De l’impossibilité de créer Google en France
Cet article montre comment il est légalement impossible de développer aujourd’hui une société de type ’Google’ en respectant le cadre juridique légal. Explications...
Tout d’abord, mettons de côté le cheval de bataille de la pression fiscale afin de s’affranchir du clivage droite-gauche :
Les taux de prélèvements obligatoires sont élevés en France, mais on oublie souvent, lorsqu’on compare avec les Etats-Unis, que la couverture sociale et la retraite ne sont pas obligatoires et doivent être rajoutées à leur taux de prélèvements obligatoires pour faire la comparaison. Je laisserai aux économistes le soin de débattre si le le résultat est légèrement supérieur ou inférieur aux prélèvements obligatoires en France, et aux politiques, le soin de débattre si cela est bien ou non. Du point de vue du dirigeant d’entreprise, ceci joue, certes, mais à la marge, comparé à ce que nous allons voir.
La véritable problématique pour une entreprise française est la complexité administrative et l’incertitude qui va avec.
Mon frère gère une société Internet aux Etats-Unis. J’en gère une en France. Il s’agit dans un cas comme dans l’autre de sociétés sans salariés, et si le domaine d’activité est différent, elles sont toutes les deux de taille identique.
Petite anecdote : mon frère, pendant quelques années, envoyait deux papiers par an à l’administration américaine. Un beau jour, la deuxième déclaration lui revient par courrier. Résumé du courrier : "Suite à la simplification administrative, nous n’avons plus besoin de cette deuxième déclaration, les informations figurant dans la première suffisant". Depuis, il envoie un seul papier par an (d’une page).
En France, gérant d’une société en tout point similaire hormis le domaine d’activité, je dois remplir par an : 12 déclarations de TVA, 1 déclaration sur la taxe professionnelle, la taxe d’apprentissage (pour dire que je ne la paie pas), le dépôt annuel des comptes au greffe, la déclaration d’impôts sur les sociétés, la déclaration d’impôts sur le revenu, les déclarations sociales qui disent la même chose que la déclaration d’impôts sur le revenu, quatre déclarations pour le paiement de l’IS, la DAS2 dans laquelle il faut inscrire tous les indépendants avec lesquels vous avez travaillé dans l’année et le montant versé, et j’ai découvert récemment encore l’IFA (impôt forfaitaire annuel). Comme mon frère est aussi actionnaire de ma société et qu’il a le malheur de vivre à l’étranger, j’ai découvert aussi le centre des impôts des non-résidents avec sa déclaration de prélèvement à la source pour les non-résidents et sa mythique convention ’France-Etats-Unis’. Et je passe les paperasses avec des pénalités de 5 euros parce que j’ai payé le centre des impôts des non-résidents par chèque alors qu’il était marqué dans un obscur recoin que je devais le faire par virement.
Revenons à Google néanmoins. Nous avons vu que le dirigeant français de TPE passe une bonne partie de son temps à essayer de comprendre ce que l’administration attend de lui. Cependant, son entreprise grossissant, un dirigeant prendra soin de déléguer ce travail. La solution est donc une course à la taille ? ... Pas si vite.
Le propre des technologies Internet est de mettre en relation des personnes d’un bout à l’autre de la planète, de manière quasi instantannée. Vous qui lisez cet article, vous pouvez me laisser votre opinion en deux minutes par le biais d’un commentaire et passer à autre chose.
Il en va de même pour les entreprises sur Internet : je trouve un fournisseur, il réalise le travail, m’envoie sa facture et reçoit son paiement. Hop, on passe à autre chose. Et si possible on aura automatisé tout ce qui peut l’être au passage.
Google est certes un puissant moteur de recherche. Mais côté business, Google c’est, d’une part des centaines de milliers de clients annonceurs sur sa régie "Adwords" d’un côté, et des centaines de milliers de fournisseurs d’espaces publicitaires sur sa régie "Adsense" de l’autre.
Explications succinctes pour les non-initiés :
Adwords : Quand vous faites une recherche sur un mot-clé sur Google, Google présente les sites qui lui semblent les plus pertinents par rapport à votre recherche. En tant que site Internet, il faut brûler un cierge (et un peu de travail tout de même), pour que Google vous place dans cette liste. Apparaissent à droite des résultats (et parfois même), des liens dit commerciaux et, là, il suffit de payer pour apparaître en tête de ces liens. 5 euros pour s’inscrire, et à partir de 5 centimes par visiteur. Ce sont des centaines de milliers de sites internet qui sont inscrit pour apparaître dans ces liens commerciaux, pour des sommes allant de moins de 1 euro par mois à plusieurs dizaines de milliers d’euros.
Adsense : A l’opposé, si vous avez un site Internet, une page perso ou un blog avec de nombreux visiteurs, vous pouvez vouloir arrondir les fins de mois en faisant un peu de publicité dessus. Pas de problème. Google vous propose en quelques clics de mettre des liens commerciaux sur votre site, le tout en respectant votre charte graphique. Idem donc côté fournisseurs : Google a des centaines de milliers de sites qu’il paie pour chaque clic, avec des sommes allant de moins de 1 euro par mois à plusieurs dizaine de millier d’euros.
Google met donc en relation des centaines de milliers (millions ?) de sites ayant du trafic d’un côté avec des centaines de milliers (millions ?)d’autres en recherchant de l’autre. On automatise le tout et vous avez construit un logiciel qui tourne tout seul (enfin presque...) et qui est la régie publicitaire Internet du monde entier. Inquiétant non ? En tout cas redoutable d’efficacité...
Plaçons-nous dans notre douce France et commençons à imaginer un tel système avec la législation actuelle. Les éléments de réflexion ci-dessous sont tirés de mon expérience personnelle, rencontrant dans le cadre de ma société des problématiques similaires d’automatisation des rapports clients - fournisseurs sur un grand nombre d’acteurs avec des sommes mises en jeu pouvant être faibles mais nombreuses.
Les clients :
Commençons par ce qui pose le moins de problème : les clients. En France, vous avez l’obligation légale d’envoyer une facture papier à tous vos clients entreprises. Une impression, un timbre, même avec la sous-traitance à un expert et des rabais sur les volumes, cela fait du 0,5 euro par personne et par mois au minimum. Quand vous facturez des sommes de 5 euros en grande quantité, c’est 10% du chiffre d’affaires jeté par la fenêtre.
Il existe la facturation électronique, me dira-t-on. Oui sauf que la facturation électronique, ce n’est pas envoyer un document Word par e-mail. Une facture électronique pour être légale en France doit avoir une signature électronique faite par un spécialiste agréé avec des règles d’archivage électronique et de datation strictes. L’objectif : la signature électronique doit être infalsifiable. Pourquoi pas, mais là où un simple coup de tipex et une photocopieuse (pour ne pas parler de Photoshop) permet de falsifier une facture papier en un clin d’oeil, l’Etat français dans sa grande sagesse impose des conditions bien supérieures aux factures électroniques alors que les prestataires de signature électronique en sont encore à leurs balbutiements. Aujourd’hui Google met en ligne une simple facture depuis Dublin, charge au client de l’imprimer. En France, procéder ainsi n’est possible que vis-à-vis de clients particuliers.
Ceci dit, supposant que j’utilise le prestataire de signature électronique, la législation française prévoit que je ne peux l’utiliser avec mon client que suite à un accord contractuel préalable. Google en France devrait donc demander à tous ses clients de leur envoyer un contrat, ou être... dans l’illégalité.
Ce ne serait pas bien méchant et un inspecteur des impôts compréhensif n’y trouverait finalement rien à redire lors d’un contrôle fiscal. Mais que se passe-t-il si vous tombez sur un inspecteur idéologue ou pointilleux ? L’entreprise est de facto mise sur la brèche.
On pourrait ajouter qu’en France, vous avez de plus l’obligation d’exhiber moult lettres recommandées pour chaque client indélicat qui ne vous aurait pas payé (Sinon qu’est-ce qui prouve qu’il ne vous a pas payé en liquide ?...). Le coût du recommandé est plus élevé que le coût de la facture ? Cela ne change rien légalement, si vous n’êtes pas capable de prouver que le client n’a pas payé, vous êtes redevable de la TVA du règlement... que vous n’avez pas reçu...
Les fournisseurs :
Côté fournisseurs, les choses se gâtent encore un peu plus. Il m’a fallu un an d’échanges avec l’administration pour avoir la compréhension que je vous livre ci-dessous. Et celle-ci est peut-être encore incomplète...
En France, vous ne pouvez pas avoir des particuliers en tant que fournisseurs. Donc fin de l’histoire. Google et eBay ayant malgré tout imposé un style depuis l’étranger, une tolérance est laissée pourvu que le particulier déclare son revenu et que celui-ci est annexe.
Au delà, il faut travailler avec une personne enregistrée en tant qu’indépendant ou en tant que société. Vous recevez une facture, avec ou sans TVA, et tout le monde est content chez soi.
Première surprise : à la fin de l’année, vous devez déclarer à l’administration fiscale l’ensemble des prestations payées à des indépendants. C’est la DAS2 dont il faut respecter le format.
Sauf que l’URSSAF qui s’occupe des cotisations sociales vous demande une preuve que vos fournisseurs sont bien inscrits à l’URSSAF. Si lors des contrôles URSSAF, vous n’avez pas de justificatifs pour vos fournisseurs indépendants, ils peuvent être assimilés salariés et Google se retrouverait ainsi employeur de centaines de milliers de personnes de par le monde... Là dessus, il semble cependant que cela ne soit pas sûr puisqu’il faut qu’il y ait un lien de subordination.
Cela reste assez simple, sauf que l’on raisonne en franco-français. Quand on a des milliers de fournisseurs, c’est que quelques-uns sont hors de France. Pour l’administration sociale, voici la réponse de l’URSSAF : "Il faut que vous ayez un document qui prouve qu’ils sont couverts dans leur pays" (sic...)
Pour l’administration fiscale : ce n’est pas gênant tant que vous déclarez la TVA si c’est une opération intracommunautaire... Déclarer la TVA, mais il n’y a pas de TVA à payer entre prestataires de l’UE ? Il ne s’agit pas de la payer, mais de déclarer sur une ligne la TVA que l’on aurait dû payer si le prestataire était en France et sur la ligne du dessous la soustraire. Question naïve : "Je peux le faire une fois par an pour l’ensemble des fournisseurs". Réponse limpide : "Non, cela fausserait les statistiques européennes et vous seriez passible d’une amende de 5% des montants de TVA".
Fin de l’histoire ? Pas encore, ce serait oublier l’administration fiscale des non-résidents. Eh oui, si vous travaillez avec un non-résident, vous devez effectuer un prélèvement à la source d’un montant de 33% sauf convention fiscale internationale entre la France et le pays du fournisseur. Fort heureusement de nombreuses conventions fiscales existent avec de nombreux pays (mais pas tous...) et disent à peu près la même chose : "Pas de prélèvement à la source pour les indépendants". Sauvé ? Hélas non, il vous incombera de justifier que votre fournisseur est bien un résident fiscal dans son pays d’origine et vous trouverez le formulaire à remplir par l’ambassade de France de son pays sur le site des impôts.
C’est le coup de grâce. Google serait en France, il devrait demander à chacun de ses fournisseurs d’aller remplir en deux exemplaires dans l’ambassade de son pays un document prouvant à la France qu’il est bien domicilié à l’étranger. Sinon, l’administration fiscale sera en droit de demander le règlement d’un tiers de chaque facture au titre du prélèvement à la source, puisque, après tout, vous n’êtes pas en mesure de prouver qu’il ne s’agit pas d’un Français qui travaille au noir.
Comment s’en sortir ?
La simplification administrative est malheureusement l’arlésienne de nos campagnes électorales. Royal, Bayrou, Sarkozy, sont tous pour (qui ne le serait pas ?). Malheureusement pour ce qui est des relations avec les entreprises, la France s’est construite sur un système où le dirigeant d’entreprise est pour l’administration fiscale et sociale le collaborateur naturel ayant pour mission de ficher tout le monde sous peine de quoi c’est le dirigeant qui sera responsable financièrement des faits et geste des autres.
Il faut tout simplement supprimer ce mode de fonctionnement et passer à un mode où chacun est responsable pour soi et n’a pas à surveiller son voisin, d’une part, et d’autre part où le dirigeant d’entreprise n’est pas considéré comme coupable a priori et donc devant en permanence faire preuve de sa bonne foi.
De manière concrète, ceci passerait par la suppression du prélèvement à la source par les entreprises, la suppression des déclarations DAS2, en passant par la suppression des justificatifs à fournir pour les gestions d’impayés. Cette réforme dispose même d’un indicateur simple et précis pour en mesurer l’efficacité : le nombre de formulaires par an qu’un dirigeant doit remplir.
Quand on met bout à bout toutes ces haies sur le parcours de l’entrepreneur français et que l’on sait qu’à côté, le 100 mètres se court sans haies, la question de la réforme administrative n’est pas une question de droite, de gauche ou du centre, c’est simplement une question urgente.
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