C’était il y a un an. Le président Sarkozy, embrassant sa charge de chanoine du Latran à Rome, reprenait dans un discours aux accents religieux les fondamentaux de son livre La République, les religions, l’espérance (écrit en 2004 avec le père dominicain Philippe Verdin). Lui qui s’y était dit favorable au financement national des grandes religions, alors qu’il était ministre de l’Intérieur et des Cultes, lançait sous les voûtes de l’archibasilique l’expression désormais célèbre de laïcité positive. Sur sa lancée, se disant catholique de tradition et de cœur, il déclarait assumer pleinement le passé de la France et ce lien si particulier qui a si longtemps uni notre nation à l’Église [catholique et romaine].
S’agissant de la loi de 1905, il disait savoir les souffrances que sa mise en œuvre a provoquées en France chez les catholiques, chez les prêtres, dans les congrégations, avant comme après 1905. Ces propos entraient en résonance avec ceux du pape Jean-Paul II, qui avait dit en 2005 combien cette loi avait été un événement douloureux et traumatisant pour l’Église en France.
Concernant l’éducation, Nicolas Sarkozy semblait ne pas la trouver complète sans religion : Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur. Cette phrase s’inscrivait en négatif du discours aux instituteurs de Jules Ferry, qui affirmait à propos de la loi du 28 mars 1883 relative à l’obligation et à la laïcité de l’enseignement : il a paru tout naturel que l’instituteur, en même temps qu’il apprend aux enfants à lire et à écrire, leur enseigne aussi ces règles élémentaires de la vie morale qui ne sont pas moins universellement acceptées que celle du langage ou du calcul.
De la «
Réplique au discours du Latran » de Jean-Luc Mélenchon, qui voit ce texte comme une transgression, c’est-à-dire comme une
inversion du point de vue [présidentiel]
qui avait prévalu jusqu’à présent, à «
Sauver la laïcité », signé par un groupe d’intellectuels (dont Caroline Fourest, Jean-Claude Milner, Henri Pena-Ruiz, Catherine Kintzler), pour qui il s’agit d’une
offensive sans précédent contre la laïcité, les réactions fusèrent de toutes parts. Pour l’Observatoire chrétien de la laïcité, ce discours est
effarant, puisque le président de la République
ne tient pas compte des apports spirituels, humanistes, culturels des religions non catholiques, des agnostiques et athées dans notre pays, estimant même que l’aspiration spirituelle qui est en tout homme ne trouve sa réalisation que dans la religion. Henri Pena-Ruiz verra dans ce discours cinq fautes majeures au regard de la laïcité républicaine et en fera une
analyse détaillée.
Discours de Riyad
Le 14 janvier 2008, le président de la République prononçait à Riyad un discours que d’aucuns qualifient de prêche ; il y affirmait la supériorité des croyants sur le reste des hommes et le rôle unificateur de Dieu entre les cultures (monothéistes méditerranéennes) :
Dieu transcendant qui est dans la pensée et dans le cœur de chaque homme. Dieu qui n’asservit pas l’homme mais qui le libère. Dieu qui est le rempart contre l’orgueil démesuré et la folie des hommes. Dieu qui par-delà toutes les différences ne cesse de délivrer à tous les hommes un message d’humilité et d’amour, un message de paix et de fraternité, un message de tolérance et de respect.
Discours devant le CRIF
Le 13 février 2008, devant le Conseil représentatif des institutions juives de France (dont il était le premier président invité d’honneur), Nicolas Sarkozy a persisté et signé dans sa conception de la place de Dieu dans la société : Le drame du XXe siècle n’est pas né d’un excès de l’idée de Dieu, mais de sa redoutable absence.
Il a épinglé au passage les défenseurs de la laïcité qui avaient massivement réagi à ses interventions précédentes, déplorant les approximations, les amalgames et les raccourcis dont ses propos avaient fait l’objet. Jamais je n’ai dit que la morale laïque était inférieure à la morale religieuse, s’est-il défendu. Jamais je n’ai dit que l’instituteur était inférieur au curé, au rabbin ou à l’imam pour transmettre des valeurs, a-t-il cru bon de justifier. On pourra effectivement comparer la distinction sémantique entre ne pourra jamais remplacer et est inférieur, sans pour autant abandonner l’idée de l’incongruité de tels propos pour un président de la République.
Ayaan Hirsi Ali
Ce même mois, Ayaan Hirsi Ali, femme politique néerlandaise, farouche opposante de l’islam, qui traite Mahomet de terroriste et de pervers et considère qu’il n’y a pas de cohabitation possible entre l’islam et l’Occident, vient à Paris pour y recevoir le premier Prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes.
Elle estime que l’Occident devrait prendre exemple sur la France et séparer les religions des États. Elle appelle à une période de Lumières pour l’islam d’Europe. Pour elle, l’islam, le christianisme et le judaïsme sont incompatibles avec les principes de la démocratie. Ses positions sont soutenues par Chahdortt Djavann, pour qui des femmes comme Ayaan Hirsi Ali, Taslima Nasreen, moi et bien d’autres, mesurons et apprécions la valeur de la laïcité encore plus que ceux qui en ont bénéficié dès leur naissance.
Pourtant,
certains accuseront Ayaan Hirsi Ali d’être plus motivée par sa haine de l’islam que par la défense de la laïcité.
Accomodements raisonnables dans les cantines scolaires de Lyon
En février 2008, l’association féministe Regards de femmes, présidée par Michèle Vianès, a décidé d’attaquer la ville de Lyon devant le tribunal administratif, après que la commune avait annoncé son intention de proposer des menus avec ou sans viande aux enfants fréquentant les cantines scolaires. Cette solution avait été trouvée pour satisfaire non seulement les parents musulmans qui veulent faire suivre des prescriptions alimentaires religieuses à leurs enfants, mais aussi ceux qui s’opposent à la viande halal dans les cantines au nom de la laïcité.
Pour Michèle Vianès, il s’agit dans ce compromis d’une
soumission à des impératifs venus d’ailleurs, étrangers ou hostiles à la mission de l’école. Le directeur de SOS Racisme Rhône a quant à lui accueilli cette décision comme
une victoire de la laïcité sur la religion, ce qui,
pour le magazine Marianne,
est une question de point de vue. Marianne qualifie les associations soutenant cette initiative de
pseudo-laïques.
Mercredi, c’est Scientologie
L’islam et le christianisme n’ont pas le monopole du débat sur la laïcité en France. Ainsi les promoteurs de la laïcité inclusive ou de la nouvelle laïcité ont-ils pu applaudir des deux mains en février la position de l’Élysée au sujet des sectes, qualifiées de non-problème. Emmanuelle Mignon, directrice de cabinet du président de la République Nicolas Sarkozy, a ainsi jugé à propos de la Scientologie (VSD, mercredi 6 février 2008) : Je ne les connais pas mais on peut s’interroger. Ou bien c’est une dangereuse organisation et on l’interdit, ou alors ils ne représentent pas de menace particulière pour l’ordre public et ils ont le droit d’exister en paix. Danielle Gounord, du service de communication de la Scientologie a accueilli ces propos avec enthousiasme : La France évolue dans le bon sens. Elle s’aligne désormais sur la majorité des pays européens.
Communautarisme et islamophobie, deux mots pour deux camps laïques
Deux camps qui se disent laïques se sont affrontés toute l’année autour de la laïcité et de l’islam. Pour schématiser, le premier réunit des anti-cléricaux de gauche et des souverainistes de droite qui, tout en ne partageant pas les mêmes objectifs, épinglent toute tentative d’immixtion de l’islam dans la sphère publique ; quant au second, qui rassemble des associations de lutte contre la discrimination et des personnalités de gauche modérée et extrême, il voit dans les attaques contre l’islam au nom de la laïcité des propos racistes.
On se souviendra de l’article sur AgoraVox en juin dernier de Robert Albarèdes : «
Les petits pas feutrés du communautarisme islamique » : relevant de nombreuses tentatives de la part de religieux pour plier la loi commune à leur vision du monde, Robert Albarèdes relevait que des dizaines de cas isolés préparaient
l’irruption annoncée des communautarismes qui balaieront l’assise laïque de la République et construiront l’assise sociétale de l’Europe politique en construction.
On pourra aussi ici rappeler la lecture d’Henri Pena-Ruiz s’agissant de la distinction entre laïcité et lutte anti-religieuse :
Quand les clergés débordent les limites de leur communauté religieuse, et prétendent dicter la loi commune à tous, empêcher ici l’interruption volontaire de grossesse, ou empêcher là que soit mise en place une réflexion sur l’euthanasie au nom d’une vision du monde qui leur est particulière, à ce moment là cela veut dire qu’il y a cléricalisme sur la chose publique, et ce cléricalisme-là, on ne peut que le combattre puisqu’il prétend annexer la chose publique à une croyance privée particulière qui n’engage que les croyants.
Pour Caroline Fourest et Fiammetta Venner, le mot islamophobie a été pensé par les islamistes pour piéger le débat et détourner l’antiracisme au profit de leur lutte contre le blasphème.
Il faut se souvenir que ce mois de juin a été marqué par de nombreuses mises à l’épreuve de la laïcité : de l’annulation d’un mariage pour absence de virginité de l’épouse, au procès perdu par cette famille dont le père avait refusé la présence de médecins hommes lors de l’accouchement de sa femme, en passant par la déclaration du Collège national des gynécologues obstétriciens de France s’agissant des certificats de virginité et des réfections d’hymen, ou encore par les affaires des piscines de la Velpillière et d’Argenteuil ou du gymnase de Vigneux-sur Seine, la laïcité a été brandie à de multiples reprises.
Alors, où s’arrête la défense de la laïcité et où commence l’anti-cléricalisme ? La question peut par exemple se poser dans l’affaire Truchelut : En août 2006, Fanny Truchelut, propriétaire d’un gîte dans les Vosges, a demandé à deux clientes de retirer leur voile dans les parties communes de son établissement. Attaquée en justice par ses clientes, plusieurs associations s’étant portées partie civile (Licra, LDH, Mrap), Fanny Truchelut a été condamnée en octobre 2007 pour discrimination en raison de la religion (les accusations de discrimination raciale et ethnique n’ayant pas été retenues) à quatre mois de prison avec sursis. La peine a été confirmée en appel en octobre 2008.
Pour Anne Zelensky, présidente de la Ligue du droit des femmes et Annie Sugier, présidente de la Ligue du droit international des femmes, ce signe ostentatoire de la religion musulmane est un symbole de l’oppression féminine. Cette position sera notamment défendue par le site Riposte laïque. Pour la philosophe Catherine Kintzler, il s’agit moins ici de laïcité que du principe de la liberté d’opinion qui doit être respecté, en dépit de l’horreur que le voile [lui] inspire à titre personnel.
Les échanges sur le voile en 2008 se sont conclus en septembre par la proposition de loi du député Jacques Myard visant à lutter contre les atteintes à la dignité de la femme résultant de certaines pratiques religieuses.
Laïcité positive, le retour
En septembre 2008 le pape Benoît XVI a été accueilli en France par le président de la République. À cet occasion, le pape a insisté sur les racines chrétiennes de la France et rappelé l’intérêt du concept de laïcité positive utilisé par Nicolas Sarkozy :
Je suis profondément convaincu qu’une nouvelle réflexion sur le vrai sens et sur l’importance de la laïcité est devenu nécessaire. Il est en effet fondamental de garantir la liberté religieuse des citoyens ainsi que la responsabilité de l’État envers eux et d’autre part, de prendre une conscience plus claire de la fonction irremplaçable de la religion pour la formation des consciences.
L’harmonie entre le chef de l’État et le chef de l’Église catholique romaine s’est faite autour de leur intention commune de redonner à la laïcité son vrai sens, de la rendre positive, plus ouverte.
Pour Catherine Kintzler, c’est aux religions de devenir positives au nom de la laïcité, c’est à elles d’abandonner leurs tentatives d’imposer leur vision exclusive, qu’elle soit intellectuelle, politique ou juridique. Il n’y a […] rien de plus positif que la laïcité. Elle pose bien plus de libertés politiques et juridiques que ne l’a jamais fait aucune religion. […] Quelle religion a institutionnalisé la liberté de croyance et d’incroyance ?
L’Observatoire international de la laïcité
Le 5 novembre 2008, Jean-Michel Quillardet, ancien grand maître du Grand Orient de France, et le journaliste Antoine Sfeir ont annoncé le lancement de l’Observatoire international de la laïcité, présenté comme un groupe d’étude et de prospective afin de renforcer le principe de laïcité comme constitutif de la République et de la démocratie. Jean-Michel Quillardet formule un vœu : Puisse le XXIe siècle être laïque, c’est-à-dire libre, égal et fraternel.
Rappelons que l’Observatoire de la laïcité institué auprès du Premier ministre en mars 2007 n’a pas encore vu le jour.
La Cour européenne des droits de l’homme et la laïcité en France
La loi française de 2004 a été reconnue par la Cour européenne des droits de l’homme, qui a affirmé dans un arrêt de décembre concernant le port du voile à l’école : La laïcité est un principe constitutionnel, fondateur de la République, auquel l’ensemble de la population adhère et dont la défense paraît primordiale, notamment à l’école. Pour des raisons de liberté de conscience, deux jeunes Françaises de confession musulmane qui contestaient leur exclusion définitive de leur établissement scolaire pour avoir refusé de retirer leur foulard, avaient dénoncé ce refus devant la CEDH.
La difficulté du législateur et des dépositaires de l’autorité publique en matière d’expression religieuse est de composer à partir des principes de liberté d’une part et d’autre part, à partir de l’intérêt général à travers des règles qui conviennent à tous.
Pour Henri Pena-Ruiz : On ne peut concevoir la laïcité à partir de la seule liberté de conscience. L’égalité des croyants, des athées et des agnostiques en est tout aussi constitutive. […] La laïcité accomplie n’existe qu’en proportion du respect simultané de ces deux principes, avec pour corollaire la dévolution des institutions publiques au seul bien commun à tous par delà les différences.
Derniers pétards
Le feu d’artifice de la laïcité en France s’est conclu cette année sur l’inauguration de la mosquée de Créteil et le rappel de son financement partiel sur fonds public. Comme pour la cathédrale d’Évry, la structure accueille une partie culturelle, qui permet de contourner plus ou moins grossièrement les normes de la loi de 1905, lesquelles sont pourtant clairement définies : La République ne reconnaît, ne salarie et ne subventionne aucun culte. […] Les associations cultuelles […] ne pourront, sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l’État, des départements ou des communes.
En 2005, la commission Machelon avait souhaité un toilettage de la loi de 1905, notamment par rapport au financement des lieux de culte par les collectivités territoriales. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, avait soutenu cette recommandation en disant qu’il n’était pas juste que les fidèles des confessions en expansion récente sur notre territoire, l’islam sunnite et le christianisme évangélique, rencontrent des difficultés pour pratiquer leur culte.
Seize députés de toutes tendances avaient alors rappelé en octobre 2006 les verrous de l’étanchéité des rapports entre l’État et les cultes de la loi de 1905, précisant que : La volonté d’utiliser les collectivités territoriales pour faire sauter le verrou du financement des cultes, au sens large du terme est en contradiction totale avec l’article 2 de la loi de 1905.
Enfin, l’accord signé le 18 décembre entre la France et la Vatican, qui a pour objet de reconnaître la valeur des grades et des diplômes canoniques ( théologie, philosophie, droit canonique ) ou profanes [toutes les autres disciplines] délivrées par les établissements d’enseignement supérieur catholiques reconnus par le Saint-Siège et de faciliter les différents cursus universitaires, sape les lois laïques de Jules Ferry et Paul Bert de 1880. Le principe du monopole de l’État en matière de collation des grades universitaires avait pourtant été rappelé par le Conseil d’État en 1984, lequel avait d’ailleurs précisé qu’il s’imposait même au législateur.
La République répugne encore […] à reconnaître la valeur des diplômes délivrés dans les établissements d’enseignement supérieur catholique alors que la convention de Bologne le prévoit. […] Je pense que cette situation est dommageable pour notre pays. Voilà ce que disait le président Nicolas Sarkozy en décembre 2007 au Latran. Il aura fallu un an pour que son vœu se réalise.
Entre la laïcité positive qui signe le retour d’une logique concordataire et la laïcité inclusive qui prépare le terrain des accomodements raisonnables que nous pourrions voir s’imposer dans les mois à venir, l’année 2008 a vu le socle de la laïcité républicaine être ébranlé à de nombreuses reprises.
Si nous voulons protéger la laïcité, il faut prendre conscience que certains parmi ceux qui s’en disent les défenseurs l’utilisent à des fins dévoyées pour asseoir telle ou telle logique dogmatique ; or, la République ne peut qu’éclater si ses principes fondamentaux sont travestis par des communautés agrippées à la croyance mystique ou à l’idéologie politique.
La vision d’un monde athée, pas plus que la vision d’un monde religieux, ne peuvent donner une lecture universelle des principes républicains. La laïcité est ce qui rassemble le laos, le peuple, par-delà les divisions confessionnelles et spirituelles. Ce principe républicain universel, gage de paix et d’intelligence citoyenne, fonde la concorde et contribue au progrès social ; il appartient à chacun d’entre nous d’en préserver le sens sans en trahir l’essence.