Rocard-Bayrou-Voynet : le big-bang
L’appel de Michel Rocard dans Le Monde du 13 avril à une alliance Bayrou-Royal avant le premier tour sera-t-il le « big-bang » de cette indécise campagne ?
L’appel de Michel Rocard, dans Le Monde du 13 avril, à une alliance Bayrou-Royal avant le premier tour sera-t-il le « big-bang » de cette indécise campagne ? « Isolés, ni eux ni nous, n’avons aucune chance de battre la coalition de Nicolas Sarkozy et Jean-Marie Le Pen. Mais rassemblés avec les Verts, la gauche sociale-démocrate et le centre démocrate-social constituent une majorité dans le pays. Et dans deux semaines elle peut devenir la majorité réelle. C’est la chance de la France. »
Ou bien arrive-t-on là au summum caricatural de cette campagne où, les candidats n’ayant guère réussi à faire émerger véritablement un projet sur lequel se jouera la présidentielle, tout devient affaire de tactique et d’image... et d’alliance pour la majorité parlementaire future, qui décidera, quelques semaines plus tard, quelle sera finalement la politique du pays ?
Car cette présidentielle est perchée entre deux trous noirs. Le trou noir du Non au TCE qui, en barrant provisoirement la route à l’Europe politique, achève d’évider la démocratie et la souveraineté populaire, à l’échelle nationale (c’est le thème populaire "la politique ne sert à rien" : oui, car l’économie se joue à l’étage au dessus !) Et le trou noir des législatives qui se retrouvent, par la terrible erreur de Jospin (« l’inversion du calendrier »), placées juste après la présidentielle. Or, la France reste un régime parlementaire : c’est la majorité du Parlement qui choisit le Premier ministre. L’inversion du calendrier a couplé cette majorité au vote présidentiel : on a simplement oublié de dire à quel moment se négociaient les alliances et le programme !
Donc, Rocard propose une alliance immédiate (avant le premier tour de la présidentielle) entre Royal et Bayrou, contre Sarkozy et Le Pen, incluant les législatives suivantes. Naturellement, un accord, tout le monde à gauche le souhaite. Je ne vois pas qui pourrait souhaiter, à gauche, que Bayrou appelle à voter Sarkozy au second tour. Sarkozy, qui s’est considérablement lepenisé, aura déjà probablement un report de voix considérable de l’électorat lepeniste.
Alors, arrêtons de jouer les vierges effarouché(e)s : face au péril Sarkozy-Le Pen, plus il y aura d’alliés, mieux ça vaudra. Le problème, encore une fois, c’est que Rocard joue la pure tactique, et n’évoque même pas le commencement d’une ébauche d’un programme commun. En fait, il ne fait que constater la situation objective dans laquelle s’est placé Bayrou. Ou bien Bayrou se retrouve au second tour face à Sarkozy et évidemment il voudra les voix de la gauche. Ou bien il ne s’y trouvera pas, et on voit mal comment, ayant préparé ce second tour en concentrant ses coups les plus durs contre Sarkozy, il pourra se prononcer pour lui. Rocard ne fait que constater cette réalité.
Plus intéressant : Bayrou a chaleureusement acquiescé à la proposition de Rocard. Il s’est donc (trop vite pour son électorat de droite ?) enfermé dans une position qui n’était vraiment pas la sienne il y a un an : au centre gauche. J’ai analysé ailleurs (http://lipietz.net//spip.php?breve215) les raisons de cette évolution de Bayrou, fortement marqué par l’expérience Prodi. Peut-on dire que Bayrou est tombé dans le « piège » que lui tendait Rocard ? Pas tout à fait. Rocard offre aussi à Bayrou un schéma de majorité parlementaire possible (mais pour le moment tout à fait virtuel), alors que jusqu’à présent c’était la grande faiblesse de Bayrou : contrairement à Royal, il n’avait pas l’ombre de l’idée d’une majorité parlementaire possible, si par hasard il se retrouvait au second tour à battre Sarkozy.
La réponse dilatoirement négative de Ségolène Royal est justement le miroir de cet argument. Etant plus à gauche, elle a de ce fait moins de chances que Bayrou de vaincre Sarkozy au second tour. Mais elle a un avantage sur Bayrou : elle peut disposer d’une alliance de partis qui pourrait, dans la foulée, remporter les élections législatives. Rocard, en les remettant à égalité, elle et Bayrou, à la tête potentielle d’une alliance du centre et de la gauche, lui tire un peu le tapis sous les pieds.
Mais il faut rappeler que le Parti socialiste n’a pas compris non plus les conséquences de « l’inversion du calendrier ». Au fur et à mesure qu’on approchera de l’élection présidentielle, l’ombre portée de la législative immédiatement conséquente deviendra de plus en plus un argument politique, et le PS s’est très mal préparé à cette échéance. Mieux que Bayrou, certes, mais à peine. La somme des voix socialistes (environ 25 %), des écologistes, et des cinq représentants de la « dynamique du Non » (un peu plus de 10 %), c’est très insuffisant. Surtout, le PS ne peut véritablement expliciter ses alliances législatives qu’avec la vieille union de la gauche de 1973, c’est-à-dire les radicaux et le parti communiste (plus sa tendance interne-externe que sont les chevènementistes). Contrairement à Bayrou qui peut au moins exhiber le ralliement de Lepage et même de Waechter (!), le PS n’a même pas trouvé, en cinq ans de règne de la droite, le temps de négocier un accord en bonne et due forme avec les Verts qui, lorsqu’ils se présentent aux élections à la proportionnelle, pèsent environ 10%.
Bref, l’appel de Rocard se solde finalement par un potentiel léger « plus » pour les adversaires de Sarkozy, tout en relançant une compétition Bayrou-Royal pour le premier tour, en en modifiant les termes : un problème que l’entourage de Ségolène Royal pensait dorénavant réglé à son profit.
La réponse de Dominique Voynet, tout aussi poliment négative, est parfaitement compréhensible. Déjà, ranimer la compétition Bayrou-Royal pour le premier tour réduit encore les chances d’un vote pour les « petits candidats ». Mais surtout, l’idée d’un accord avec Bayrou avant le premier tour enterrerait définitivement cette double campagne sous le signe de la pure tactique. Alors que les Verts peuvent encore espérer qu’un sursaut des électeurs, votant au premier tour selon leurs convictions (l’ancien adage « au premier tour on choisit, au second tour on élimine »), réimposera dans cette campagne les thématiques écologistes, la proposition de Rocard réduit à nouveau la politique à un pur jeu abstrait d’alliances partisanes. D’où l’appel de Dominique Voynet à ce que chacun vote, au premier tour, pour ce en quoi il croit : après, on verra.
Et elle a parfaitement raison. Progressivement, toutes les grandes coordinations d’associations pouvant se reconnaître peu ou prou dans les Verts comme étant le parti qui exprime leurs aspirations et propose des réponses, sont en train de le dire explicitement.
Les réponses de Dominique Voynet à divers questionnaires lui ont valu d’être placée en tête par : l’Alliance pour la Planète (71 associations environnementales dont le WWF, les Amis de la Terre, la fondation Nicolas Hulot, Greenpeace, la Plate-forme du commerce équitable...), le Collectif Urgence planétaire (ONG de développement : CCFD, CRID, Cimade, Secours catholique...), la Ligue des droits de l’homme et le Collectif pour la santé environnementale. Elle a en outre reçu un « prix spécial avec mention Transparence » par l’association Anticor, association d’élus qui luttent contre la corruption. Et cerise sur le gâteau : l’autorisation donnée par Nicolas Hulot, porte-parole de l’Alliance pour la Planète, de faire état de son soutien sur la profession de foi de Dominique Voynet.
Bref, pour Dominique Voynet et pour les Verts, il est vital que ce premier tour se joue projet contre projet et non pas combinaison contre combinaison (même s’il aurait fallu, s’il faut et faudra tisser des alliances). Mais n’est-il pas un peu tard ? Les Verts, eux aussi, ont eu cinq ans pour construire, avec les associations, un socle de propositions à présenter à leurs alliés potentiels (PS, et maintenant Bayrou). C’est ce qu’ils appelaient « co-élaboration ». Cette co-élaboration semble se concrétiser vraiment in extremis. Pèsera-t-elle sur le résultat ? C’est-à-dire, permettra-t-elle à Dominique Voynet et aux Verts d’émerger comme le plus important des petits partis de luttes et de gouvernement, conditionnant le contenu du futur « accord d’après le premier tour » ?
Pour l’avenir de la planète comme pour celui de la société française, c’est ce qu’on peut souhaiter de mieux.
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