Acte III de la crise financière : la bombe des CDS
Deux ans après le début de la crise financière, en juillet 2007, l’optimisme est de bon ton. La sortie de la récession est annoncée pour la fin de l’année et la planète finance est en cours de convalescence, si l’on en juge les profits record affichés par la banque Goldman Sachs. Pas si vite. Dans l’acte I de la crise financière on a assisté à la faillite de deux fonds de Bear Sterns investis dans les suprimes. L’acte II a vu la faillite de la banque Lehman Brothers en septembre 2008. L’acte III pourrait bien marquer l’explosion de la « bombe des CDS », aux conséquences cent fois plus dramatiques que la crise des subprimes. Suivez nos explications.
Souvenez-vous, c’était en juillet 2007. Autant dire une éternité pour les marchés financiers. La crise des subprimes venait d’éclater. Le 16 juillet 2007, il ya exactement deux ans, la banque d’investissement américaine Bear Sterns, paix à son âme, annonçait que deux de ses fonds spéculatifs avaient perdu la quasi-totalité de leur valeur suite à des investissements hasardeux dans des titres adossés à des crédits hypothécaires américains, les fameux subprimes. L’été 2007 a été mouvementé, conduisant la FED à amorcer en septembre 2007 une série d’interventions qui allaient ramener son taux directeur aux alentours de zéro à l’automne 2008. Le monde découvrait avec effroi les actifs toxiques. Il aura fallu une légère hausse des taux longs américains au printemps 2007 pour que cette crise éclate. Mais le ver était déjà dans le fruit avec un retournement du marché immobilier déjà en juillet 2006. Nous n’étions encore qu’au début de la crise financière et les esprits candides ne prédisaient encore que des conséquences très bénignes sur l’économie réelle. Fin de l’acte 1.
Souvenez-vous, c’était en septembre 2008. La banque Lehman Brothers annonçait qu’elle était à cours de liquidités. Ne pouvant mobiliser son énorme ardoise d’actifs toxiques, et n’ayant pu obtenir un prêt de la Réserve Fédérale ou du Trésor Américain pour hônorer ses engagements à court terme, Lehman Brothers déclare faillite. La crise de liquidité de l’automne 2007 et du printemps 2008 se transforme en crise financière généralisée. Les bourses chutent emportant toutes les classes d’actifs dans leur sillage : actions, obligations, matières premières. La volatilité est inouïe. De mémoire de trader on n’avait jamais vu ça. L’indixe VIX américain, surnommé l’indice de la peur, atteint un record historique. La confiance dans l’économie s’écroule aux Etats-Unis comme dans le reste du monde. Le mot de récession est lâché. Le NBER établira que les Etats-Unis étaient entrés en récession dès décembre 2007. Fin de l’acte 2.
Voilà nous y sommes. C’est l’été 2009. On se préoccupe plus des vacances que des marchés financiers, qui tournent au ralenti. En cette fin de l’an II de la crise financière, on nous annonce déjà la sortie de la récession pour la fin de l’année, et tant pis si la reprise sera laborieuse et que les dettes publiques explosent. La crise financière ne serait plus qu’un mauvais souvenir exorcisé à coup de sommets du G20 et de plans de régulation financière les "plus ambitieux depuis les années 1930" (dixit le Président Barack Obama).
Pas si vite.
Un nouveau grondement sourd des profondeurs de la finance, avec des frémissements qui vont des steppes kazakhes aux trading floors londoniens et new-yorkais. De quoi s’agit-il au juste ? Hé bien, tout simplement de la plus grande bombe à retardement financière qui ait jamais été inventée : les CDS ou Credit Default Swaps. Une bombe dont la puissance de déflagration pourrait être cent fois supérieure à celle des subprimes, avec un encours mondial de plus de 40000 milliards de dollars en décembre 2008 ! Oui, vous avez bien lu 40000 milliards de dollars.
Le débat sur les CDS était cantonné jusqu’à présent à une sphère purement technique, l’objectif étant de sortir de l’ombre ces titres dont on ne connaît ni les détenteurs finaux, ni la valeur réelle, ni les contreparties, et de rationaliser ces marchés à travers la mise en place de chambre de compensations centralisées. Un débat d’experts et d’initiés qui devait rester comme tel.
Mais voilà. Le Département de la Justice Américain vient d’ouvrir une investigation pour en savoir plus sur ce marché, caractérisé par sa structure fortement oligopolistique. Opération vérité et transparence. Premier visé, la société Markit, fournisseur de l’information financière sur ces instruments. Du moins, fournisseur du peu d’information qui circule, l’essentiel des transactions ayant lieu, comme on dit, Over The Counter (OTC), autrement dit de gré à gré.
Le débat sur les CDS vient de prendre aussi une tournure beaucoup plus politique au Kazhakstan, comme le rapporte le Financial Times. Oui, ne riez pas. Cela n’a rien d’une blague potash (sic) à la Borat. Pendant des années les banques occidentales ont prêté des sommes considérables aux banques kazakh, qui roulaient sur l’or grâce au pétrole et aux autres ressources naturelles dont le pays regorge, recyclant ces liquidités dans des projets à la rentabilité plus que douteuse. C’était avant la crise financière et la chute du prix du pétrole. Aujourd’hui, les banques kazakh sont aux abois. La plupart ont été nationalisées par le gouvernement ou sont en passe de l’être. Or, pour ce couvrir les banques occidentales avaient souscrit ces fameux CDS qui les protègent en cas de défaut de leurs clients kazakhs. Une assurance tout risque, en somme. Le problème c’est que ces mêmes banques sont aujourd’hui tentées de spéculer sur les CDS, dont le prix augmente quand la probabilité de défaut de la contrepartie augmente. La banque Morgan Stanley est ainsi soupçonnée d’avoir favorisée à dessein la banqueroute de la plus grande banque kazakh, la BTA, pour pouvoir actionner les "airbags financiers" et empôcher une belle plus-value au passage. Assurément, là on ne rigole plus. Morgan Stanley a beau démentir, elle n’en est pas moins dans une situation délicate. Précipitez la BTA dans la faillite et c’est tout un pan du système financier kazakh qui s’effondre.
En vérité, le risque lié aux CDS est bien plus grave que tout ce que l’on a connu au cours des deux dernières années. Le pire n’est pas certain, mais tous comme les ogives nucléaires, ces instruments ne sont pas à mettre entre les mains de n’importe quels spéculateurs, qui pourraient être tentés de jouer le Grand soir financier, emportant au passage toute l’économie mondiale dans un gouffre béant. Il est encore temps d’agir, mais le temps est compté.
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