Zoo porn à Pompidou
« Là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie » disait François de Sales, saint patron des journalistes et des écrivains. Longtemps, lorsque j’entendais cette formule, je m’amusais à penser en mon for intérieur « Et là où il y a Dieu, il y a des bondieuseries ». Aujourd’hui, devant certaines formes prises par l’Art, je me demande souvent s’il y a du diable dans les diableries de plus en plus gonflées (dans le sens de « culotté ») qu’il nous faut subir quotidiennement.
Parmi les diableries du jour, je range la sculpture habitable, actuellement érigée sur le parvis du Centre Pompidou, représentant un humain forniquant, façon levrette, avec un quadrupède. Selon le directeur du centre Pompidou « Cette œuvre est une magnifique utopie en prise avec l’espace public ». Quelle utopie ? Dans l’esprit de notre haute sommité parisienne des Arts, il s’agit peut-être d’une illustration du fameux « Jouir sans entraves » de mai 68. En quelque sorte, un instantané partiel d’une immense partouze utopique rassemblant adultes, enfants, vieillards, macchabées, animaux et cucurbitacées où déviances et perversions du vieux monde seraient oubliées. Une ordalie présidée par Dionysos où seuls ceux qui ne deviendront pas fous seront épargnés. Quant à moi, je suppose que l’œuvre, intitulée Domestikator, suggère que l’être humain nique la Nature sans vergogne, entretenant avec elle des relations ancillaires éhontées. Aucune utopie ici. Sous le même titre, l’artiste - Joep Van Lieshout, sculpteur néerlandais – aurait pu nous montrer un macho proposant une promotion canapé à une stagiaire ou un rich sugar daddy domestiquant une beautiful sugar baby (1), autre version de l’aveugle et du paralytique. Sous le même thème et le même intitulé, il aurait pu aussi bien exposer un globe terrestre plongeant dans du glyphosate. Il a préféré une scène zoophilique.
On peut se demander si l’artiste a d’abord choisi un thème écologique pour l’illustrer d’une image sexualisée ou, à l’inverse, s’il a voulu montrer une scène sexuelle affublée, a posteriori, d’un message écolo. Quoi qu’il en soit, ne soyons pas surpris puisque la FIAC (2) nous a accoutumés à des œuvres transgressives. Joep Van Lieshout, bien qu’il ait produit des choses comme Bar Rectum et autres morceaux du même acabit n’est pas pire que les autres. Qu’on le veuille ou non, le sexe joue un ou le rôle de premier plan dans la condition humaine. La récente affaire HarvWeinstein, limitée au seul champ hétérosexuel, nous le rappelle si besoin en était. Même désacralisée au sein d’un monde individualiste qui se voudrait sans tabou, la sexualité doit être manipulée précautionneusement. L’exutoire du problème a pour nom « pornographie ».
Plus de trois siècles avant Freud, Montaigne écrivait « Nous avons une arrière-boutique où nous pouvons discuter avec nous-mêmes en toute honnêteté ». L’Art, quasiment inattaquable, permet à certains de sortir de l’ombre quelques obsédantes pièces de leur arrière-boutique. Comme dans ces ventes de garage où des objets incongrus voire indécents, cachés pendant des décennies, atterrissent sur un trottoir au vu et au su des chalands. Un quidam Nord-Américain baguenaudand sous Domestikator déclare, peut-être pour éviter de passer pour un ringard, "Cela matche bien l'utile à l'agréable, ça donne le sourire. C'est amusant, j'aime bien", Qu’en termes niaiseux (3) ces choses-là sont dites ! Notre ravi ne tiendrait-il pas dans son arrière-boutique la maquette d’un village enchanté où des gynécées phalliques côtoieraient des garçonnières aux huis vulvaires ? Pardi ! il valait bien la peine de brûler 300 litres de kérosène pour voir ça avant de mourir.
Ah ! J’allais oublier ! Je n’ai pas collé par hasard le terme « diableries » à des œuvres artistiques. Pour cela, je m’appuie sur une déclaration de Roméo Castellucci : « L’Ange de l’Art c’est Lucifer » (4). Ce Roméo, sans doute en avez-vous déjà entendu parler. Souvenez-vous : il est l’auteur de cette pièce de théâtre du Festival d’Avignon 2011 où le visage du Christ reçoit des excréments. Et puis, si au XIXème siècle, Charles Baudelaire pouvait encore écrire « La plus belle des ruses du Diable est de vous persuader qu’il n’existe pas », aujourd’hui, comme les chaussettes, le Diable ne se cache guère plus : les horreurs innommables du XXème siècle ont dégagé le terrain.
L’eau et le feu ne peuvent coexister éternellement : un jour, il faudra bien choisir entre ce visage et la Sainte-Face que contemplait Thérèse de Lisieux. On n’évitera pas non plus de devoir trancher entre les plugs anaux monumentaux (5) et les croix de nos chemins. Comme vous le comprenez, il s’agit de symboles. De temps en temps, une bifurcation surgit devant des peuples qui pensaient pouvoir suivre ad vitam aeternam la vieille et paisible voie de leur Histoire. Des troisièmes voies ont pu exister par le passé mais, au début du troisième millénaire, les étaux civilisationnels se sont resserrés, rendant certains compromis impossibles. Seules des scissions pourront peut-être éviter les tragédies.
(1) « Riche meet Beautiful » (Richesse et beauté se rencontrent). Cela fait penser à Karl Marx citant Shakespeare dans Les Manuscrits de 1844 ; « Je suis laid, mais je peux m'acheter la plus belle femme. Donc je ne suis pas laid, car l'effet de la laideur, sa force repoussante, est anéanti par l'argent »
(2)Foire Internationale d’Art Contemporain dans laquelle s’inscrit l’exposition de Domestikator
(3)Comme on dit au Québec
(4) « The Angel of Art is Lucifer » déclarait-il, en 2002, à Real Time Arts, magazine australien.
(5) « Tree » (arbre) de l’américain Paul McCarthy dressé place Vendôme dans le cadre de la FIAC 2014
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