D’huloterie en huloterie, comme la France ruine son image face aux climato-sceptiques et à Donald Trump
Tandis que le temps s’accélère face au changement climatique et à la destruction des espèces, Monsieur Hulot paraît dépassé par la stratégie médiatique des industriels et des poids lourds du gouvernement. L’homme semblait pourtant au fait des stratégies d’image. Naïveté, cynisme ?
19 mai 2016 : « A l’occasion de cet anniversaire, la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme et EDF, partenaire fondateur, renouvellent leur engagement par la signature d’une nouvelle convention de partenariat pour une durée de trois ans. » Comme tous les Français, le Groupe EDF sait que Monsieur Hulot est « ministrable ». (Nicolas Hulot et Monsieur Lévy, président du Groupe EDF). (Pour le communiqué de presse complet : https://www.edf.fr/sites/default/files/contrib/groupe-edf/espaces-dedies/espace-medias/cp/2016/cp_20160519_fnh.pdf).
ACTE 1 : NON-SORTIE DU NUCLEAIRE, EDF AU SECOURS DU SOLDAT HULOT
« C’est une erreur de casting », disait en 2003 Nicolas Hulot de Roselyne Bachelot lorsqu’elle fut nommée au ministère de l’écologie. Alors conseilleur de Jacques Chirac pour l’environnement, Nicolas Hulot jugeait ce président « imprégné de sincères convictions écologiques » (voir ici), même s’il regrettait sa « solitude » face aux lobbies de l’agriculture productiviste et du nucléaire. Comment gommer le désastre en termes d’image quand le ministre annonce le mardi 7 novembre que l’objectif de réduction ou sortie du nucléaire est abandonné ? Dès le 11 décembre 2017, le Groupe EDF vole au secours de la communication énergétique du gouvernement Philippe : son PDG, Jean-Bernard Lévy annonce le « Plan solaire » du Groupe EDF. En termes de couverture médiatique, c’est le jack-pot , toute la presse spécialisée et généraliste est présente : le chiffre annoncé, 25 millliards, est énorme. Le PDG développe ensuite ses intentions dans Ouest France : « Avec 1,5 % de la production, cette énergie était marginale. A terme, ce sera 15 %, 20 %, 25 %. Le journal insiste sur les 35 milliards de dette du Groupe : « C’est une vraie préoccupation », reconnaît le PDG. La Cour des comptes estime à 80 milliards le « grand carénage » des centrales nucléaires, indique l’intervieweur. C’est moins, rassure le PDG : « Les investissements sur 2014-2015, c’est bien 48 milliards ». Différence : 32 milliards ! Et le PDG de préciser : « Nous avons réduit les coûts d’investissements du grand carénage de 13 % par rapport à ce que nous annoncions en 2014 » (soit seulement 48). Pour l’EPR de Flamanville, maintien des positions : « La situation s’est (même) améliorée ». « Ce sera bien une vitrine technologique ». Mais, entre les lignes, on comprend bien l’effet de ciseau dans lequel est pris le groupe : baisse structurelle du photovoltaïque, augmentation structurelle du nucléaire. Il faudrait un prix plancher à l’électricité non-carbone. La solution est trouvée : fixer un coût supérieur à la tonne de carbone, un « prix plancher pour le C02 », nous dit le PDG. Or, aujourd’hui, le coût de la tonne est de 5 dollars. Monsieur Macron voudrait le voir à 30. Les ONG, elles, préconisent 80, voire 120 dollars, l’idéal pour rendre définitivement non rentables le charbon et le fuel. Mais la création d’un grand marché du carbone ne peut être qu’internationale : en l’absence des USA, du Canada et de la Russie, une telle régulation est inenvisageable. Et ce d’autant plus que ces pays en partie au-delà du cercle arctique voient le réchauffement comme un atout. Jusqu’à présent, la décision puis la régulation étatique, ont imposé et protégé le nucléaire : immergé par le vœu même de l’état dans un contexte international, le Groupe EDF ne peut compter sur aucune régulation pour empêcher le scénario de la faillite. La seule solution serait de cantonner ses actifs quelque part dans un hors bilan, à l’image de ce qui a été fait pour la crise du Crédit Lyonnais. Plus que jamais, éviter le désastre climatique impose de faire disparaître le passif financier de la France.
En tout cas, en termes d’image, le baromètre Statista, pour BFM.com, le montre : Nicolas Hulot reste une des personnalités préférées des Français : 46 %, en remontée de 1 %. La remontée d’Emmanuel Macron est spectaculaire : + 9% ; + 11 % pour Edouard Philippe. 46è place dans le baromètre Journal du Dimanche/Europe1 , juste après Madame le Pen (et 34 pour Monsieur Macron). A l’évidence, Emmanuel Macron n’a pas fait d’erreur de casting en promouvant cette personnalité comme ministre ; les reniements de celui-ci semblent en plus montrer l’indifférence de l’opinion par rapport à l’écologie. Quel prix devra-t-on payer jusqu’à ce que cette dernière envisage l’importance de la crise biologique ? Il est clair que Monsieur Hulot, en reniant le rôle d’ambassadeur naturel qu’on lui avait attribué, participe à cette occultation. Et cela s’amplifie…
ACTE 2 : MONSIEUR HULOT, VOUS REPRENDRIZ BIEN UN PEU DE GLYPHOSATE ?
Etats généraux de l’alimentation : chef d’orchestre, Emmanuel Macron ; maître de ballet, Edouard Philippe. Dans le premier rôle, le ministre de l’agriculture « et de l’alimentation ». Nicolas Hulot n’ira pas à la journée conclusive. C’est l’occasion pour le commentateur de noter qu’entre juillet 2017 et décembre 2017, le fossé entre Stéphane Travert et Nicolas Hulot s’est profondément creusé. En juillet, les deux ministres affichaient encore à Versailles une unité de façade en lançant ces « états généraux », malgré une passe d’arme feutrée sur les insecticides tueurs d’abeilles. Ex socialiste frondeur, réélu député de la Manche, donc d’une circonscription plutôt rurale, pour Yannick Jadot « le discours deTravers est dicté par la FNSEA ». En effet, quand on focalise plus précisément, on voit le ministre se réjouir que l’autorisation du glyphosate ait été raménée à 5 ans, au lieu des 10 prévus, en omettant de dire son alignement complet sur la position allemande dénoncée comme agro-business. Si on lui fait remarquer que Monsieur Macron voulait trois ans, le ministre fait remarquer sur LCI : « Je n’y vois ni cafouillage ni quoi que ce soit d’autre (...). Si je n’étais pas soutenu, je ne serai pas là ce matin devant vous. » La seule constante du ministre de l’agriculture semble donc être son soutien aux pesticides. Sa position se renforce au fil des mois contre la position de Monsieur Hulot, si toutefois celui-ci en a une.
ACTE 3 : AEROPORT-NOTRE-DAME-DES-LANDES, FAIRE PORTER LA COMMUNICATION D’UNE REPRESSION DEJA PLANIFIEE A MONSIEUR HULOT ?
On sent bien là encore l’effritement de la position de Monsieur Hulot. Le ministre des affaires étrangères, Yves Le Drian, jette soudain son poids dans la balance des pro-NDDL. Monsieur Le Drian, c’est le poids des socialistes ralliés à En Marche dans le Grand Ouest ; poids sans lequel En Marche existerait difficilement seul dans cette région, qui est clé quand on analyse les votes régionaux Front national/Monsieur Macron aux présidentielles. Quant au porte parole du gouvernement et secrétaire général d’En Marche, Christophe Castaner, celui-ci déclare dans Le Parisien du vendredi 1er décembre : « 200 à 300 Zadistes se préparent au combat ». Et ce n’est pas le Journal du dimanche qui dira le contraire : dans « Les photos secrètes de la ZAD », il montre l’entrée d’un inquiétant souterrain qui servirait de repli aux Zadistes… Mais d’où viennent les photos ? Du journal ? Très vite, Libération les met en cause (voir ici). Pire, pour Arrêt sur images, il s’agirait de photos données par la gendarmerie elle-même (je pencherai pour cette hypothèse : dans l’une, on voit sur une image une collection de talkies-walkies, un ordinateur, des prises USB, etc., un plan de la zone et autres objets difficilement discernables typique des collections issues des perquisitions. On ne voit vraiment pas les Zadistes rassembler eux-mêmes ce tableau de chasse, ou un(e) journaliste le faire. Confronté à tout ceci, le JDD reconnaît que, eh non, les images ne viennent pas d’eux… Et de modifier le titre de l’article, qui devient : « Des photos de Notre-Dame-des-Landes qui inquiètent les forces de l’ordre ». Mais peu importe pour le train de l’information : des chaînes d’information en continue à France 5, des journalistes parfois presque effrayés reprennent les menaces que feraient peser les Zadistes sur l’ordre public.
« Surveiller, se cacher, blesser, communiquer » : tel est l’un des sous-titres du Journal du Dimanche qui surmonte la photo présentant une collection hétéroclite d’objets. La phrase semble issue du manuel d’instruction d’un service de répression. Pourquoi ne pas ajouter « tuer » ? Après tout, à Sivens… Pourquoi ne pas présenter aussi des témoins cachés derrière un rideau et qui réciteraient le même texte écrit par le ministère de l’intérieur ? C’est quoi ce journalisme ?
CONCLUSION
Nicolas Hulot se sentira-t-il contraint de démissionner si Notre-Dame-des-Landes reçoit l’aval d’Emmanuel Macron ? Que fera-t-il ce dernier choisit de préserver le bocage, mais de profiter de la présence de 200 ou 300 Zadistes pour se donner une image d’intransigeance sur le plan sécuritaire ? Comment Nicolas Hulot peut-il accepter le soutien affiché par Monsieur Le Drian pour un aéroport à NDDL ? Dans la relation que nous entretenons avec notre planète, même le ministre des affaires étrangères semble avoir choisi de parler contre celle-ci, enfermé dans des références d’un autre temps. Conséquence directe : si Emmanuel Macron veut jouer durablement face à Donald Trump la « carte » bio-climatique, la crédibilité de sa politique environnementale intérieure rendra cette aspiration vaine sur le plan international.
Pierre-Gilles Bellin
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