Vade retro référendum !
Il est très fréquent d’entendre dénoncer les procédés de démocratie directe au motif qu’ils favoriseraient la démagogie et le « populisme ».
Ce dernier terme, qui ne désignait initialement que les courants politiques et les procédés constitutionnels favorables à la souveraineté populaire, a progressivement été chargé d’une connotation essentiellement péjorative exprimant le mal et la vulgarité absolus dont serait imprégnée la « populace ». Ces considérations méprisantes ont toujours été de nature évidemment élitiste, et traditionnellement d’inspiration plutôt libérale, donc situées à droite, mais le postmodernisme permet aujourd’hui de les rencontrer très largement à gauche et même à l’extrême gauche de l’échiquier. L’usage polémique du terme « populiste » sert désormais d’étiquette « disqualificatoire » pour diaboliser la volonté populaire et faits majoritaires.
La confiscation contemporaine du pouvoir par les médias, les associations, et une oligarchie élitiste persuadée de détenir le monopole de la vérité et surtout celui de la morale (d’où l’apparition du terme « gauche morale » utilisé pour désigner le militantisme associatif de type « sociétal ») aboutit très naturellement à une méfiance des nouvelles aristocraties à l’égard de tout ce qui permettrait à la majorité des citoyens d’exprimer une position différente de la « doxa » postmoderne. Il en résulte que la démocratie représentative est désormais aussi discréditée que la démocratie directe, le courant dominant ne supportant pas le décalage fréquemment observé entre les sondages virtuels et les suffrages réels.
La réaction provoquée dans certains milieux par le premier tour de l’élection présidentielle de 2002 pourtant prévisible, la perplexité générée par les mouvements de balancier de l’électorat hexagonal à chaque échéance électorale, le mépris manifesté à l’égard des résultats des consultations organisées en Corse et aux Antilles (les deux ayant été appelées à se reprononcer sur leur désir de rester dans la République française, alors même qu’un premier référendum atteignait, dans les deux cas, des taux ne permettant aucun doute sur cette volonté), ainsi que du référendum sur la Constitution européenne (censée exprimer la « peur » (bah tiens !) d’une population irrationnelle), et enfin le dégoût exprimé par les élites européennes lors de la réélection de George Bush, témoignent de l’allergie grandissante des milieux dominants au verdict des urnes.
De tout temps s’est exprimée une solide méfiance à l’égard des choix populaires, réputés manquer de l’éclairage nécessaire à la bonne décision politique (pourtant, on l’oublie, mais ce sont les parlementaires, censés être des gens « éclairés », qui ont ratifié le traité de Nice... honni par tous les partis politiques en 2005, et encore maintenant !).
Initialement contestée à gauche, cette réticence des libéraux à l’égard de la vox populi est finalement devenue une valeur largement partagée. Ainsi, la Constitution de 46 ne prévoyait, elle, en France, qu’une ratification référendaire pour des questions essentiellement constitutionnelles.
Il est même devenu banal dans la gauche dominante d’accuser les citoyens de « conservatisme » sans d’ailleurs avoir une idée très claire de la définition de ce mot. Il est devenu tout aussi banal, pour cette même gauche, d’accuser le peuple d’être « réactionnaire » à telle ou telle chose qui ne rentre pas dans la « doxa » dominante chez les soi-disant élites. Les récents référendums américains organisés sur les « valeurs » de la société ne risquent effectivement pas de rallier à la démocratie directe les tenants autoproclamés du « progrès » sociétal. Un référendum portant sur une « simplification » du français, langue nationale de la France, n’aurait sans doute pas plus de réussite aux yeux des élites, qui en bons apprentis sorciers, n’hésiteraient sans doute pas à taxer de « réactionnaire » ou de « conservateur » un peuple Français qui aime sa langue, la trouve certes parfois compliquée, mais pour rien au monde ne désirerait porter atteinte à ce que beaucoup considère comme un chef-d’œuvre.
Cela dit, et qu’on le veuille ou non, toute critique à l’encontre du référendum est une critique contre la démocratie. Les arguments invoqués pour démontrer le danger référendaire (considéré comme étant un « piège » pour l’Europe !) ne sont pas toujours convaincants. Certes, les dictateurs sont souvent friands de procédés plébiscitaires, mais ce sont quand même des élections (la plupart du temps) et non des référendums qui les ont portés au pouvoir (ex : Hitler, Mussolini et dans une moindre mesure Staline qui, il est vrai, avait résolu le problème en étant le seul candidat en lice !).
Faudrait-il alors supprimer les élections, et, tant qu’à faire, le peuple ?
Les plébiscites caricaturaux, accompagnés de fraudes, de manipulations, de musellement de « l’opposition » et de contrôles de la presse, sont moins la cause que la conséquence de dictatures déjà installées. Les référendums du général de Gaulle, en forme de « moi ou le chaos », étaient sans doute forts irritants mais ne constituaient que la transposition dans la relation du président et du peuple de la procédure de l’article 49.3 de la Constitution, qui permet aussi au gouvernement d’engager, devant l’Assemblée nationale, sa responsabilité sur un texte. C’est aussi, d’une certaine manière, la transposition du « vote de confiance » demandé aux parlementaires par le Premier ministre, lors de sa première allocution devant le Parlement.
Dans le cadre d’un long mandat présidentiel (sept ans alors), ces engagements référendaires personnels permettaient de tester efficacement la légitimité démocratique du chef d’Etat, et de le renvoyer éventuellement en cours de mandat, ce qui se produisit effectivement et très démocratiquement en 1969. On ne saurait dire en la circonstance qu’il y a là quoi que ce soit de dangereux pour la démocratie, bien au contraire.
Sans doute convient-il d’user de procédés de démocratie directe avec mesure et discernement, d’autant que les régimes pratiquant à l’excès le référendum voient leurs électeurs se lasser, et finir par bouder les urnes.
Il n’empêche que ces procédés sont des bouffées d’air frais salutaires lorsque des citoyens se sentent par trop impuissants et dépossédés de leur destin - ce qui est tragiquement le cas en notre France, et explique pour une bonne partie le pessimisme ambiant, et le discrédit, aussi bien du Parlement (pas vraiment perçu comme défendant « l’intérêt général ») que du gouvernement (qui a un peu trop tendance à croire qu’il est omnipotent). A ce titre, ils permettent peut-être de s’éloigner de dangers bien plus graves. Par exemple, on a vu le « parti national » (le peuple et les philosophes des Lumières) être obligé de se radicaliser face à une aristocratie et des « Parlements » refusant de consentir d’abord aux Etats Généraux, puis au fameux « vote par tête », au lieu de « vote par Ordre ». Cette « radicalisation » a provoqué, insidieusement, une « guerre » entre Ordres, d’autant plus brutale que le roi ne jouait pas son rôle de « temporisateur », d’arbitre, et surtout de source unitaire, puisque perçu comme partial, et favorable qui plus est aux aristocrates honnis par ses sujets. Et on peut, sans trop de difficultés, considérer que cette radicalisation de la société portait en germe les prémices de la violence révolutionnaire, et le contre-coup de celle-ci, l’apparition d’un régime tyrannique, qu’on a d’ailleurs appelé logiquement « la Terreur ».
Répondant, en 1848, aux inquiétudes sur les risques de dérive autoritaire d’un président de la République élu au suffrage universel direct, Lamartine lançait : « Alea Jacta Est ! Que Dieu et le peuple prononcent, il faut bien laisser quelque chose à la Providence ! »
Rousseau lui-même ne disait pas autre chose en écrivant : « D’ailleurs, en tout état de cause, un peuple est toujours maître de changer ses lois, mêmes les meilleures, car s’il lui plaît de se faire du mal à lui-même, qui peut l’en empêcher ? »
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