Cet article part du principe que le libéralisme, ou tout du moins, une part de libéralisme, a un intérêt pour l’Etat. La théorie libérale est basée sur l’hypothèse de sa propre convergence. Cependant, le libéralisme se montre divergent, et il est interprété que cette divergence est due à la croissance exponentielle des entreprises. Des propositions sont faites pour parvenir à une convergence forcée du libéralisme.
1 – Intérêt, principe et périmètre du libéralisme
Intérêt. Le libéralisme est une théorie économique dont l’intérêt est de décentraliser l’activité d’organisation et d’anticipation des désirs des citoyens de l’Etat. Il est en effet difficilement imaginable que la structure hiérarchique d’un Etat soit capable d’organiser une société dans ses moindres détails ; en effet, la planification exigée nécessite d’établir des modèles de prévision. Comme en sciences, ces modèles sont intrinsèquement imparfaits. Ils sont forcément limités par leurs hypothèses, la finesse de la modélisation, la capacité de collecte de données et la puissance de calcul. De plus, il est difficile d’envisager la diversité des désirs des citoyens : qui mieux que nous-même peut décider de ce qui nous plaît ? Nous voyons donc que le libéralisme permet de décharger l’Etat d’une partie de ses fonctions, fonctions qu’il serait extrêmement difficile de centraliser intégralement en une seule structure. Le libéralisme n’est pas en soi l’ennemi de l’Etat, c’est un de ses moyens d’actions pour prendre en compte la complexité du monde.
Principe. Le libéralisme a un rôle principal : fixer les prix. Pour garantir une telle fonction, certaines hypothèses doivent être vérifiées, dont (rapidement) : concurrence, transparence et homogénéité des marchés, à l’homogénéité des marchés et la rationalité des agents, mobilité des facteurs de production. De plus, il est nécessaire que les entreprises ne puissent pas influencer leur environnement (politique, légal, marchés…).
L’hypothèse est faite que le libéralisme est un système convergent ! Cela signifie que, quelles que soient les règles, l’usage du libéralisme lui-même pousse à renforcer la validité de ses propres hypothèses. Cela signifie, qu’en présence de toute règle ou aucune, les hypothèses du libéralisme se vérifient avec le temps d’elles-mêmes, sans intervention consciente ! Cette hypothèse est une hypothèse forte !
Périmètre. Le libéralisme ne peut être appliqué là où aucun prix ne peut être fixé. Les besoins de survie en font partie, car, en situation de survie, personne ne cherchera à payer, mais cherchera à prendre ce dont il a besoin. Quel prix peut-être fixé pour le quignon de pain qui permettra de faire survivre votre fille ? Un exemple de la magnitude de cette absolue nécessité de survie est tout simplement la guerre… Le domaine de la survie comprend la nourriture, le logement de base, la santé, l’énergie… L’écologie est aussi un domaine où le niveau des prix est difficile à mettre en œuvre : est-il possible d’estimer objectivement le prix futur de notre pollution actuelle ? La recherche scientifique, qui, par opposition à la technologie, peut n’apporter aucun bénéfice à long terme. Pourtant, ses développements peuvent multiplier notre richesse à long terme, mais cela de manière aléatoire. C’est également le cas de l’éducation. Il y a donc des cas où l’économie libérale est incapable de fixer un prix : un prix astronomique (« tout l’or du monde ! »), un prix incalculable et enfin un pari trop grand sur la valeur potentielle. Ces domaines sont typiquement du domaine de l’Etat, étant de plus grands ordres, ils sont des domaines stratégiques…
Pour résumer, le libéralisme s’applique a priori à merveille pour les domaines du loisir (sous toutes ses formes), domaine où l’Etat serait bien en peine de remplir sa fonction.
Nous voyons de plus ici qu’il n’est pas judicieux de se passer de l’un ou de l’autre système. Et cela est, heureusement, relativement admis. Cependant, le libéralisme, aujourd’hui est en échec…
2 – Divergence
Grosses entreprises. Le libéralisme est, en fait, divergent. L’hypothèse de convergence est invalidée par le fait qu’il existe aujourd’hui d’énormes entreprises. Et ces énormes entreprises présentent les caractéristiques suivantes :
· Elles tendent à une situation de monopole. Le principe de concurrence est alors invalidé.
· Elles représentent un tel capital, que le coût d’entrée des marchés est gigantesque. Nul concurrent ne peut alors émerger. De plus, le coût de transformation d’un gros capital est tel, que les entreprises préfèrent modifier le marché plutôt qu’évoluer avec lui. Il n’y a plus de mobilité des facteurs possible.
· Elles ont tendance à sacrifier la qualité au profit de la publicité, des phénomènes de mode. Cela nuit à la transparence des marchés, à l’homogénéité des marchés et la rationalité des agents. En effet, les produits ne sont plus choisis en fonction de leurs qualités objectives, mais sur des qualités subjectives induites par la masse.
· Elles peuvent même influencer le monde politique (par la cooptation, la corruption, le chantage à l’emploi) et donc influencer leur environnement juridique.
· Finalement, leur taille est telle qu’il n’est pas socialement acceptable qu’elle s’écroule. Elle est donc maintenue en vie par l’Etat. Il n’y a donc plus de concurrence.
L’existence de grosses entreprises montre que le libéralisme n’impose pas de lui-même ses propres hypothèses. Le libéralisme est donc divergent. D’aucuns répondraient que cela est dû au fait que les hypothèses du libéralisme n’ont pas été vérifiées à la base, ou que l’inflation réglementaire des Etats le contraint, mais cela n’est pas logique : si le libéralisme était convergent, ses hypothèses s’imposaient d’elles-mêmes et feraient, du même coup, disparaître toute tentative inutile de régulation.
Economies d’échelle. On peut interpréter cette divergence par la notion d’économies d’échelles. Plus une entreprise dispose de capital, plus elle peut investir dans des machines, qui produiront à prix modique pourvu qu’elles vendent beaucoup ; cela signifie qu’un objet fabriqué en dix exemplaires sera plus cher qu’un objet produit en mille exemplaires : ce sont les économies d’échelle. Le principe de concurrence pousse donc à fabriquer des objets en masse. Nous voyons déjà une première prémisse de divergence ; en effet nous perdons une partie des hypothèses libérales : concurrence (plus l’entreprise est grosse, moins elle a de concurrents, en nombre), mobilité des facteurs (des machines spécialisées sont difficilement reconvertibles) et non-influence sur l’environnement (une grosse entreprise est plus apte à influencer les hommes politiques, la loi, faire du chantage à l’emploi…)
Publicité. Les économies d’échelles permettent également d’investir en publicité de masse, investissement coûteux qui n’est pas à la porté d’une petite entreprise. Cette publicité nuit à la transparence et à l’homogénéité des marchés, et à la rationalité des marchés.
Actionnaires. Les économies d’échelles permettent des rendements supérieurs des actions, rendement qui n’est bien sûr pas à la portée d’une entreprise plus petite. Les investisseurs mieux rémunérés multiplient plus vite leur propre capital, qu’ils investiront d’autant plus dans des grosses entreprises (qui leur rapportent tant…) qui grandiront d’autant plus.
Une question de taille. Nous voyons donc qu’une grosse entreprise est naturellement poussée à la croissance, et que les avantages qu’elle apporte de sa croissance poussent à sa propre croissance… c’est exactement une croissance exponentielle, et cette croissance pousse à chaque fois à ne plus appliquer les hypothèses libérales. Nous pouvons donc y trouver une explication à la nature divergente du libéralisme. Nous pouvons même y trouver une notion de masse critique d’une entreprise : en dessous de cette limite, l’entreprise est trop limitée par la concurrence pour croître beaucoup plus que ses concurrentes, et ainsi le décollement exponentiel de sa taille ne se produit pas, ou avec peu de probabilité. Au-dessus d’une certaine taille, sa croissance s’accélère de manière sensible, jusqu’à prendre possession de tout le marché. Une mesure de cette masse critique serait probablement une étude passionnante…
Si le libéralisme est divergent, mais qu’il a de l’intérêt pour une nation (comme dit plus haut), il faut donc obtenir une convergence forcée…
3 – Quelques propositions
Ces propositions sont faites de façon à limiter les possibles (et probables) divergences du libéralisme. Elles ont été conçues pour fonctionnement en système, c’est-à-dire de dépendre les unes des autres. Prises ensemble, elles pourraient permettre une convergence forcée du libéralisme.
Plafonnement des revenus. Nous avons vu que les rendements du capitalisme poussent en eux-mêmes à faire diverger le libéralisme. Cela est dû à la multiplication exponentielle des revenus du capital ; c’est l’exact principe du taux d’intérêt. Cette multiplication exponentielle est une aberration si l’on veut obtenir un phénomène stable : il faut donc lui opposer un impôt lui aussi exponentiel, et de même intensité, pour éviter l’instabilité du système. Ou alors simplement plafonner le revenu : un revenu de 20 Smic au maximum est amplement suffisant pour goûter à tous les plaisirs de la vie, tout en garantissant que ce revenu n’explose pas ! De plus, pour rassurer, on peut envisager d’augmenter ce revenu maximum simplement en augmentant le Smic…
Franchise d’héritage. Pour éviter l’accrétion de capital au cours des générations, ce qui conduit en outre à de larges inégalités à la naissance (extrêmement préjudiciable pour la découverte des talents d’une nation), il est proposé de franchiser cet héritage à l’équivalent de quelques années du Smic, au maximum. Le reste de l’héritage sera perçu par l’Etat et pourra être utilisé à des projets d’Etats (cf. ci-dessus) ou pour financer des emprunts à taux préférentiels pour des entrepreneurs : on peut imaginer des concours d’Etat de projets d’entreprises…
Plafonnement du crédit bancaire. Le droit d’une banque de créer du crédit moyennant une réserve fractionnaire (progressivement réduite à la portion congrue) est exorbitant, de plus complètement illégitime. De plus, leur droit de créer du crédit pousse à l’inflation de la quantité de crédit, par la nécessité de la compétition entre les entreprises par la taille. Il est proposé que les banques puissent ne prêter que l’argent dont elles disposent : l’épargne. La création monétaire reviendrait dans le giron de l’Etat, et pourrait être constitutionnellement interdite pour financer les dépenses courantes, ou en cas d’inflation dépassant un certain critère. De plus, si besoin de création monétaire il y a, on peut imaginer qu’elle serve également à financer des emprunts à taux préférentiels pour des entrepreneurs, comme dans le paragraphe précédent.
Mode de financement des entreprises. Lors d’un besoin de capital, l’entreprise peut user de deux manières :
- interne : financer en fonds propres ;
- externe : souscrire un emprunt à une banque, émettre des obligations ou des actions.
Il est proposé que, concernant le financement externe d’une entreprise, l’apport de capital soit obligatoirement apporté par un salarié d’une entreprise. Ce salarié peut en être un de longue date ou être embauché lors de la demande de capital externe. Ce capital ne sera pas rémunéré directement, mais probablement par un meilleur salaire (limité, comme dit précédemment). Cet apport de capital pourra provenir de ses propres économies (limitées donc), d’un héritage (franchisé), d’un emprunt fait à la banque au prix du marché (limité par les deux précédents facteurs et le plafonnement du crédit bancaire), par un crédit d’Etat (voir précédemment) ou par une part dans une autre entreprise revendue à un autre salarié de cette entreprise.
Règle importante : il est interdit à un individu d’encourir plusieurs participations à un capital. Il est possible cependant d’augmenter son unique participation par les différents moyens présentés. Comme la quantité de capital proposée par une personne sera forcément limitée, l’augmentation de capital ne pourra se faire que par l’embauche. De plus, l’absence de dividendes rendra futile cette action dans le cadre d’un plafonnement du revenu maximum.
L’entreprise devra donc associer sa recherche de capital à des compétences et à un travail, ce qui, en soi peut être extrêmement bénéfique : une bourse capitaliste sera donc une bourse d’hommes et de compétences ; cela est évident car la compétence permettra de moduler la quantité d’emprunts consentis par une banque à un individu. Et la compétence et le travail sont des choses extrêmement difficilement thésaurisables.
Finalement, ce type de participation multipliera les actionnaires d’une entreprise, conduira à instaurer et à raviver la discussion « démocratique » au sein d’une entreprise, et à s’assurer de sa pérennité plutôt qu’à son rendement.
Et dans le cas contraire :
Briser les monopoles. L’entreprise a tendance à devenir un monopole. Et un monopole libéral n’a aucun intérêt. Nous avons donc deux possibilités : briser le monopole en détruisant l’entreprise ou nationaliser cette entreprise pour laisser un marché vierge pour ses futurs concurrents. Cette dernière solution ne manque pas de sens ; en effet, si les propositions précédentes sont appliquées, le monopole n’existerait que pour une raison évidente : la concurrence s’est faite par la qualité plutôt que par la taille et, si monopole il y a, c’est qu’il n’y a plus de progrès envisageable pour ce produit : l’optimum a été atteint ! En ce cas, l’utilisation par l’Etat d’un système libéral pour trouver cet optimum n’a plus de sens. La nationalisation de l’entreprise consisterait à rembourser les parts des associés (elle en a les moyens, si elle capte l’héritage et peut créer la monnaie) qui iront alors fonder de nouveaux marchés. Les salariés non associés auront le choix de travailler pour une autre entreprise (nécessité donc d’un service de l’emploi assurant la continuité du revenu, bien sûr), fonder une nouvelle entreprise, ou alors (par exemple par préférence d’âge) passer au statut de fonctionnaire. Ces entreprises nationales gèleraient donc le développement du produit (de toute façon gelé car optimisé), et attendraient peu à peu que le marché meure, remplacé par un nouveau marché. L’entreprise sera alors à la fin de sa vie, et sera alors dissoute.
Conclusion
Il a été proposé dans cet article des idées qui permettraient de limiter la taille des entreprises, afin de préserver les hypothèses libérales. Grossièrement, ces nouvelles règles pousseraient à conserver une taille humaine pour les entreprises. Une objection pourrait être faite que les économies d’échelles permettent une baisse des coûts, mais il peut également être constaté qu’aujourd’hui, ces économies d’échelles servent surtout à augmenter le rendement des actions ou à financer la publicité : le produit n’est plus le centre de l’économie libérale, mais les moyens de transformer le marché et canaliser les consommateurs sont par contre en plein développement. Une hausse des coûts des produits sera probablement compensée par une baisse des coûts du capital, de la publicité et, probablement (mais c’est un autre débat), des coûts des systèmes sociaux.
Le format d’un article est trop court pour exposer toutes les conséquences possibles des propositions présentées. Néanmoins, l’auteur sera ravi d’en débattre sur ce forum.