Dénigrement

Peindre en noir
Il se trouve parfois qu'un quidam d'importance en vienne à déplorer quelques propos acerbes jetés à son encontre et se sente alors honteusement dénigré ! La réaction est légitime même si elle se fonde sur une relative méconnaissance de ce verbe péjoratif. Dénigrer puise son origine étymologique dans la racine latine « niger »- adjectif qui signifie noir, au sens neutre du terme sans connotation péjorative au départ- et impliquerait le fait de peindre en noir la réputation de quelqu'un qui serait ainsi entachée de quelques déplaisantes scories. Il faut admettre qu'aucun personnage public n'est tout blanc ; le terme serait alors comparable à la médisance : il apporterait une coloration usurpée à une carte de visite vierge jusqu'alors, de toute tache.
Souvent, ne se sent dénigré que celui qui a quelques parties obscures à se reprocher en dépit d'une vitrine blanche incontestable. Le dénigrement ne serait alors, paradoxalement, qu'une mise en lumière de la part d'ombre, une sorte de clair-obscur, un éclairage pas toujours favorable, certes, mais nécessaire à l'expression d'un petit complément à la vérité. Combien de gens profitent-ils de réputation usurpée sous le seul prétexte d'avoir position sociale et reconnaissance ?
Ledit prétendu dénigreur se meut alors en lanceur d'alerte ou bien en aiguillon nécessaire. Il fait tomber le masque, dévoile ce qu'il convient de taire pour que cesse de se poursuivre l'illusion si commode. Il n'ajoute pas du noir : il se contente de le mettre en évidence ou d'y braquer un projecteur. S'il inventait, nous entrerions alors dans la diffamation, ce qui, avouons-le, est d'une tout autre nature.
Nul n'est à l'abri de ce risque ; chacun a dans son parcours des zones troubles, des passages incertains, des fautes qu'il vaut mieux ne pas étaler en place publique. Le dénigreur ne doit pas entrer dans le registre personnel, intime, secret. Il se doit de pointer du doigt ce qui relève de la dimension officielle : il vient abattre la statue du commandeur, briser l'image factice quand tant d'autres sont aveuglés par les grimaces et les simagrées.
Bien sûr, il lui en coûte tout autant qu'à sa cible. Celui qui dit la vérité risque d'être exécuté bien avant de connaître l'éventuelle déchéance de son opposant. C'est le risque à assumer quand la réputation illusoire d'un notable mérite d'être déchirée pour enfin laisser apparaître un portrait plus juste, plus réaliste et sans paillettes. Auparavant, le porteur de vérité aura été celui qui remue la fange, qui ose dire ce qu'une communauté aime à cacher.
Sous prétexte que le linge sale ne se lave qu'en famille, il n'est pas simple de blanchir les bas-fonds de la petite bourgeoisie. On s'y serre les coudes, on se défend, on y dispose de moyens puissants pour repousser le malotru, pour le mettre au ban de la coterie. Il est certain que, repoussée à la marge, sa voix est souvent étouffée, son combat devient dérisoire et souvent inaudible.
Cependant, petit à petit, les mots finissent par faire leur chemin et le méchant finit par perdre un peu de son crédit. Il a été discrédité, déprécié, dépeint selon ses véritables mérites et ses incontournables limites. La teinture en noir du dénigrement a fait son œuvre : elle a imprégné les fibres profondes, celles qui, justement, avaient du noir à l'âme.
La critique est nécessaire, elle est souvent féconde quand elle permet de remettre les points sur les i, de cesser de croire à l'infaillibilité ou en l'image préfabriquée d'un individu. Personne ne doit échapper au regard critique, au nécessaire droit d'inventaire. Ce n'est pas parce qu'il est devenu icône en silicone, qu'il doit échapper à la remise en cause de sa légende.
Même s'il ne faut pas voir tout en noir, il ne faut pas non plus se bercer d'illusions et accréditer des fictions savamment orchestrées par des médias serviles et obséquieux. Il y a toujours lieu de s'interroger quand tout concourt à faire d'un individu une idole, un modèle absolu. Plus il y a tapage autour de celui-ci, plus il devient utile de remettre en cause l'unanimité apparente, la ronde des flatteurs.
Ce que l'on prétend être dénigrement, mais qui n'est qu'ajout d'une teinte essentielle, d'un contraste nécessaire est un éclairage qui apporte une nuance au mythe. Il n'a de sens que mis en confrontation avec les louanges habituelles, le récit embelli de la saga du héros local. Il corrige en quelque sorte la photo surexposée où l'on ne distingue pas suffisamment les détails . C'est ainsi que chacun, peut en conscience, se faire une opinion plus juste. Récuser le rôle de celui qui jette un voile sur la mythologie du grand homme est le propre de ceux qui veulent fermer les yeux par opportunisme, intérêt ou bien convenance personnelle.
Quant au dénigreur et à son modèle, il est évident que leurs rapports sont placés sous le sceau du conflit et de l'exécration. C'est sans doute le fruit de quelques trahisons, de déceptions immenses et d'une prise de conscience douloureuse. L'un étant sans doute plus victime que coupable d'une réaction qui est totalement viscérale.
Dénigrement mien.
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