Crise financière : il faut punir les coupables !
C’est du moins ce que Nicolas Sarkozy déclare désormais à chaque intervention lorsqu’il évoque la crise financière dont les bourrasques viennent de balayer la planète. A New York, à Paris, à Toulon évoquer la sanction devient un rituel rhétorique de notre président : "Les responsabilités doivent être recherchées et les responsables de ce naufrage au moins sanctionnés financièrement... L’impunité serait immorale... Qui pourrait accepter une telle injustice ?"
Pour mettre en œuvre la "menace" présidentielle, il faut donc commencer par identifier sans risque d’erreur les coupables car il serait improductif de punir de simple boucs émissaires. Qui sont donc les coupables ? Jérôme Kerviel et les traders de la planète dopés aux super bonus ? Daniel Bouton et les banquiers repus de stocks-options qui se sont laissé berner par le rêve américain ? Les agences de notation complaisantes ? Les alchimistes, bricoleurs géniaux de la titrisation ? Les citoyens américains qui ont emprunté inconsidérément ? Les prêteurs "subprime" qui savaient pertinemment que leurs débiteurs étaient insolvables ? Les paradis fiscaux ? Alan Greenspan, l’artificier en chef ?
De "brillants économistes autorisés", tel Patrick Artuis, nous proposent des pistes sérieuses en affirmant avec force conviction : "Le point de départ de la crise est la perte de solvabilité pour une partie des ménages emprunteurs de crédit immobilier." J’ose espérer qu’en privé M. Artuis délivre des analyses un peu plus charpentées et que son simplisme affiché n’est qu’une feinte pour tromper l’ennemi. Un peu de bon sens et de sincérité messieurs les économistes, Elie Cohen et confrères patentés, et un peu moins de théories ou de commentaires fumeux vous permettraient de gagner en crédibilité.
Car, malgré les apparences, tous ces coupables déjà désignés ne sont que des victimes, souvent consentantes j’en conviens ! Nous avons en effet pris l’impardonnable habitude de confondre causes et conséquences. Cependant, il est aussi vrai que la conséquence d’une cause peut se transformer en cause d’autres conséquences. Difficile souvent de s’y retrouver et de remonter au pêché originel.
La sphère financière, par exemple, n’a été qu’opportuniste et n’a cherché qu’une chose : faire de la thune, une avalanche de thunes. Autant que le règlement le lui permettait et l’y invitait même. Sans vergogne et sans concession aux quasi certaines conséquences funestes qui seraient générées ultérieurement par quelques-unes de ses activités. Elle savait qu’à un moment donné tout ce barnum allait exploser. Mais là n’était pas sa préoccupation première puisqu’il était possible, à un instant T, de s’enrichir comme jamais. Qui peut imaginer en effet qu’Henry Paulson en qualité de président de Goldman Sachs ne savait pas pour les prêts hypothécaires "subprime" et qu’il n’avait pas identifié les risques liés à la titrisation ? Lorsqu’il est devenu secrétaire au Trésor, il savait toujours, bien entendu. Qu’a-t-il fait alors pour mettre un terme à ces pratiques autorisées qu’il savait fatales ?
Voilà le vrai niveau de responsabilités : ceux qui gouvernent, ceux qui font les lois, qui décident des règles, les font appliquer ou avec bienveillance ferment les yeux. Ceux qui en l’occurrence nous ont conduit dans le mur à la vitesse du son, tout en klaxonnant joyeusement. Nos hommes d’Etat, passés ou présents depuis trente ans, élus par le peuple pour la majorité d’entre eux, qui depuis des années se défaussent piteusement, doivent cette fois-ci endosser sans réserve la débâcle. Les enfants naturels de Reagan et Thatcher qui ont confectionné et promu le "meilleur des mondes". Qui l’ont exporté, qui l’ont importé. Leur œuvre et leur credo nous sont maintenant familiers : la dématérialisation de la monnaie ; la mondialisation ou la mise en concurrence du travailleur chinois (2 $ par jour 7 jours sur 7) avec le travailleur occidental ; le libre marché sans entraves, sans frontière ; la libre concurrence non faussée par l’intervention de l’Etat (sic !) ; la libre circulation des capitaux et son corollaire, la spéculation effrénée ; la privatisation de tout ce qui pourrait générer du cash notamment les biens collectifs et sociaux. Autant de "progrès" qu’ils ont décrété d’utilité mondiale, influencés et convaincus que Hayek, Friedman et compagnie étaient les seuls sur cette terre à détenir la vérité absolue. Et Sarkozy qui voulait bien sûr être de la partie, qui voulait à tout prix rejoindre le camp des modernes, le camp des winners, était tout disposé à nous faire déguster l’intégralité des savoureuses recettes. Quand soudain un énorme grain de sable vint gâcher la fête...
Pourtant tous les chiffres, toutes les statistiques indiquent que la panacée est loin d’être universelle : explosion du travail précaire, désindustrialisation de l’Occident, croissance de la pauvreté (925 millions de gens ont faim, + 9 % vs 2007), paupérisation des classes moyennes (croissance du revenu moyen en France entre 1996 et 2008 : 5,9 %), confiscation par le capital des gains de productivité (part des salaires dans le PIB en forte régression dans tous les pays occidentaux), etc. Toutes ces informations, toutes les données disponibles auraient dû, c’est un minimum, générer une vaste et sérieuse réflexion sur le bien-fondé de l’application d’une telle idéologie, voire au moins interpeller le président le plus borné.
Nicolas Sarkozy, comme tous ses collègues de même niveau, n’a aucune propension à s’autoflageller. Ne comptons donc pas sur lui pour mettre en œuvre ses menaces. Ce n’est pas moi, c’est le marché ! Ce n’est pas moi, c’est la mondialisation ! Ce n’est pas moi, c’est Trichet ! Pourtant, le temps des boucs émissaires et de la défausse est définitivement révolu. Il est temps désormais pour nos gouvernants, hommes d’Etat présupposés, les vrais coupables de cet immense gâchis, de prendre enfin leurs responsabilités. Après avoir colmaté tant bien que mal les immenses voies d’eau, charge à eux de remettre le bateau à flot. Analyser et traiter sérieusement les causes leur permettront sûrement d’éviter une nouvelle collision qui cette fois-ci enverrait pour de bon le bateau par le fond. Le chantier est immense, mais ils ont l’opportunité unique de pouvoir reconstruire sur de nouvelles bases, débarrassés enfin de ce fardeau nauséeux, l’idéologie de l’Ecole de Chicago.
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