Socrate, ne l’oublions pas, était une herbe folle dans un jardin dompté. Nous ne saurions le comprendre sans l’associer à un Athènes où chaque rue, chaque place se faisait l’écho du prestige pythagoricien ou de la voix de Parménide… Il faut imaginer que des théories toutes aussi éparses que pertinentes devaient planer dans les airs comme des parfums dormitifs.
Socrate n’était pas du genre à se laisser endormir !
Issu du peuple, rien ne l’oblige alors à inhaler ces drogues pour l’esprit mais c’est avec l’enclin franc et naturel du citoyen qu’il réunira de maître en maître, les morceaux de miroir qui lui permettront de se reconnaître tel qu’il est…
On le disait laid !
« Soit et alors ! » disait-il et déjà Apollon avait maugréé, voyant dans cet affront le signe d’une impiété à demi avouée…
L’opinion ferait le reste…
Homme de la rue passé par la case des maîtres, c’est dans la rue directement qu’il s’oppose aux réflexes induits par l’ignorance…
La raison est le cheval de ballade que promène son esprit dans les dialogues. L’esprit est critique semant le doute chez le disciple par la dialectique, son cheval de bataille. Pas de demi teinte, il suscitait soit l’admiration soit la haine car on ne sortait jamais vainqueur d’un face à face avec Socrate…
Avec un père sculpteur et une mère sage femme, on imagine coquettement qu’il burinait l’enduit de façade de ses détracteurs pour faire apparaître les vices cachés : un accouchement dans la douleur...
« Connais-toi toi-même ! » C’est la grande leçon de Socrate…
Autant dire qu’avec une devise de ce genre, l’opinion a dû se sentir frustrée !
Il condamnait la sophistique en ceci qu’elle en arrivait à justifier toutes les fins, y compris les plus hasardeuses. Paradoxalement, il en fut certainement l’un de ses plus talentueux ambassadeurs…Sans doute, son aversion pour la méthode ne fut qu’un effet de balancier nécessaire pour remettre en place des stylistes qui affaiblissaient la démocratie athénienne en médusant l’opinion.
Socrate, ennemi de son époque pour sûr,
Puisqu’il ne souscrivait ni aux Dieux de la Cité, ni à la démocratie qui orientait les décisions non pas sur la base de la connaissance, fut-elle contraire à l’opinion mais sur la base de cette même opinion majoritaire et parfois déraisonnable.
Sans doute avec le temps, Socrate aurait-il proposé une démocratie du Doute qui aurait appris à se connaître ?
Sans doute était-il l’inventeur d’une nouvelle méthode démocratique ?
Mais les athéniens ne lui ont pas pardonné ses derniers sophismes et ne se sont pas doutés qu’ils étaient en train de créer le premier martyr démocratique de l’histoire…
Trop implicite pour être transmis, son message fut galvaudé et ses disciples n’ont pas su lire entre les lignes. Platon en mettant sur le devant de la scène politique une rationalité de principe introduisit des experts dans l’hémicycle et défigura définitivement la démocratie athénienne. L’opinion était méprisée…
Le coup de balancier opéré par Socrate fut sans doute trop violent et le pendule fut attrapé au passage par l’autre rive…
Athènes ayant tué son analyste s’est retrouvée dans une impasse politique…C’en était fini de cette épopée démocratique. La démocratie fut enterrée vivante dans la fleur de son âge.
Mais aujourd’hui, avec nos yeux de Démiurge qui portent sur l’histoire et sur les Dieux un regard libéré et serein, ne serait-il pas venu le moment que Socrate n’a pas pu attendre ?
Si il est opportun, nous savons où le corps malade fut enterré, nous n’avons qu’à lui insuffler un second souffle de vie…
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Je voudrais vous poser deux questions : quel rapport voyez-vous entre Socrate et la démocratie et pourquoi celle-ci serait-elle la forme ultime, indépassable d’organisation politique ?
Je remarque que vous semblez en faire grand cas, c’est pourquoi je m’interroge... Et vous interroge par la même occasion.
Tout d’abord, je pense que le rapport est avant tout historique. Combien de philosophes dans l’histoire peuvent s’enorgueillir d’avoir connu une vraie démocratie ?
Une dizaine tout au plus...
J’entends par là une démocratie de type athénienne où le citoyen est le propre moteur de la politique de la cité ( l’image du moteur diesel à injection directe me vient à l’esprit, vous me pardonnerez )...
Ensuite je pense que Socrate était idéalement un pur démocratique et tout artiste philosophe qu’il était ( à l’époque tout le monde était philosophe mais à mes yeux, il ressemblait plus à un artiste ), il n’a pas admis que la démocratie était perfectible...
Socrate luttait contre l’opinion, sous entendu les idées non raisonnées mais sa détermination à ouvrir les yeux du citoyen, à les éclairer sur les idées reçues et donc sur eux -même et dans les rues, sur les places et gratuitement renseignent sur l’état d’esprit de l’homme...Sans doute a-t-il présumé de ses forces et cru qu’il pouvait ouvrir le crâne de tous ses concitoyens mais une chose est sûre à mon sens, c’est que ça ne remet pas en cause son lien filial à la démocratie...
Pourquoi la démocratie serait-elle la forme ultime, indépassable d’organisation politique ?
Si c’est une question que vous me posez directement, moi je dirais que la démocratie athénienne avait une bonne organisation structurelle mais que les idées, « l’opinion » était facilement manipulable...Aujourd’hui, notre structure démocratique ne nous représente pas, nous sommes tous potentiellement aussi manipulables mais nous sommes tous potentiellement des citoyens éclairés. Les connaissances sont à portée de main, à portée de clic, nos Dieux sont morts ou agonisants et si Socrate avait disposé de nos moyens de diffusion, il serait mort assassiné probablement ( finalement son charisme le prédestine à une mort certaine ). La logique sociale et progressiste voudrait qu’on déterre le cadavre athénien.
Pour répondre d’une façon plus générale, je pense que la démocratie n’a que le sens qu’on lui donne...Demain peut être, des programmes informatiques feront nos lois en fonction des données qu’on leur présentera et de nouvelles questions éthiques se poseront...
De toutes les possibilités, le pouvoir qu’exerceront les hommes sur les hommes restera humain...Et quelque soit la forme, une démocratie restera une démocratie, une oligarchie restera une oligarchie...Maintenant savoir si la démocratie est la forme ultime, c’est du domaine de l’idéalisme et je pense que la philosophie doit rester ancrer dans le réel...
Si Orwell n’avait pas imaginé ce monde de domination absolue, sans doute n’aurait-il pas inspiré quelques monstres ?
Je voudrais l’approfondir si vous êtes d’accord pour en discuter un peu
Sachant qu’à l’époque, ne se retrouvaient sur l’agora que les hommes athéniens libres, ce qui excluait d’emblée les trois quarts de la population (femmes, étrangers et esclaves), et ceux qui avaient le temps matériel et le désir de s’occuper de la chose publique, la démocratie athénienne telle qu’on l’invoque aujourd’hui n’est-elle pas idéalisée par-rapport à sa véritable signification historique ? Ceux-là donc qui pouvaient, de par leurs revenus, leur statut et leur situation, se permettre de passer du temps à l’agora, ne constituaient-ils pas une forme de démocratie d’exclusion, de ploutocratie comparable à celle que l’on dénonce aujourd’hui ?
Je pense que Socrate était idéaliste. Il était très impulsif. Ne parlait-il pas de son désir d’intervention comme d’un feu brûlant qui impulsait en lui des paroles et des actes irrésistibles face à la bêtise ou à l’injustice ? Il avait même apprivoisé cet absolutisme, et l’avait personnifié comme son génie familier, son daimôn. En ce sens, sa philosophie n’avait-elle pas pour but, non pas de redescendre de l’idéal au réel, mais d’élever le réel vers l’idéal ?
Vous dites que si Socrate avait disposé de moyens de diffusion modernes, il serait probablement mort assassiné. Mais n’est-ce pas ce qui lui est arrivé, finalement, quand il fut condamné par cette même démocratie athénienne à boire la ciguë pour des raisons éminemment discutables ?
Je hasarde une idée : c’est peut-être là, le véritable lien qui unit Socrate à la démocratie athénienne ; enfanté par elle, c’est aussi elle qui l’a tué.
Sa mort n’illustre-t-elle pas mieux que ses dialogues l’essence de son enseignement ? En exigeant des Athéniens qu’ils se connaissent eux-mêmes, Socrate leur disait en somme : regardez-vous Athéniens, vous êtes ivres de votre puissance. L’Agora vous donne l’illusion que l’opinion du nombre fait la raison. Mais l’opinion n’est pas la raison ! La raison exige une responsabilité morale dont vous n’avez de cesse de vous décharger sur le groupe, enfants que vous êtes. Votre démocratie ne vaut pas mieux que le droit de la force : la preuve ? Vous me tuerez pour vous l’avoir dit.
Sur ce, éminemment satisfait de sa démonstration, il est mort serein devant ses disciples éplorés.
Ceci dit, je suis tout à fait d’accord avec vous sur la prédiction que vous faites des nouvelles questions éthiques que ne manqueront pas de poser nos futures formes de gouvernement.
D’Athènes, je retiens surtout la structure démocratique qui invitait chaque citoyen à prendre part directement au destin politique de la cité...Etaient exclus les femmes, les esclaves, les étrangers...Y étaient admis majoritairement les guerriers, l’équivalent de ce qu’on pourrait définir aujourd’hui comme nos lieutenants, nos colonels et puis dans une moindre mesure les philosophes, les commerçants, les hommes libres comme ils s’accordaient à le dire...
Notre système actuel a considérablement simplifié le champ sémantique du mot citoyen et il autorise tous les « esclaves modernes » que nous sommes à voter mais il a dépouillé ce vote de sa force décisionnelle.
Ce qui au final, au vue du résultat n’est pas très différent...
Greffons cette structure athénienne sur notre système actuel. Il n’ y a pas qu’un pas, je pense puisque nous n’avons jamais été aussi proche du but...
Vous pensez également comme moi que Socrate était plus artiste que philosophe...N’est ce pas ?
Le contexte de son époque n’était qu’un support pour son génie...Porté au sommet de la notoriété par une opinion qu’il a discréditée par la suite, quand vint le moment de son procès, l’artiste et l’oeuvre étant confondu, il choisit l’artiste pour que l’oeuvre survive...
J’admire l’intégrité du personnage et c’est en ce sens que je voudrais le ressusciter...
Bonjour, merci pour cet article, Socrate est incontestablement un des plus grands philosophes ayant vécu, si ce n’est le plus grand. Le ressusciter se fera à travers les générations à venir, mais pour cela encore faut il ouvrir des livres...
Notre démocratie est plus vicieuse que la démocratie athénienne, car l’individu qui se laisse porter par le système a peu de chances de voir les choses autrement qu’à travers le regard que les médias et la socialisation en général lui imposent. La vérité est en effet à porter de clic mais elle suppose deux choses fondamentales : qu’on veuille la chercher et qu’on accepte de la découvrir. Difficile d’abandonner une à une les croyances que les médias nous ont inculquées dès notre plus tendre enfance. Cela me rappel une phrase du film matrix (pardonnez-moi si cette forme de culture jure côté de Mr Socrate...) : « Nous avons une règle, ne jamais réveiller un esprit après un certain age, car celui-ci luttera de toute ses forces et refusera de croire ». Hors avec l’omniprésence des médias de nos jours, cet age sera bientôt exponentiel à 0.
Concernant Orwell, votre analyse est tout à fait juste, si ce n’est concernant « le livre » (celui donné par O’brien au héros) qui lui décrit avec brio l’évolution sociale de l’humanité.
Sinon petit coup de gueule envers la modération : Socrate mérite de faire la une !!!
La démocratie athénienne était tout aussi vicieuse quant aux mouvements d’opinion dominante. L’affaire des naufragés de la bataille navale des Arginuses illustre bien comment l’opinion suivait à peu près comme un seul homme le discours rhétorique à la mode, quitte à se retourner complètement quand un rhéteur plus habile faisait son apparition. Socrate en faisait des colères noires et s’élevait souvent seul contre les décisions abusives des tribunaux populaires athéniens...
Les méthodes n’ont guère changées en effet, mais le fait est que la population est d’avantage exposée aux effets de style des pseudos sophistes en 2012 qu’en -500. Tout le monde n’avait pas une télévision branchée chez soi ou un poste de radio dans sa voiture à l’époque. La seule manipulation possible était orale ou écrite, maintenant elle est (ultra) médiatique.
Vous savez, je pense que les effets étaient les mêmes. La démocratie athénienne était une démocratie d’exclusion, qui ne concernait que les adultes athéniens mâles libres qui avaient le temps, les moyens et le goût de se rendre sur l’agora. Tout se passait sur l’agora, et ceux qui s’y rendaient étaient instantanément informés de tout ce qui se passait au niveau politique dans la cité, et rapportaient ceci à leur famille et à leurs esclaves.
Notre démocratie est décentralisée ; nous n’allons pas chercher l’information à pied sur l’unique lieu où elle se trouve, mais nous sommes quand même informés, car c’est elle qui vient à nous. Et toujours, comme jadis à Athènes, portée par la voix des démagogues les plus en vogue du moment.
« nous savons où le corps malade fut enterré, nous n’avons qu’à lui insuffler un second souffle de vie… » : « vivre » en « philosophie » pour ressusciter Socrate.
Bonjour, question de philo-psychanalyse : pourquoi prendre un pseudo féminin quand on est un homme ?
sinon, vous pensez réellement des monstres ont existé grâce à Georges Orwell ? Les « monstres » comme vous dites, ont toujours existé. Orwell ne fait qu’observer la nature humaine.
Non, je ne pense pas qu’Orwell ait enfanté « nos » monstres...Mais sans doute leur a-t-il soufflé quelques pistes que la cupidité n’est pas apte à construire...
Quant à mon androgynie, elle n’a pas de raison philo-psychanalytique...Vous seriez déçus si je vous en révélais l’origine...