comme le faisait le premier Arado 234 (les allemands ont laissé bien des traces !). L'avion, fabriqué pour voler très haut, est un engin totalement secret : c'est Richard Bissell en personne, responsable de la CIA et du projet U-2, qui, en volant au dessus du lac asséché de Groom Lake (page 56 du rapport), en compagnie du commandant Osmund Ritland, chef du projet baptisé Oilstone (voir page 60 du rapport), et de Tony LeVier, pilote en chef chez Loockheed, qui a choisi le coin pour son éloignement, sa discrétion et son grand lac asséché permettant les atterrissages en catastrophe. L'engin se révéle difficile à mettre au point, a un moteur capricieux, tue deux de ses pilotes (Wilburn Rose et Frank G. Grace) il n'y a que 6 nœuds de différence entre sa vitesse de croisière en altitude et la vitesse de décrochage !), mais finit par atteindre ses objectifs, à savoir de voler au-delà de 70 000 pieds (21 336 mètres), là où pas un autre avion vole à l'époque. Le projet suivant, "Aquatone", peut se mettre en place.
Son but, aller survoler l'URSS, car l'avion est aussi conçu comme un véritable camion à caméras diverses !!! Entretemps, les riverains qui voient les reflets du soleil sur un point minuscule en aluminium poli se déplaçant lentement dans le ciel crient à l'OVNI. Les dossiers s'accumulent dans les commissariats des environs. Des pilotes, pris dans l'ombre gigantesque de l'U-2 sous le soleil volant 40 000 pieds au dessus d'eux s'étonnent aussi. Des riverains qui voient passer des DC-4 du transport militaire, ressemblant plutôt à des appareils civils : une vraie noria, qui se perpétue aujourd'hui en 737, avec à la descente des contrôles intermiables en plein tarmac en 1956 : on ne badine pas avec la sécurité d'un projet ultra secret, aux Etats-Unis !
L'engin, fin prêt fin 1955 peut être déployé en Europe. En Angleterre, tout d'abord, puis en Allemagne ensuite (ou il tuera un troisième pilote) : tout va très vite, les américains ayant besoin de renseignements pour commencer les premières discussions sur le déploiement des armes en URSS. Pour le grand public, l'engin sera présenté comme un avion de la NACA, future NASA. Aux USA, les préparatifs sont allés bon train : "Le recrutement de pilotes opérationnels a commencé à la fin de 1955. Le processus de sélection a été rigoureux, et ceux qui se dirigaient pour le déploiement et survols devaient démissionner de leurs travail et rejoindre la CIA sous contrat.
Les six premiers pilotes opérationnels sont arrivés à Watertown (le nom humoristique donné à Groom Lake, un désert ; visible ici avec de superbes clichés), à la mi-janvier 1956. En collaboration avec les planificateurs de mission, les opérations, la maintenance, la sécurité et le personnel de maintenance de contrat, ils ont formé le « Détachement A ', le premier de trois de ces unités. Il a été déclaré prêt à se déployer à la mi-avril, époque à laquelle 10 appareils avaient été livrés. À la fin avril, quatre d'entre eux ont été démantelés, chargé dans un C-124 de l'Air Force Transports, et envoyés à la base américaine de Lakenheath dans l'est de l'Angleterre. Le Projet Aquatone était une opération secrète, donc une « histoire parallèle de couverture » était nécessaire. Le 7 mai 1956, le Comité consultatif national pour l'aéronautique (NACA - le prédécesseur de la NASA) a publié un communiqué de presse qui a décrit l'U-2 comme un avion pour la recherche aéronautique capable d'atteindre 55 000 pieds.
L'avion de la NACA volerait aux États-Unis, et à partir de bases aériennes américaines à l'étranger. À Lakenheath (en Angleterre), les avions ont été ré-assemblés et ont commencé leurs essais en vol", indique le rapport. Entre temps, on a construit tout un bâtiment, aux USA, pour développer les clichés que va ramener l'avion dans d'énormes bobines de fil faisant plusieurs km de long. En janvier 1956 on double ses capacités, sous le nom de projet HTAUTOMAT (page 83 du rapport), installé au Steuart Building sur la 5th Street en plein New York Avenue. A "Watertown", on loge les pilotes et le personnel dans des caravanes préfigurant les fameuses Airstream, au bord des grands hangars construits à la hâte pour réparer et dissimuler les U-2.
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(*) Ce rapport a bien un goût de déjà vu car j'en avais déjà utlilsé ici des extraits pour des articles sur l'espionnage satellitaire et les caméras de l'U-2. Ce que d'autres que moi ont remarqué depuis, mais que les journalistes n'ont pas vu ces derniers jours : "Ce que la CIA a publié en réponse en 2005 une demande d'accès à l'information est une version nettement moins expurgée d'une histoire de deux principaux programmes de reconnaissance aérienne. Écrit par les deux historiens de l'agence Gregory Pedlow et Donald Welzenbach, et intitulé"The Central Intelligence Agency and Overhead Reconnaissance : The U-2 and OXCART Programs, 1954-1974", l'étude a été publiée sur de plus petits médias en 1992. Par la suite, une version lourdement expurgée de la partie U-2 a été publiée, en 1998, par leCenter for the Study of Intelligence dans un livre, The CIA and the U-2 Program, 1954-1974, en conjonction avec une conférence de la CIA sur le U-2. L'étude complète, sous forme expurgée, avait été libérée en réponse aux demandes FOIA." précise ici le 15 août Jeffrey T. Richelson dans "The Secret History of the U-2" in The National Security Archive.
-The Cia and The U-2 Program 1998 :
-ici l'anlayse des différences de versions
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