L’euthanasie en Italie : un débat entre archaïsmes
En Italie, le débat sur l’euthanasie a été, une fois de plus, obscurci par une confusion des mots. L’affaire d’Eluana Englaro concernant cette femme en état de coma végétatif depuis dix-sept ans, rappelle en tout point celle de Terri Schiavo qui, en 2005, avait défrayé la chronique aux Etats-Unis. Le mari de cette américaine également dans le coma depuis quinze ans avait obtenu du juge de l’Etat de Floride le droit d’arrêter l’alimentation artificielle pour permettre à son épouse de partir. À l’époque, le président George Bush dont on connaît la fougue militaire, avait quitté son ranch dans la nuit pour aller voter en catastrophe une loi soutenue par ses amis républicains, dans le but de s’opposer à cette décision judiciaire au nom du respect de la vie. Peine perdue, le juge fédéral donna raison à la famille. La volonté du Vatican de maintenir coûte que coûte l’alimentation artificielle à Eluana Englaro relève de la même position dogmatique. Peut-on parler du respect de la vie et de la nature lorsque l’état de cette femme, accidentée de la route en 1992, est le résultat d’une réanimation intensive ayant réussi à faire vivre le corps mais pas l’esprit, puis d’une alimentation par sonde qui maintient artificiellement les fonctionnements de son organisme ? Il y a quelques dizaines d’années, elle serait morte depuis longtemps. La volonté d’entretenir par un artifice médical un corps sans pensée, une fausse présence, correspond à un acharnement thérapeutique. Or, même en France, la loi pourtant floue et ambiguë sur l’euthanasie, reconnaît l’erreur qu’est l’acharnement thérapeutique. Dénoncé depuis 1995 dans le code de déontologie médicale, il est devenu une faute légale, condamnable depuis 2005. Lors des auditions de la commission parlementaire présidée par monsieur Leonetti, le droit à l’arrêt de l’alimentation artificielle fut reconnu, même par des autorités catholiques. Mais est-il étonnant qu’en une période où le Vatican réhabilite un évêque niant le massacre des juifs, le pape fasse preuve d’un tel aveuglement ?
D’autant que la proposition d’arrêter uniquement l’alimentation artificielle pour obtenir la mort est une attitude hautement discutable tant sur le plan médical que sur celui de la dignité humaine. Cette solution proposée en Italie pour Eluana Englaro répond-elle vraiment à la définition de l’euthanasie qui veut dire « mort sans souffrance » ? Est-on dans le cadre des lois sur la fin de vie telles qu’elles fonctionnent en Belgique et en Hollande ? Dans l’intention, oui, puisque l’objectif est de permettre à la personne de partir. Mais la comparaison s’arrête là, car la qualité humaine des moyens pour atteindre cet objectif n’est pas comparable. Ce qui est proposé à cette femme italienne se rapproche des ambiguïtés de la loi française qui estime naturelle une mort par suppression de l’alimentation et déshydratation. Même sous sédatifs et antalgiques cette mort programmée ne répond pas au respect de la personne, et fait fi de la souffrance de la famille. Les défenseurs de cette attitude prétendent contrôler les douleurs mais c’est pure spéculation. Personne ne connaît la réalité douloureuse d’un corps placé dans cette situation, et affirmer le contraire relève d’une volonté idéologique. Quant à la souffrance de la famille, elle est évidente, et chaque jour d’attente inutile est un jour de trop. D’autant que la durée de cette agonie est imprévisible, de quelques jours à plusieurs semaines. Une lenteur insoutenable pour le patient, la famille et l’équipe soignante. Quelle est donc la philosophie d’une société qui propose comme solution la transformation d’un corps en squelette déshydraté, perdant toute dignité, laissant à son entourage le souvenir pénible d’un corps martyrisé ? Et qu’on cesse de prétendre hypocritement que ce temps est nécessaire pour préparer la famille au travail du deuil. S’il faut voir souffrir l’être aimé pour faire son travail de deuil, alors le Vatican a raison, il faut réhabiliter l’acharnement thérapeutique et faire durer. Mais comme l’a dit le mari d’Eluana, ma femme est morte depuis longtemps, depuis dix-sept ans… Dix-sept ans de souffrance, pour cet homme, n’est-ce pas suffisant ? pourquoi en rajouter au dernier moment ?
Cette pratique de la suppression de l’alimentation associée à la déshydratation n’est pas seulement proposée pour les patients en état de coma végétatif, elle est préconisée dans la loi française actuelle sous le vocable du « laisser mourir » pour les malades en fin de vie, résistant aux thérapeutiques associant antalgiques et sédatifs. Elle est fermement soutenue par certains dogmatiques des soins palliatifs qui poussent ainsi cette technique jusqu’à l’acharnement. Comment peut-on approuver ces médecins défenseurs d’une attitude si inhumaine, et traiter d’assassins ceux qui comme en Hollande et en Belgique aident leur patient à partir en leur permettant de s’endormir doucement sous médicaments anesthésiques ?
Donner son avis sur sa propre fin de vie est la dernière des libertés. Quand on sait que 80% de la population réclame un changement de la loi (enquêtes Sofres de 2001 et 2006), on se rend compte du décalage existant entre l’opinion publique et les responsables politiques, religieux et médicaux.
Denis Labayle
Médecin à l’origine du manifeste des 2000 soignants ayant affirmé avoir aidé des malades à mourir. Auteur du livre Pitié pour les Hommes (Stock).
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