Les administrations municipales vont profondément changer
Certains fonctionnaires de l’Etat ont encore aujourd’hui une influence démesurée sur les collectivités territoriales. Qu’il s’agisse de spécialistes de droit public, universitaires ou fonctionnaires de l’administration centrale, n’y change rien, peu importe d’ailleurs. Simplement, quand justement les juristes de l’Etat commettent une énorme erreur d’aiguillage, c’est sûrement le signe qu’il faut faire le ménage.
Puisant dans la même veine que notre ami Paul Villach qui a critiqué récemment les sujets proposés au brevet et au baccalauréat, je vous propose à mon tour une petite réflexion qui porte cette fois sur un corrigé donné par le Centre National de la Fonction Publique Territoriale (CNFPT) de la petite couronne dans le cadre d’une préparation au concours d’attaché territorial 2009, module note de synthèse.
Disons-le tout net, premièrement le sujet est excellent, il s’agit d’établir un rapport sur la mutualisation des services, et deuxièmement le corrigé m’a transportée dans une grosse colère.
De quoi est-il question ? Les communes de France sont, dans l’immense majorité maintenant, regroupées en intercommunalités, communautés urbaines, communautés d’agglomération ou communautés de communes. Le système intercommunal français repose sur les principes juridiques de spécialité et d’exclusivité des compétences. Son efficacité a été sévèrement critiquée par la Cour des Comptes en 2005, et nos concitoyens sont dans l’expectative devant ce qu’il est convenu d’appeler l’empilement, toujours plus complexe, des niveaux administratifs. Avec ce nouveau mouvement vers la mutualisation des services, une inversion totale de la méthode s’amorce puisqu’il ne s’agit plus de diviser les services administratifs existants pour séparer les compétences, mais de construire une administration publique locale plus regroupée au service de plusieurs conseils politiques élus, en l’occurrence la communauté et ses communes membres.
L’installation des Agenda21 dans nos collectivités publiques, qui associent les notions de développement durable et de démocratie participative d’un côté, et la mutualisation des services de l’autre sont les deux premiers changements d’envergure qui relèvent de l’initiative des collectivités locales françaises elles-mêmes. La décentralisation dépasse enfin le slogan et entre dans la culture de gestion de nos territoires. La mutualisation des services est un phénomène majeur où les praticiens des collectivités, élus et territoriaux côte à côte, tentent de montrer que la solution à l’éclatement communal n’est pas tant dans la structuration des organes de conseils élus que dans celle de l’administration territoriale. Excellent sujet de culture générale pour tout le monde, sujet de première grandeur pour de futurs attachés territoriaux.
Erreur d’aiguillage et langue de bois des fonctionnaires de l’Etat
Et voilà que notre « corrigé » déclare en introduction que, « en 10 ans, le paysage communal s’est transformé radicalement, passant d’une intercommunalité de services à une intercommunalité de projet » Je félicite les étudiants et tous ceux qui comprennent spontanément ce langage codé. Cela signifie que les communautés gèrent des projets, alors que les syndicats intercommunaux auparavant associaient des communes seulement dans la nécessité du regroupement pour rendre les services qu’elles étaient incapables de gérer en raison de leur trop petite échelle. Mais enfin, premièrement l’impulsion intercommunale date de la loi de 1992 et non de celle de 1999, et deuxièmement les projets servent à rendre des services. On est ainsi surtout informé que les attachés doivent maîtriser le sabir du droit administratif.
Et l’on apprend ensuite que « l’évolution récente de l’intercommunalité met en lumière un nouvel aspect de la coopération intercommunale issue de la pratique territoriale et relayée par le législateur : la mutualisation des services et des personnels, dédiée aux communautés ainsi qu’aux communes membres ». Un nouvel aspect ? Non, mais je rêve ! Pendant 15 ans, les contrôles de légalité d’en haut explique au peuple des élus et des agents territoriaux d’en bas que l’exclusivité de compétences est la règle, qu’il est interdit à un syndicat ou à une communauté d’entretenir le patrimoine de ses membres parce que ce serait une « association de moyens » et, tout d’un coup, cela devient un « nouvel aspect » ! La haute administration française a surtout fait fausse route pendant de longues années et les praticiens ont fini par faire valoir le bon sens, avec beaucoup de peine, contre l’acharnement doctrinal. Les quelques communautés que l’on cite en modèle sont aujourd’hui des pionniers parce qu’ils ont hier clairement bafoué la loi (Brest, Amiens, Mulhouse...). Malgré le poids des élus locaux dans les deux assemblées, l’avis technique de l’administration territoriale est nul et les parlementaires subissent des initiatives ministérielles très influencées par l’administration centrale. Le « nouvel aspect » ne relève plus du sabir administratif, mais du pur mensonge permanent et orchestré sur le tempo des dogmes suivants : le Législateur n’a jamais tort, l’influence de l’administration centrale n’existe pas, et les universitaires du droit public possède la science administrative. Le corporatisme de fonctionnaires de l’Etat qui n’ont jamais mis les pieds dans une responsabilité de service territorial tout en imposant la doctrine juridique sur l’administration des territoires, a subi un revers inédit avec les lois 2004-809 et 2007-209.
Le Président de l’Association des Maires de France raconte lui-même qu’il avait mis en place en septembre 2003 une direction transversale mutualisée des services entre la ville de Lons-le-Saunier et la communauté et que la Chambre Régionale des Comptes lui avait dit quelques mois après lors d’un contrôle ceci : « votre système est intelligent, porteur d’efficacité, par contre il est totalement illégal ». Au-delà d’un imbroglio juridique avec l’Union Européenne, l’Etat change aujourd’hui de cap parce que la paupérisation de l’Etat conduit aussi à se préoccuper de la rationalisation économique des administrations publiques locales.
L’absurdité de la segmentation juridique des administrations locales va être révélée
Dans ce corrigé, on ignore totalement le problème central : comment affronter la question de l’hétérogénéité des administrations territoriales entre les grandes communes, les communes moyennes et les petites ? La situation actuelle de l’administration publique territoriale en France est résumé dans l’éclatement communal. C’est le résultat d’une double paresse : celle d’une administration centrale dogmatique sans véritable lien avec la gestion territoriale et celle du personnel politique qui reste dans la logique notabiliaire avec le cumul des mandats. Concrètement, nous avons quantité de règles par strates démographiques parce que l’on fait tenir depuis des décennies un système juridique artificiellement unique avec des administrations locales très hétérogènes. Des règles de convocation au conseil municipal différentes entre les communes de plus ou moins de 3500 habitants, des options comptables ouvertes aux plus de 10 000, des seuils pour la gestion du personnel, pour la concertation avec le public dans la gestion des services publics locaux, ou pour la délégation de l’instruction des permis de construire à la DDE... des dizaines de différences existent. La mutualisation des services va reposer toute une série de questions parce que cette hétérogénéité traverse la quasi-totalité des communautés territoriales.
Non seulement il est idiot d’avoir autant de services comptables que de communes plus celle de la communauté, mais les savoir-faire des services financiers sont très inégaux et la diversité de qualité du service évidente. Plusieurs questions fondamentales sur nos administrations locales vont paraître au grand jour : leurs méthodes, leurs capacités à rendre compte, et les rapports réels entre les services municipaux et les élus. Et la segmentation des règles juridiques par strate démocratique, vision typiquement centralisatrice, devrait enfin paraître pour ce qu’elle est au regard de la gestion du territoire : une aberration.
Le lien entre les élus et l’administration municipale est aujourd’hui de nature très différente suivant l’importance de l’administration. Le développement des communautés a rendu très visible ces écarts au sein des conseils communautaires entre le Maire d’une grande ville flanqué de dizaines de cadres de haut niveau derrière lui et les Maires de village qui doivent surveiller l’orthographe de leur unique secrétaire de mairie à temps partiel. Tous les maires manquent de compétences techniques autour d’eux mais tous ne sont pas prêts à échanger le contrôle parfois rétrograde qu’ils exercent sur leur secrétaire de mairie contre la ressource d’un staff territorial plus compétent certes mais aussi plus sûr de lui, éventuellement contrariant et moins soumis. « Il ne peut pas y avoir de mutualisation des services sans une profonde réflexion sur le rôle des élus et même sur la cohérence démocratique de cette organisation nouvelle » comme le souligne fort justement un élu rennais d’opposition. Quelques élus (à Angoulême par exemple) s’inquiètent d’ailleurs du fait que ces questions de mutualisation restent dans la sphère exécutive et échappent aux assemblées élues. Il faut voir là bien plus une question de rapports entre majorité et opposition qu’une question de positionnement politique droite gauche.
Ce corrigé montre que la décentralisation n’est pas encore culturellement aboutie. Le nouveau Président du CNFPT, François Deluga (photo), doit donner un coup de pied dans la fourmilière parce qu’il n’est pas acceptable qu’un organisme émanant de l’ensemble des collectivités locales cautionne une telle étroitesse intellectuelle. La mutualisation des services est un grand sujet politique, il ne doit donc pas rester dans les petites sphères des spécialistes du droit public, ni même dans le secteur public local, mais parvenir au public qui a besoin de savoir pour que les citoyens tiennent leur rôle. Et, en tous cas, les attachés territoriaux doivent être recrutés parmi les citoyens éclairés plutôt que parmi les dévots parlant le sabir d’une caste de la science administrative juridique qui, en l’occurrence, ne paraît plus vraiment en phase avec une démocratie ouverte et décentralisée.
Pour aller plus loin : Actes du colloque sur la mutualisation des services organisé par l’Association des Maires de France (AMF) et l’Assemblée des communautés de France (AdCF)
13 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON