Toujours en tête d'extraordinaires sondages portés notamment par le vote ouvrier, Marine Le Pen continue sa progression malgré son incrédibilité économique, sociale et monétaire. Elle et son équipe "d'experts" en économie − d'ailleurs souvent anonymes − ont dévoilé leur projet pour la France en cas de victoire en 2012. Nous ne reviendrons pas, bien sûr, sur l'aberration de la sortie de l'euro (voir nos 4 articles ici, ici, ici et ici). Voyons plutôt leur volonté de rétablir le protectionnisme et listons quelques éléments de réflexion à même de les instruire, eux et consorts, car ils ne sont pas les seuls à utiliser cet argument purement électoraliste.
Le protectionnisme est une mesure prise par un pays pour restreindre ses importations… c'est-à-dire les exportations des autres pays.
Il vise donc à protéger tout ou partie d'une production locale, régionale ou nationale contre la concurrence des productions étrangères selon des critères d'ordre politique, idéologique et / ou économique propres au gouvernement en place, en l'espèce celui de Marine Le Pen, dès mai 2012.
Vieux comme le commerce en général et les échanges internationaux en particulier, le protectionnisme − la plupart du temps porteur de nationalisme, cela ne s'invente pas − a souvent été source de conflits. En effet, les importations des uns étant les exportations des autres, toute limitation des premières aura pour conséquence immédiate de limiter les secondes... Ainsi le résumait Adam Smith (1723-1790) en parlant de Colbert (1619-1683), ministre protectionniste, car mercantiliste, de Louis XIV : "Les Français sont particulièrement enclins à favoriser leurs propres produits [...] en limitant les importations de biens étrangers qui pourraient entrer en concurrence avec eux. [...]. Ce ministre, par le tarif douanier de 1667, a imposé des droits très élevés [...] Lorsqu'il refusa de les modérer en faveur des Hollandais, ceux-ci interdirent en 1671 l'importation des vins, des eaux-de-vie et produits transformés de France. Il semble que la guerre de 1672 soit née de cette querelle commerciale. La paix de Nimègue y mit fin en 1678 [...]" (Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, livre IV, chap. 2 "restrictions à l'importation", page 480, éd. Economica) (*).
Outre la différence entre des régimes politiques au type d'économie opposé − libéral / communiste, autarcique / ouvert −, de nombreux arguments sont avancés pour justifier une protection érigée aux frontières. Souvent, il s'agit de protéger ou de sauvegarder une industrie naissante, une autre en danger imminent de fermeture ou bien un secteur stratégique lié à la défense nationale... ou encore à une tradition culturelle. Il peut aussi s'agir de limiter une concurrence déloyale de produits fabriqués selon des conditions non respectueuses de telle ou telle norme sociale, sécuritaire, sanitaire, environnementale… voire même fiscale (subvention des exportations) ou monétaire (dévaluation / dépréciation compétitive d'une monnaie). Ou tout simplement d'améliorer les termes de l'échange du pays, ou encore de prendre une mesure de rétrocession contre tel ou tel nation elle-même protectionniste. Bref, l'imagination humaine n'a pas de limite en matière de protectionnisme et paradoxalement, ceux qui le prônent pour leur propre bénéfice entendent difficilement ceux qui font de même (**).
Pour la paix… mais aussi pour que l'avantage comparatif (Cf. : David Ricardo (1772 - 1823)) puisse réellement s'exercer et que chaque pays ait la possibilité de développer ses productions grâce aux débouchés extérieurs, les gouvernements ont voulu élaborer des accords ayant pour objectif de lever les obstacles − droit de douane / taxe, quota, contingentement, norme, etc. − érigés en barrière de protection qui limitaient leurs échanges bilatéraux ou multilatéraux, substrats du commerce international. Ainsi sont nés des accords âprement négociés de libre-échange, des zones régionales de libre circulation des marchandises (l'Union européenne, l'ALENA (accord de libre-échange Nord-américain), etc.), et des organisations internationales comme l'OMC (Organisation mondiale du commerce) remplaçante du GATT (General agreement on tariffs and trade).
Pour conclure :
En voulant protéger la France de la concurrence extérieure, la politique économique de Marine Le Pen et de son équipe d'économistes de salon, aura pour conséquences, outre d'engendrer des conflits ou des représailles de toutes sortes :
- d'encourager d'une part, la pérennisation d'une production intérieure non compétitive, voire obsolète (***), et d'autre part, les autres pays à prendre des mesures similaires de rétrocession. Mesures qui vont, pour la France comme pour ces pays, réduire les débouchés de leurs productions tournées vers l'exportation, avec des conséquences non négligeables, c'est-à-dire la hausse du chômage et l'affaiblissement de leur croissance économique ;
- de détourner une partie du pouvoir d'achat pour la consacrer à payer des taxes sur les produits importés, plutôt qu'à l'achat de produits nationaux… sans parler des tensions inflationnistes que cela engendrera ;
- de procurer à l'Etat des recettes budgétaires supplémentaires mais temporaires et illusoires, car tôt ou tard le pays devra rejoindre le concert mondial des échanges libres dans un commerce international soumis aux règles de droit commun, érigées par la quasi totalité de ses pairs, les pays participants à l'OMC.
Le protectionnisme montre bien qu'il est, in fine, une démarche perdant / perdant. Un repli sur soi, qui aggrave une crise au lieu de la résoudre...
(*) Smith en déduit que la liberté du commerce entre les pays est non seulement source de croissance économique grâce à la division du travail, mais aussi porteuse de paix.
Mais, pour rester objectif et bien qu'il soit le seul grand économiste à avoir un tel sentiment sur le sujet, le Nobel 1988, le français Maurice Allais (1911-2010) écrit : "Le véritable fondement du protectionnisme, sa justification majeure et sa nécessité, c'est la protection indispensable contre les désordres et les difficultés de toutes sortes engendrées par tous les dysfonctionnements de l'économie mondiale. Ce principe a d'ailleurs une validité universelle pour tous les pays ou groupes de pays" (La mondialisation, la destruction des emplois et de la croissance. p. 40, éd. Clément Juglar).
(NDR : ce n'est pas parce que le Nobel 88 écrit une ânerie, que le FN doit se précipiter dessus pour valider ses thèses xénophobes. Il doit aussi lire les 40 autres Nobels qui depuis 1969, soutiennent le contraire...).
(**) "Les perdants de l'accroissement des échanges internationaux sont les avocats infatigables du protectionnisme sous forme de droits de douane et de quotas" (P.A. Samuelson (Nobel 1970) et W.D. Nordhaus, Economie, p. 32, éd. Economica).
(***) Au Brésil, une loi de 1984 visait à protéger l'industrie informatique naissante en interdisant l'emploi d'ordinateurs non brésiliens dans les entreprises [...]. Cette loi sera abrogée en 1992 après avoir été reconnue comme une "tragédie" pour la modernisation de l'activité économique du pays absente de la révolution des premiers pas de l'économie numérique. Ses méfaits ont été estimés à plusieurs milliards de dollars américains. Depuis la fin de ce "nationalisme insensé" (dixit madame Zélia Maria Cardoso de Mello, ministre de l'économie (1990-1991)), le Brésil a bien progressé…