A Corinne,
Vous vous donnez beaucoup de peine pour faire le tri entre ce qui serait bien ou moins bien chez Voltaire.
Le problème, tel que je le vois, ne se pose pas tout à fait de cette façon. Il me semble incontournable de lire la Correspondance dans sa totalité en prenant des notes. Comme elle couvre plus d’une cinquantaine d’années du XVIIIème siècle, elle permet de voir de près les différents événements, et de définir le contexte dans lequel Voltaire intervenait. Le résultat est très impressionnant... et accablant.
Comme vous allez le voir, à travers les quelques paragraphes que voici, tant que l’on n’a pas vécu cette expérience, il est très difficile de savoir de quoi il est effectivement question.
Prenons l’affaire Calas. A travers les propos que tient Voltaire et les documents d’époque, il apparaît aussitôt que Calas a effectivement tué son fils. La chose paraît beaucoup moins choquante quand on comprend la violence des affrontements qui secouaient cette famille bien avant ce drame, une violence qui était connue des pouvoirs publics et qui avait donné lieu à des décisions administratives précises touchant l’un des frères de la future victime.
Ensuite viennent les conditions matérielles du crime... Tous les derniers doutes s’évanouissent. Mais laissons cela. Le reste est beaucoup plus instructif !...
En effet, l’intervention de Voltaire ne ressemble en rien à ce que l’on (l’Education nationale, mais aussi l’ensemble de l’Université) raconte. Elle se situe dans un montage qui n’a rien à voir avec les Calas, mais qui concerne la finance helvète (réformée). Elle va tracer la future route de Necker, dont vous savez sans doute que sa qualité de réformé aurait dû lui interdire l’accès à de hautes fonctions dans les finances du royaume de France (en application de la révocation de l’Edit de Nantes).
Voici le noeud politique et financier de l’affaire Calas...
L’un des hommes d’affaires de Voltaire était le banquier helvète et réformé Jean-Robert Tronchin. Avec d’autres financiers réformés, ce dernier va obtenir de Voltaire qu’il façonne le scandale dont ils avaient besoin (le réformé Calas prenant l’apparence d’un martyr victime des catholiques) pour plier le royaume de France à leurs exigences de financiers réformés, en un temps où ce royaume courait à la ruine qui devait effectivement déboucher sur la Révolution de 1789.
Lorsque le jugement a été (fictivement) cassé (on n’a effectivement cassé que la décision de première instance, sans toucher à la décision en appel, qui était pourtant la seule opérante), Jean-Robert Tronchin a reçu le poste de fermier général... bien que réformé.
Quant à la ruine du royaume, elle tient à la défaite de la France dans la guerre de Sept-Ans dont une citation de Voltaire présente dans l’un des commentaires que je fais ici vous permet de voir quelle source d’enrichissement elle aura été pour Voltaire (l’un des financeurs les plus importants de la... dette publique) et pour l’ensemble de la finance helvète (réformée).
Mais lisez donc la Correspondance !...
Vous n’en comprendrez que mieux les événements actuels.
Avec toute ma sympathie,
Michel J. Cuny
Pour Morpheus,
Merci pour les encouragements que vous me prodiguez.
La venue de Robespierre dans votre propos me conduit à dire que dans le rapport de l’Assemblée constituante présenté par Pierre Cot pour le vote sur le premier projet de Constitution présenté au peuple de France à la Libération (celui qui a été rejeté par le suffrage universel), le nom de Robespierre apparaissait deux fois.
Pierre Cot, ministre de l’Air du Front populaire, avait eu, comme chef de cabinet... Jean Moulin. Lorsque celui-ci a rédigé le texte fondateur de ce qui s’appelait alors le Conseil politique de la Résistance, il y a fait figurer l’adverbe « souverainement » qui qualifiait la place éminente de cet organisme dans l’ensemble formé par la Résistance...
Au même moment, Pierre Cot, qui s’était réfugié aux Etats-Unis, écrivait un ouvrage en deux tomes : Le procès de la république, dans lequel il montrait pour quelles raisons seul le Conseil en question pouvait être le porteur provisoire de la souveraineté, en attendant que le peuple puisse choisir lui-même ses représentants.
Parallèlement, Pierre Cot soulignait le caractère second du Comité français de la Libération nationale présidé par de Gaulle. Le 21 février 1943, à Londres, celui-ci a apposé sa signature au bas d’un texte qui portait effectivement l’adverbe « souverainement ».
Si maintenant vous consultez le deuxième tome des Mémoires de guerre (Plon, 1956) à la page 445, vous verrez que le texte fondateur que de Gaulle offre à l’Histoire souffre, en un point très particulier, de la présence de trois points de suspension à l’intérieur même d’une phrase...
C’est à cet endroit que, comme le montrent les deux brouillons qu’il nous a laissés, Jean Moulin avait écrit : « souverainement ». Comme chacun sait, dès la Libération, le Conseil National de la Résistance a été passé par pertes et profits.
Françoise Petitdemange et moi-même avons écrit cela et quelques autres choses du même tonneau dans un livre paru il y aura bientôt vingt ans : « Fallait-il laisser mourir Jean Moulin ? » (Editions Paroles Vives). C’était en 1994.
Depuis - et selon ce que Jean-Noël Jeanneney nous avait dès cette époque présenté comme à peu près inéluctable - nous sommes interdit(e) de présence dans l’ensemble - et dans le détail - de la presse nationale parlée, écrite ou télévisuelle.
Voilà pourquoi votre message tombe au moment où il faut, et là où il le faut.
Très amicalement à vous,
Michel J. Cuny
Pour Anaxandre,
Je suis très content de vos deux interventions qui fournissent le cadre général du problème que posent la personne, les écrits et la réputation de Voltaire.
Cela rejoint très exactement le travail que j’ai réalisé depuis plusieurs années sur l’histoire de la propriété à l’époque moderne : John Locke, Cantillon, Adam Smith, David Ricardo, Charles Ganillh, Malthus, etc., pour, ensuite atteindre Edmund Phelps, prix Nobel d’économie en 2006.
Mon prochain livre : « Quand le capital se joue du travail - Chronique d’un désastre permanent » est à l’impression. Il reprend toutes ces questions par le détail, et surtout, en fournissant, lui aussi, un maximum de citations des différents protagonistes.
Cette façon de travailler permet de comprendre pourquoi Françoise Petitdemange et moi-même avons décidé, il y aura bientôt quarante ans, de nous tenir à l’écart des éditeurs, et de tenter le tour de force de vivre de l’écriture de nos livres sans rien devoir céder sur les contenus : ce qui aura été fait.
Mais voici qu’avec Agoravox en particulier, le circuit change pour nous comme pour bien d’autres... en offrant à tout un chacun l’occasion de donner le meilleur de soi.
Très cordialement à vous,
Michel J. Cuny
Pour Roungalashinga
Cette affaire de loterie paraît s’être redoublée d’une falsification de documents en liaison avec des notaires du Châtelet ...
Mais, en ce qui concerne les guerres, voici ce qu’il est intéressant de relever. Voltaire en était l’un des entrepreneurs, ainsi que le révèle, entre autres documents, la lettre que le poète-guerrier-fournisseur adresse le 8 juin 1743 au comte d’Argenson, ministre de la Guerre :
« Je me flatte, monseigneur, que je partirai vendredi pour les affaires que vous savez. C’est le secret du sanctuaire, ainsi n’en sachez rien. Mais si vous avez quelques ordres à me donner, et que vous vouliez que je vienne à Versailles, j’aurai l’honneur de me rendre secrètement chez vous à l’heure que vous me prescrirez. Nous perdons sans doute considérablement à nourrir vos chevaux. Voyez si vous voulez avoir la bonté de nous indemniser en nous faisant vêtir vos hommes. Je vous demande en grâce de surseoir l’adjudication jusqu’à la fin de la semaine prochaine. Mon cousin Marchand [fournisseur aux armées, cousin de Voltaire] attend deux gros négociants qui doivent arriver incessamment et qui nous serviront bien. »
Bien sûr, ceci n’est encore qu’un hors-d’oeuvre : il ne faut jamais perdre de vue que Voltaire a terminé sa vie en ayant accumulé une des fortunes les plus importantes... du monde de son temps. Ainsi pense-t-il avoir investi 2 millions de livres à Ferney - château, dépendances, une centaine de maisons vendues ou en location, des manufactures de montres, etc.
Selon les estimations que je fournis, à soi seul, cela représente 10 000 années de travail pour un manouvrier... Or, pour Voltaire, c’est seulement une rubrique parmi d’autres...
Michel J. Cuny
A Taverne,
Merci d’être pareillement magnanime avec moi. Mais citez-nous donc les textes sur lesquels vous vous appuyez.
En attendant, j’attirerai votre attention sur ce fait que « Candide » a été publié en janvier 1759, c’est-à-dire tout juste après que Voltaire ait fait le compte des sommes colossales que lui a déjà rapportées la guerre en cours, c’est-à-dire celle que l’on dénommera plus tard : Guerre de Sept-Ans (1756-1763).
Voici, en effet, l’essentiel de ce qu’il avait écrit le 14 octobre 1758 - c’est-à-dire quelques semaines plus tôt - à son homme d’affaires, Jean-Robert Tronchin :
« Comptons, mon cher correspondant, afin que je ne fasse pas de sottises. »
« Voilà donc 456 000 livres [c’est-à-dire l’équivalent de 2280 années de travail pour un manouvrier de l’époque (200 livres par an), le fantassin ne touchant lui en moyenne que 150 livres !!!...] et plus pour payer 240 000 livres [1200 années de travail !...] ou environ ; restera entre vos mains 216 000 livres [1080 années de travail !!!...].
Que la guerre continue, que la paix se fasse, que les hommes s’égorgent ou se trompent, vivons et buvons. »
C’est bien cette lettre-là qui mériterait d’être commentée par les futur(e)s bachelières et bacheliers ! Et je ne vous ferai pas l’injure de vous demander d’où venait tout cet argent.
Michel J. Cuny
A Alex,
Merci pour ce commentaire « musclé ».
Ma petite citation est extraite de l’ouvrage « Voltaire - L’or au prix du sang » que j’ai publié en 2009 aux Editions Paroles Vives. Il totalise un peu moins de 500 pages qui m’ont permis de ne pas donner qu’une petite citation... mais rien qu’un peu plus d’un millier.
Il me semble que vous n’avez jamais ouvert un seul des 13 tomes de la Correspondance. Au surplus, il est très clair que vous ne connaissez rien ni à la marquise de Pompadour, ni au cardinal de Bernis, ni aux frères Pâris. Ainsi ne connaissez-vous rien de l’« utilité » d’un personnage comme Voltaire, dont je vous ferai remarquer que l’un des nombreux financiers avec lesquels il lui est arrivé de travailler n’était autre que Jean-Joseph de Laborde, l’ancêtre à la sixième génération, en ligne directe, d’Ernest-Antoine Seillière de Laborde (l’ex-patron du MEDEF).
Pour vous, je pense que je peux m’en tenir là.
Michel J. Cuny
Bonjour à vous,
Votre article présente l’intérêt d’appeler à des questionnements multiples qui touchent aussi bien les structures que les personnes appelées à intervenir dans le cadre de ces structures. Dans le cas qui nous occupe, il se trouve que je suis un voisin d’enfance de Christian Lajoux. Je n’ai certes pas suivi la même voie que lui. Me voici écrivain.
L’extension de mes recherches sur l’histoire de l’économie politique et sur les pratiques de production et de recherche m’a récemment offert le plaisir de travailler à la fois sur le Médiator, et sur la place prise par Sanofi-Aventis dans le développement de l’industrie du médicament tout au long de la petite quarantaine d’années qui constitue l’histoire même du Médiator. Or, pour l’époque récente, Christian Lajoux y occupe une place déterminante.
Le livre issu de ce travail est sorti il y a un peu moins d’un an : « Une santé aux mains du grand capital ? - L’alerte du Médiator » (Editions Paroles Vives, 2011)
Christian Lajoux l’a lu dès sa parution, alors que nous nous étions perdus de vue depuis un peu moins de quarante ans.
J’imagine son grand étonnement. Et j’ai eu, moi-même, il y a quelques semaines, la surprise de découvrir, à travers l’Expansion, qu’il se promettait de publier un ouvrage sur la question du Médiator en septembre prochain. Je ne doute pas une seconde qu’il s’y trouvera des éléments de réponse au mien, tant les documents que j’ai rassemblés sont plus que susceptibles de l’appeler à s’expliquer.
De façon plus générale, et compte tenu de l’expérience que je peux avoir de la gravité de ce type de question, je ne peux que vous encourager à poursuivre l’important travail que vous réalisez ici vous-même. Très cordialement à vous,
Michel J. Cuny
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