La France rance des Gallimard (I) Les profiteurs de guerres
A l’occasion du centenaire de la mort de Frédéric Mistral, impressionné par la notoriété surfaite de la collection "la Pléiade", un provincial trop candide eut l’idée inconvenante de solliciter Gallimard, ce patricien de l’édition. L’affaire en serait restée là, en 2011 si la "grande maison" n’avait pas daigné répondre.
Étonnant, surprenant même sauf que l’éditeur de renom en rajoute en mesquinerie et mépris, tel l’aristocrate tapotant la joue du paysan et donnant du « mon brave » :
« Oh, vous savez, pour préparer une publication dans La Pleiade, il faut au moins quatre ans ! Eh puis vous savez Frédéric Mistral, à l’heure d’aujourd’hui, n’a plus la renommée d’autrefois ; les œuvres de Mistral ne sont plus dans le goût actuel, elles sont trop attachées à un terroir et puis, vous savez, la valeur littéraire des œuvres de Frédéric Mistral sont trop rances, un peu exagérées. Aussi, à l’heure d’aujourd’hui, il n’est pas certain que l’œuvre de Mistral intéresse beaucoup de gens dans le monde ! »
« Ah qu’en termes galants, ces choses-là sont mises ! ». A quoi bon se rabaisser à démontrer que ce jugement de valeur n’engage que son auteur ? Pour répondre du tac au tac, il suffirait de ravaler son entreprise au rang d’enseigne vénale, aussi parisienne que prétentieuse, contribuant sans doute à nous faire passer à l’étranger pour les arrogants que nous ne sommes pas ! Plutôt que de donner dans la méchanceté gratuite et la subjectivité de mauvais aloi, faisons-nous un devoir, par contre, d’établir que c’est la notoriété de la Maison Gallimard qui est aussi EXAGÉRÉE que RANCE !
Pour qui n’aime pas les riches, elle est certainement EXAGÉRÉE la situation de Paul Gallimard (1850 - 1929), le "grand collectionneur de tableaux et d’estampes, propriétaire du Théâtre des Variétés" (Wikipedia). Cela tourne au RANCE avec l’héritier, Gaston Gallimard (1881 - 1975) qui aurait pu vivre de ses rentes et faire ainsi oublier comment il courut les sanatoriums pour se faire réformer : « Je suis un lâche ! » (1a)(1b). Si le refus de la guerre n’est pas en soi blâmable, cela le devient, en revanche, quand la publication de nombreux d’écrivains « Morts pour la France » profite, dès 1918, au chiffre d’affaires (2) !
Louis Codet : portrait.
Concernant la Deuxième Guerre mondiale, nous avons dépassé le demi-siècle de plomb sur la période et l’épuration qui s’ensuivit ; il est plus difficile désormais de dire « tout le monde » parce que tout le monde, justement, n’a pas eu à faire allégeance pour se concilier les nazis et avoir du papier... Personne sinon Gallimard n’a bénéficié de la collaboration de Drieu la Rochelle à la NRF pour faire la chasse aux communistes et aux juifs ! La politique antisémite de Vichy servit la maison Gallimard lorsque, se déclarant « aryenne à capitaux aryens » elle s’est proposée pour racheter l’affaire de Gaston Calmann-Levy alors interné... La concurrence féroce et sans tabou doit tenir aussi de "l’esprit d’entreprise" ! Dans le même contexte, notre Gaston, qui pour ne pas déplaire à l’occupant, publia Goethe, en profita surtout pour évincer Jacques Schiffrin, directeur de collection mais juif :
« Monsieur, Réorganisant sur des bases nouvelles notre maison d’éditions, je dois renoncer à votre collaboration à la fabrication de la collection “Bibliothèque de la Pléiade”. Il est entendu que votre compte sera réglé selon les termes de notre contrat – Gaston Gallimard, administrateur-délégué de la Librairie Gallimard. » (5 novembre 1940) http://www.magazine-litteraire.com/...
Photo du camp de Pithiviers
En 1941, aidée financièrement par Gide suite au refus de Raymond, frère de Gaston, la famille Schiffrin se réfugiera à New-York. Après la guerre, Gaston et Raymond prendront la direction de la collection la Pléiade :
« Tous les sièges sont pris à la NRF. C’est Raymond Gallimard qui s’occupe lui-même de la Pléiade. Et comme en quittant la France, j’avais laissé soixante-quatre modèles, il ne reste plus qu’à les copier. [...] La Pléiade leur a rapporté et rapporte des millions – à moi, des nèfles ! Le coup est régulier. » J. Schiffrin / lettre à Gide / 1949. (3)
Comme pour les trafiquants du marché noir, l’occupation allemande verra les éditeurs autorisés s’enrichir indécemment (1a), le rachat par Gallimard de Denoël en 1946 en atteste (4). Et la paix retrouvée, si Robert Brasillach, collaborateur de « Je suis partout » est exécuté, Gaston Gallimard qui l’a publié en 1941 ne sera pas inquiété. Mieux, il sera défendu bec et ongles par ces auteurs qui, en 1941, soucieux de leurs droits, de leurs projets, ont été soulagés de la réouverture de la maison. Les mêmes, en effet, en 1945, dont Sartre, opportuniste et Camus, plus sincère sur ses idéaux... (5)
« J’estime que tout blâme qui serait porté contre la maison gallimard atteindrait tous les écrivains qui faisaient partie de la résistance intellectuelle et qui se sont fait publier par lui... » JP Sartre. (5)
« (les écrivains) ne peuvent être désolidarisés de la maison d’édition qui les a imprimés. Tout jugement porté sur cette Maison est un jugement porté sur eux. Et personnellement, je me considérerais, ainsi que d’autres confrères plus connus, comme condamné par un semblable jugement. » A. Camus. (5)
Pierre Assouline se demande dans quelle mesure ces soutiens auraient pesé si Drieu la Rochelle ne s’était pas suicidé (mars 1945), si Ramon Fernandez, militant communiste devenu collaborationniste et successeur de Drieu la Rochelle n’avait pas succombé à une crise cardiaque en août 1944. Ainsi, bien qu’inquiétée par un procès, la maison Gallimard put se décharger de ses péchés sur la NRF et n’eut pas de compte à rendre sur sa ligne éditoriale pendant l’occupation (5).
Jean Galtier-Boissière écrit que, contrairement à Grasset qui sera arrêté, Gallimard qui est un "gros malin" a su mener un double-jeu :
« ... Pas fou, le vieux ! A La Nouvelle revue Française, deux bureaux se faisaient face : le bureau de Drieu, membre dirigeant du parti Doriot, collabo sincère, directeur de la revue « N.R.F » pro-nazie, et celui de Jean Paulhan, résistant de la première heure et fondateur, avec Jacques Decour, du journal clandestin anti-boche Les Lettres françaises. »
Jean Galtier-Boissière / Mon Journal depuis la Libération / La Jeune Parque, Paris, 1945
« En ce temps-là, pour ne pas châtier les coupables,
on maltraitait les filles. On alla même jusqu’à les tondre. » En exergue au poème Comprenne qui voudra / Au rendez-vous allemand Paul Eluard 1944
et dans un texte publié dans Les lettres françaises :
« ... Tandis que les bandits à face d'apôtre, les Pétain, Laval, Darnand, Déat, Doriot, Luchaire, etc, sont partis. Certains même, connaissant leur puissance,restent tranquillement chez eux, dans l'espoir de recommencer demain. »
A suivre : LA FRANCE RANCE DES GALLIMARD (II) MEGALOMANIE ET PERVERSION ESTHETIQUE
(1a) cité par Pierre Assouline : http://www.ina.fr/video/RBC02040899 à propos de son livre « Gaston Gallimard / Un demi-siècle d’édition française » Paris, Balland – Éditions du Seuil, coll. Points – Biographie, [1984] 2001, 534 p.
Repris chez Gallimard en 2006 / collection Folio !
http://www.gallimard.fr/searchinter...
(1b) ce refus psychique de la mobilisation le rendit malade au point que sur le front certains se firent du souci pour leur ami planqué.
(2) Louis Codet en 1918, 1921, 1925, Apollinaire en 1920, Albert Thierry en 1922, Alain-Fournier en 1924 et 1926 , Charles Péguy 1936, Louis Pergaud (rachat du Mercure de France), Victor Segalen, Jean de la Ville de Mirmont, soit 8 sur les 17 écrivains Morts pour la France lors de la Grande Guerre, cités par Wikipedia !
(3) Le 16 novembre 2011, la légion d’honneur sera décernée à André Schiffrin, une manière d’honorer surtout la mémoire de son père Jacques, décédé en 1950. Chez les Gallimard c’est Antoine qui a été promu au rang d’officier en 2009 (chevalier en 2001).
(4) toujours d‘après Wikipedia, l’assassinat de Robert Denoël en décembre 1945 n’a jamais été élucidé.
(5) « L'Épuration des intellectuels » Pierre Assouline / Editions Complexe 1996.
photos autorisées Wikipedia england et deutschland... (étrange) :
1. la poignée de main de Montoire (oct. 1940).
2. Louis Codet / portrait.
3. contrôle de juifs au camp de Pithiviers (janv. 1941).
4. arrestation de résistants par des miliciens (juil 1944).
5. Commission d'épuration (été 1944).
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