Créer une Ecole Nationale des Chefs d’Entreprise pour sortir de la crise
Face aux graves problèmes d’irresponsabilité économique et sociale des dirigeants actuels, il devient urgent de penser à l’impulsion d’un nouveau creuset de dirigeants, capables de porter une nouvelle culture en étant à la hauteur des enjeux du 21e siècle. Cela ne peut se faire dans le cadre des formats existants qui ont prouvé leur défaillance dans l’accompagnements des pratiques actuelles. Il faut inventer une nouvelle école publique en s’inspirant de la naissance de l’ENA en 1945, créée pour repenser la classe dirigeante compromise par la Collaboration.
Une société vit et se développe par la probité et la qualité de ses élites. Au regard de l’histoire, il est plutôt facile de constater cette loi heuristique que l’actualité vient encore nous rappeler. Après 1929, et le fourvoiement de la classe dirigeante et notamment des milieux d’affaires dans une gestion spéculative et pire une hausse des taux d’intérêt qui avait étranglé d’autant plus l’économie, voici venu le temps de la crise spéculative mondiale la plus globalisée de toute l’histoire. Mieux, pendant que les anciens hérauts du libéralisme prêchaient l’intervention de l’Etat pour assurer la pérennité du système, les dirigeants de grandes entreprises renflouaient leur train de vie en transformant les aides d’état en stock options inventant par la même des « parachutes permanents ». Face à l’incohérence de cette attitude, mais aussi à l’affront fait au reste des parties prenantes, il faut bien avouer que les remous sont nombreux dans l’opinion.
Que faire ? C’est la seule question qui mérite d’être posée.
Du point de vue politique, il y a l’option d’une redistribution des richesses. Richesses que le système actuel siphonne « vers le haut », via une concentration des richesses vers le top-management qui part le plus souvent dans l’évasion fiscale, avant de terminer dans un trou noir « à la Madoff ». On peut convenir que une réorientation des richesses ne peut donc être plus nuisible que le système actuel qui accélère son auto-destruction économique. Cela paraît assez probable.
Mais, comme le précise la plupart des professionnels, on risque de ne pas relancer suffisamment l’économie. Or, l’économie, ce sont deux choses. La capacité d’échanger (incluant celle de consommer)... et celle d’inventer une offre à valeur ajoutée. Or, si une redistribution peut servir une relance des possibilités d’échange, le bât blesse sérieusement sur la capacité d’offre.
De nombreux exemples témoignent aujourd’hui d’un vrai problème de création de valeur : Renault et l’absence de voiture écologique, Total et l’absence d’énergies de substitution malgré les forts bénéfices engrangés, des banques qui détruisent plus qu’elles ne créent de valeurs (compte tenu des quinze dernières années d’évolution financière), des mutuelles d’assurances qui font monter leurs primes en faisant baisser les remboursement, une édition musicale qui cherche à maintenir sa rente pendant que les artistes vont tisser des liens directs avec le consommateur... Nombreuses sont donc les illustrations d’un vrai décalage perçu entre offre, demande et aspiration.
D’où cela vient-il ?
D’abord d’un problème de culture. L’origine et la piètre culture financière, faible en connaissances de sciences humaines, a considérablement fragilisé le potentiel des entreprises. Comme dit le proverbe, « Quand on a une tête de marteau, on voit des clous partout ». L’uniformité et la faiblesse des grilles de lecture a asséché le potentiel créatif. Pire, l’innovation s’est retrouvée confrontée à un jeu de piste se terminant souvent en impasse, d’autant plus kafkaïen que les discours officiels vantaient la dite course à l’innovation. Combien de salariés en charge de l’innovation ont quitté leur entreprise, écœurés par le manque de volonté et de moyens. Après le développement durable, l’innovation est d’ailleurs la deuxième « tarte à la crème », l’autre discours obligé des entreprises.
Or, ce problème de culture est dû à une concentration communautaire. Quelques grands corps trustent les directions, les conseils d’administration. Les financiers, les étudiants sortant de Polytechnique ou de grandes écoles de commerce (les trois grandes). En dehors, point de salut. Les castes se reconstruisent au fur et à mesure que les strates des entreprises deviennent non poreuses. Cela crée évidemment un danger terrible pour toutes les organisations, la certitude d’élite.
Il est aujourd’hui très urgent de remettre du transverse, cher à Edgar Morin. C’est à dire des individus ayant un parcours large et touchant à une diversité de domaine. Mixer aussi les compétences dans chaque direction pour nourrir la diversité des approches, seule garante d’une meilleure analyse stratégique, grande perdante des dernières décennies.
Infuser intensément en sciences humaines les directions comme les équipes afin de les rapprocher de leur environnement et de leurs parties prenantes. Ce faisant, remettre de l’ouverture, de la distance, de la confrontation au réel. Malheureusement, les entreprises sont devenues aujourd’hui de grandes armées obéissantes.... et sans capacité d’inventer. La raison du chef est la plus forte et annihile tout potentiel sur son passage. Cette évolution s’est faite pour des raisons d’efficacité. Or, cela n’a pas empêché les entreprises d’aller dans le mur : L’Oréal a dû racheter Body Shop pour assurer son relais de croissance et d’innovation. Total peine à inventer de nouvelles énergies malgré les forts bénéfices. Renault comme les trois grands constructeurs américains a pris dix ans de retard sur la voiture écologique et laissé Toyota, constructeur minoritaire il y a dix ans, prendre le leadership de la voiture hybride. Sans parler des banques qui ont illustré cette bonne phrase de Jean Yanne « Il est facile de manipuler les foules. Il est encore plus facile de manipuler les élites. »
L’urgence est donc au rafraîchissement du système de désignation des dirigeants d’entreprise. Pour cela, une solution : créer une Ecole Nationale des Chefs d’Entreprise. Son but : former les dirigeants aux nouveaux enjeux de la société et aux nouveaux modèles de création de valeur : proactivité dans le développement durable, nouveau cadre de relation-client (en tenant compte des logiques de gratuité), implication réelle des parties prenantes, création de coopérations plus diversifiées... Son rôle dans la société : être un vivier de dirigeants ou d’administrateurs responsables, sur lesquels les administrations publiques pourraient s’appuyer (en exigeant par exemple leur nomination dans les conseils d’administration en préalable de subventions). Le meilleur moyen de construire un contrat win-win sans pour autant contraindre par la loi.
Existe-t-il d’autres écoles qui offrent cette opportunité ? Non. Car, elles subissent toutes le moule très fort de leur origine qui leur ont fait préféré la pérennité de leur confrérie au questionnement de leur pratique. Cette école ne serait-elle pas menacée à terme par les mêmes pratiques ? Sans aucun doute. Mais, le bon stratège agit pour rétablir l’équilibre et réinventer des perspectives. Or, le cœur est la formation des dirigeants actuels. Cette démarche n’est pas sans précédent. En 1945, après la seconde guerre mondiale, l’ENA fut créée pour satisfaire aux mêmes logiques. Créer un renouvellement des élites compromis par la Collaboration. L’idée n’est pas de punir, mais bien d’inculquer de nouvelles pratiques, qui auront du mal à être greffées sur des « grands corps malades ».
Le temps presse. L’actualité récente prouve que la redistribution ne suffit pas. Les scandales des « stocks options d’Etat » que ce soit avec AIG ou la Société Générale témoigne du besoin de renouveler les classes dirigeantes. Cela passe par une nouvelle école qui formerait sur des enjeux plus adaptés au 21ème siècle et surtout à une plus grande responsabilité en devenant le partenaire privilégié des acteurs politiques et des ONG. L’idée est lancée. Le courage c’est d’agir, disait un grand homme politique. Il s’agit maintenant de se donner les moyens d’avancer.
Ensuite problème de confraternité. Casser les plafonds de verre. Casser les mécanismes de caste. Pas parfait, mais l’urgence est de rééquiliber un système quand on le voit partir à la dérive. Bateau qui penche : courir de l’autre côté.
"L’espoir est dans l’esprit et le combat du pire."
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