L’efficacité de la limitation à 80 km/h
« L’idée, ce n’est pas d’ennuyer tout le monde, l’idée, ce n’est pas de désavouer tel ou tel, c’est de sauver des vies, c’est d’éviter des blessés. » (Édouard Philippe, le 2 juillet 2018 sur RTL).
Cet été 2018, la route des vacances a connu une nouveauté avec la limitation à 80 km/h sur les routes à une voie dans chaque sens sans séparateur central. Cette mesure, attendue depuis au moins 2013, a été prise par le Premier Ministre Édouard Philippe lors du comité interministériel de la sécurité routière du 9 janvier 2018 et applicable à partir du 1er juillet 2018. Pendant la période entre ces deux dates, Édouard Philippe a dû faire face à des tirs nourris provenant de tout bord, et malgré les fortes pressions, politiques et économiques, il a tenu le cap et la mesure est maintenant en pleine application.
Comme pour chaque mesure essentielle visant à la sécurité routière, les campagnes d’information et la persuasion ne sont jamais suffisantes. Elles le sont certes pour une grande majorité des automobilistes (fort heureusement) mais d’autres moyens, punitifs (le bâton), doivent malheureusement compenser le côté réfractaire d’une certaine franche d’automobilistes qui pensent que leur voiture et leur trajet valent plus que la vie des personnes qu’ils pourraient mettre en danger.
Donc, l’une des premières conséquences de l’application de cette nouvelle vitesse limite, c’est une augmentation du nombre de flashs radar et donc d’amendes. Lorsque la mesure sera bien intégrée dans les esprits, comme le sont maintenant la limitation de vitesse en agglomération à 50 km/h (au lieu de 60), l’obligation de boucler la ceinture de sécurité (certains véhicules "intelligents" vont même vous demander de mettre une ceinture à votre panier de courses car vous l’avez malencontreusement placé sur la banquette arrière et une jauge de contrainte a reconnu l’occupation du siège), la limitation à 70 km/h sur le périphérique parisien, etc., le nombre d’amendes se réduira mécaniquement. Temps d’adaptation normal. Période transitoire.
Mais évidemment, contrairement à ce que disent de mauvaises langues (augmenter de 0,001% la taxe sur le carburant est beaucoup plus efficace pour les recettes fiscales), cette augmentation des amendes n’est pas l’effet attendu de cette mesure. L’État s’attend avant tout à ce qu’on respecte le code de la route, pas à verbaliser des infractions. L’effet attendu, c’est la réduction des pertes en vies humaines sur la route.
Insistons d’ailleurs sur le fait qu’il y a un moyen très simple de ne pas être financièrement matraqué par l’État sur les routes de France : il suffit tout simplement de respecter le code de la route ! Certes, personne n’est infaillible (et pas moi en tout cas !) et tout le monde peut fauter, avec de la distraction, de la fatigue, des erreurs de discernement, etc., et donc, tout le monde peut se retrouver un jour en infraction, mais s’il y avait, comme avant 2002, la certitude de l’impunité, l’attention serait moins soutenue.
Le site de la sécurité routière a repris quelques extraits de journaux télévisés (via l’INA) depuis quarante-cinq ans que le gouvernement s’est préoccupé de sécurité routière. Et toutes les mesures, toutes, sans exception, ont subi une opposition frontale, vive, de la part de certains automobilistes, avec toujours le même argument : l’État m’ôte ma liberté de conduire, l’État me matraque fiscalement.
Or, ce qui est intéressant, c’est que personne n’est jamais plus revenu sur les mesures précédentes, ne les conteste plus, même les plus polémiques (et il y en a eu beaucoup, l’installation des radars automatiques, le permis à points, le contrôle technique, etc.). Pourquoi ? Parce qu’il a été largement prouvé, avec le temps, que ces mesures furent très efficaces et très bénéfiques.
Je rappelle cette fameuse courbe du nombre de personnes tuées chaque année depuis une cinquantaine d’années. À chaque grande mesure, une baisse significative et singulière, parfois avant l’application de la mesure, par anticipation. Il y a donc, évidemment, un effet psychologique, et l’annonce d’une mesure contraignante (c’était patent pour l’installation des radars automatiques) a pour effet une conduite plus prudente et plus respectueuse des règles.
Si le nombre de personnes tuées chaque année a pu être divisé par 5 en une quarantaine d’années, ce paramètre permet mal de voir la réalité des progrès réalisés, puisqu’il y a plus d’automobilistes (population croissante et proportion d’automobilistes dans la population croissante), plus de routes, plus voitures en général en circulation, ouverture des frontières de toute l’Europe, etc. Un autre paramètre intéressant est le nombre de personnes tuées par milliard de kilomètres parcourus, car ce critère prend en compte toutes les évolutions de la société, et là, le progrès est encore plus grand, on passe de 75 en 1972 (début de la politique de sécurité routière) à 7 en 2011. Notons qu’il était d’environ 100 en 1960 et qu’il n’y a pourtant eu aucune politique de sécurité routière entre 1960 et 1972, au contraire, Georges Pompidou, Premier Ministre puis Président de la République (au début de son mandat), prônait implicitement la société du tout automobile. Cette amélioration a pour origine les aménagements routiers et les équipements automobiles.
Disons-le donc clairement, ces progrès entre 1972 et 2011 ne sont pas les seules conséquences de mesures de sécurité routière, mais d’un ensemble complémentaire comprenant ces mesures mais également une meilleure formation des conducteurs, de meilleurs équipements automobiles (frein, airbag, pare-chocs, pneus, tenue de route, etc.), un meilleur entretien du véhicule (contrôle technique), de meilleures infrastructures (rond-point au lieu de priorité à droite, etc.). Ces phénomènes peuvent être analysés isolément même s’il est difficile d’interpréter correctement toutes les données. Grâce à son observatoire, la France, contrairement à l’Allemagne, s’est donné les moyens d’acquérir le plus d’informations précises sur l’accidentologie routière.
Ce qu’on peut en revanche remarquer, c’est qu’il y a eu un arrêt de la réduction de la mortalité routière à partir de 2013 et le quinquennat de François Hollande s’est révélé bien médiocre sur ce sujet (comme sur beaucoup d'autres). C’est pourquoi il faut se féliciter que l’actuel gouvernement ait pris le taureau par les cornes et ait pris cette mesure salutaire.
Or, aujourd’hui, les premiers résultats se montrent très encourageants. Les statistiques et analyses publiées par le baromètre de la sécurité routière (les 10 et 13 août 2018) sur le mois de juillet 2018 ont montré une progression de la sécurité. Il faut rester prudent puisque ces résultats publiés ne sont que "partiels", puisque le paramètre employé est le nombre de personnes tuées à 30 jours, c’est-à-dire que la personne blessée d’un accident de la route qui meurt 29 jours après l’accident doit être comptabilisée (ce qui signifie que les données "définitives" du mois de juillet 2018 ne peuvent pas être connues avant le 31 août 2018). Ce qu’a d’ailleurs dit à l’AFP le 10 août 2018 le délégué interministériel à la sécurité routière Emmanuel Barbe : « On peut penser que les 80 km/h ont joué un rôle, mais il faut rester extrêmement prudent. ».
En clair, il y a eu 324 personnes tuées sur la route en juillet 2018, soit 5,5% de moins qu’en juillet 2017 (19 tués en moins). En fait, il est statistiquement plus intéressant et significatif de prendre le cumul annuel en années glissante, c’est-à-dire de faire des comparaisons de douze mois entre la période d’août 2017 à juillet 2018 et la période d’août 2016 à juillet 2017. Pour la dernière période, il y a eu 3 329 personnes tuées, soit 187 personnes en moins (–5,3%) que l’année précédente. De même, l’amélioration se fait aussi sur le nombre de personnes blessées et hospitalisées pendant plus de 24 heures, 25 199 (2 792 personnes en moins, soit –10%), ainsi que sur le nombre d’accidents corporels : 56 179 (2 991 accidents en moins, soit –5,1% ; notons cependant une légère augmentation du nombre d’accidents corporels en juillet 2018 par rapport à juillet 2017 : +0,9%).
Cette amélioration de la sécurité routière (dont tout le monde se réjouit) est-elle le fait de la limitation à 80 km/h ? Pour répondre avec certitude à cette question, il faudra faire (cela se fera) des analyses précises des circonstances de chaque accident ayant entraîné la mort d’une ou plusieurs personnes depuis vingt-quatre mois (par exemple, si cela s’est passé sur autoroute, cette mesure n’aura eu évidemment aucune influence). C’est-à-dire, faire la comparaison sur la mortalité des seuls 400 000 kilomètres des voies dont la vitesse maximale autorisée a été effectivement réduite à 80 km/h.
On peut observer que cette amélioration n’a pas commencé en juillet 2018 mais s’est amorcée en fait dès janvier 2018. Ainsi, il y a eu une baisse de 8,4% du nombre de personnes tuées en mai 2018 par rapport à mai 2017 et de 9,7% en juin 2018 par rapport à juin 2017. Il y a eu forcément un effet psychologique, avec une nette amélioration en mai et juin 2018 au fur et à fur que le gouvernement confirmait sa détermination à faire appliquer strictement la mesure malgré les nombreuses protestations.
Rappelons cinq raisons chiffrées qui justifient cette mesure de limitation à 80 km/h.
1. Une plus grande distance de freinage : 13 mètres supplémentaires. Cela peut éviter le choc fatal.
2. Nombre de vies sauvées : estimé à 350 en moyenne chaque année (rapport des experts du Conseil national de la sécurité routière du 29 novembre 2013).
3. Durée supplémentaire d’un trajet de 50 kilomètres avec la nouvelle mesure : seulement 4 minutes au maximum théorique (en fait, bien moins, car il est rare de pouvoir rouler à 90 km/h sur 50 kilomètres sans ralentir dans les virages, ronds-points, entrées d’agglomération, etc.). Rappelons aussi que ceux qui perdent du temps sur les routes sont avant tout les automobilistes en agglomération (avec les bouchons) et pas en zone rurale où la circulation est généralement plus fluide.
4. Économies réalisées en carburant : 120 euros chaque année. Ce n’est plus du matraquage, ce sont des économies ! Sans compter les frais en moins à la charge de la collectivité, les assurances et les organismes sociaux (sécurité sociale, prévoyance, etc.), pour des personnes décédées ou blessées en moins, des frais de réparation en moins, etc.
5. Baisse d’émissions polluantes avec la nouvelle mesure : estimée à 30% ! Plus efficace que la circulation alternée.
Dans quelques jours, les statistiques (encore partielles) du mois d’août 2018 vont être publiées. Généralement, ces deux mois d’été sont plus mortels que les autres car il y a une plus forte densité de circulation en raison des vacances. Cela donnera donc quelques tendances intéressantes même s’il faut attendre la fin de l’année 2018 pour conclure avec des éléments significatifs. Le Premier Ministre avait déclaré le 2 juillet 2018 sur RTL : « Plus personne ne grogne quelques années après, une fois que les résultats sont là. ». C’est ce que nous verrons probablement dans quelque temps à propos de la limitation à 80 km/h. Déjà, certains propos évoluent et se modèrent à ce sujet parmi pourtant des instances très remontées contre la mesure…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (30 août 2018)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
L’efficacité de la limitation à 80 km/h.
Guide argumentaire sur la limitation à 80 km/h sur les routes à une voie.
Décret n°2018-487 du 15 juin 2018 relatif aux vitesses maximales autorisées des véhicules (à télécharger).
Rapports sur l’expérimentation de la baisse à 80 km/h (à télécharger).
Documentation sur la sécurité routière (à télécharger).
Argumentaire sur la sécurité routière du professeur Claude Got (à télécharger).
La nouvelle réglementation sur les routes à une voie.
Le nouveau contrôle technique automobile.
Sécurité routière : les nouvelles mesures 2018.
La limitation de la vitesse à 80 km/h.
Documentation à télécharger sur le nouveau contrôle technique (le 20 mai 2018).
Documents à télécharger à propos du CISR du 9 janvier 2018.
Le comité interministériel du 9 janvier 2018.
Le comité interministériel du 2 octobre 2015.
Documents à télécharger à propos du CISR du 2 octobre 2015.
Cazeneuve, le père Fouettard ?
Les vingt-six précédentes mesures du gouvernement prises le 26 janvier 2015.
Comment réduire encore le nombre de morts sur les routes ?
La mortalité routière en France de 1960 à 2016.
Le prix du gazole en 2008.
La sécurité routière.
La neige sur les routes franciliennes.
La vitesse, facteur de mortalité dans tous les cas.
Frédéric Péchenard.
Circulation alternée.
L’écotaxe en question.
Ecomouv, le marché de l’écotaxe.
Du renseignement à la surveillance.
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