Emmanuel Todd, bon à l’extérieur, moins bon à l’intérieur
Beaucoup attendaient avec impatience le nouvel opus d’Emmanuel Todd, espérant, une fois de plus, bénéficier de son talent de pédagogue pour comprendre simplement des phénomènes compliqués. "Après la démocratie" est un très bon ouvrage, mais loin d’atteindre l’excellence d’"Après l’empire". En 2002, il fallait être particulièrement visionnaire et intelligent, pour décrire avec précision la future chute finale de la puissance prédatrice américaine. En 2008, en pleine Obamania, Todd fut l’un des premiers à mettre en garde contre la nouvelle administration, mise en place par les multinationales et les banques, qui ont mené le système américain dans le mur.
En politique étrangère, sur la Russie, les Etats-Unis, l’Afghanistan, l’Iran... Todd a toujours eu raison. En politique intérieur, c’est un peu moins bon. La description de la personnalité vulgaire et médiocre du président Sarkozy tombe parfaitement juste, il est vrai. Sa morgue contre les militaires, les universitaires et les petits patrons traduit un complexe d’infériorité évident. L’UMP portera une responsabilité historique d’avoir permis l’accession au pouvoir d’un personnage aussi ridicule, complètement inculte, sans aucune profondeur humaine. L’idée que Sarkozy soit arrivé au pouvoir, non pas malgré ses vices, mais grâce à eux est également brillante. Il est cependant injuste de reprocher seulement à Sarkozy, ses demi-échecs scolaires. Le véritable reproche qui doit lui être fait, est le fait qu’il n’a quasiment jamais exercé, de sa vie, un travail réellement productif. Sarkozy, tout en invoquant le travail comme une valeur de référence, incarne parfaitement le parasitage social au plus haut niveau de l’Etat. Ses seules expériences "professionnelles" furent les intrigues de palais de Neuilly et le ministère de l’intérieur. Il en sortit avec le pire bilan de la 5ème République et une alliance de circonstance avec Bruno Julliard. Inculte donc, ne maîtrisant correctement aucune langue étrangère, pas même l’anglais, il n’a jamais dirigé une entreprise, même petite, ni aucun projet productif. Il est le premier président qui ne comprend rien ni à l’université, ni à l’armée, ni à la diplomatie, ni à l’entreprise, ni à la macro-économie, ni même à la justice avec une carrière d’avocat complètement bidon. La seule idée de Sarkozy, c’est sa vénération des Etats-Unis, qui fait penser à celle du facteur de Jacques Tati. Sarkozy n’aime pas l’Amérique, il aime Hollywwod et ses films qu’il regarde en VF, niveau d’anglais oblige.
Todd est trop dur avec les Français qui ont voté Sarkozy. Certes, une partie de son électorat a été fasciné par la vulgarité de l’étalage de sa vie privée. Mais la plupart de ceux qui ont voté pour Sarkozy ne sont pas des vicieux abrutis qui détestent les Arabes. La plupart ont sincèrement et naïvement cru son discours sur l’ordre, le travail et la Patrie. Ce ne fut pas par pulsion vichyste mais par lassitude des précédentes décénies de gabegie, de reculades, de lâcheté, de haine de soi. Pourtant Sarkozy n’incarne pas plus ces idées réactionnaires, qu’il n’en incarnerait d’autres progressistes. C’est là l’erreur de Todd, qui se focalise sur lui comme un extrêmiste de droite. Sarkozy a dit tout et son contraire, pendant sa campagne électorale et jusqu’à aujourd’hui. Il est contre la repentance, puis, à peine élu, demande pardon pour l’esclavage. Il est à la fois pour la famille traditionnelle et l’homoparentalité, contre l’immigration, mais pour la discrimination positive, pour la mixité et contre la double peine, contre les racailles, mais pour la mise en garde à vue systématique des policiers dans l’exercice de la légitime défense. La véritable originalité de Sarkozy, c’est qu’il n’a pas d’idée, sans doute, il est vrai, par manque de formation intellectuelle. Il n’est pas fasciste, il ne sait sans doute même pas ce que c’est. Il veut le pouvoir et le lobby atlantiste le lui donne, comme il l’a donné à des personnalités du même genre en Géorgie ou en Ukraine. Le principe de recrutement de ces leaders politiques est le même que celui adopté par les bolchéviques recrutant les commissaires politiques dans les régions de l’empire russe à partir de 1918 : "trouver le médiocre du village, celui que l’on n’estime pas trop, que l’on méprise même, et lui donner tous les pouvoirs, sa reconnaissance n’aura d’égale que sa vengeance contre ceux qui l’humiliaient jusque là". Besancenot est de ce type d’hommes également.
Les démonstrations démographiques de Todd sont convaincantes. Ce qui l’est moins c’est sa théorie sur la stagnation de l’éducation. Il y a une véritable régression de l’éducation qui frappe les plus pauvres, ceux qui n’ont pas les moyens de déménager, ou de mettre leurs enfants dans des écoles où les classes sont très majoritairement parfaitement francophone. Ce qui est encore moins convaincant, c’est la comparaison des lanceurs de pierre de mai 68 avec ceux des années 2000. Mai 68 est une révolution de petits bourgeois privilégiés, qui a fait un seul mort en tout et pour tout. Les gentils papas venaient récupérer leurs charmants bambins au commissariat les soirs de manifs. Les émeutes de 2005 n’étaient pas un soulèvement social. Il s’agissait de bandes qui parasitaient le véritable mouvement social et qui rackettaient les petits bourgeois qui manifestaient. Emmanuel Todd mélange revendication sociale et délinquance.
Les étudiants lanceurs de pavé de mai 68 ne rançonnaient pas les manifestants, n’incendiaient pas les commissariats, ne dealaient pas de la drogue, ne tiraient pas au fusil à pompe... tout comme ceux d’aujourd’hui d’ailleurs. La délinquance ethnique est une réalité nouvelle qui n’existait pas lorsque Todd avait 17 ans, elle est liée à une crise générale de l’autorité et à la démission de l’Etat, pas à un malaise sociale.
Emmanuel Todd se définit lui-même comme un optimiste anti-déclinologue, c’est encore un point que je partage avec lui. Tout optimiste qu’il est, il s’est sans doute rendu compte que le modèle de société dans lequel il vit, et auquel il croyait va droit dans le mur. En cas de banqueroute de l’Etat français, ce qui est tout à fait envisageable, la fin de l’assistanat provoquera une crise sociale de type révolutionnaire. Cette crise fera se jetter les uns contre les autres les communautarismes religieux, ethniques, culturelles. Todd aimerait trouver un bouc émissaire pour cette catastrophe annoncée, mais Sarkozy n’y est pour pas grand chose ; il arrive en bout de chaîne. Il symbolise simplement la pipolisation de la vie politique française, son impuissance, son incapacité de se réformer en profondeur, son absence d’idée. Sarkozy et Besancenot sont emblèmatiques de cette déchéance politique. Leur épanouissement dans la vie publique ne peut se faire que grâce à l’immense abrutissement de la population par les médias de masse.
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