EDF, exemplaire entreprise citoyenne
La société Voltalis a inventé un système ingénieux sous la forme d’un petit boîtier (photo ci-contre) "qui s’installe sur le circuit électrique de votre logement ou bureau pour permettre de moduler au cours du temps et ainsi d’optimiser la consommation de certains équipements électriques (radiateurs, ballons d’eau chaude, climatiseurs…)". Comment ça marche ? "L’électricité ne se stocke pas sur le réseau, explique Voltalis sur son site. Il faut donc à tout instant équilibrer la production d’électricité et la consommation. Dès qu’apparaît un déséquilibre même très faible (bien inférieur à 1%), il faut le compenser d’urgence. A défaut, c’est la panne générale, comme on l’a connue le 4 novembre 2006 : plus de 10 millions de consommateurs en Europe furent soudain plongés dans le noir parce qu’un déséquilibre s’était produit en Allemagne. Pour maintenir l’équilibre lorsqu’il est menacé, différents moyens d’ajustement sont mis en œuvre, dont notamment : le démarrage des groupes de production supplémentaires, par exemple des générateurs à carburant fossile (gaz, pétrole, voire charbon), dont le fonctionnement en appoint est à la fois coûteux et générateur de gaz à effet de serre ; des réductions de la consommation de sites industriels, ce qui présente aussi des inconvénients, puisque de tels arrêts sont susceptibles de perturber grandement le fonctionnement des usines, avec des conséquences économiques, écologiques voire sociales tout à fait significatives. Voltalis a mis au point une technologie radicalement nouvelle pour répondre au besoin d’équilibre du réseau électrique selon un principe simple. Faire appel à la solidarité de nombreux consommateurs, et leur proposer de mettre en pause pendant quelques minutes certains de leurs équipements dont la consommation est flexible : radiateurs, ballon d’eau chaude, climatisation qui peuvent s’arrêter ponctuellement sans que le confort s’en ressente. Ce faisant, chacun peut offrir quelques kilowatts de puissance flexible, et un grand nombre de consommateurs agissant ensemble peuvent apporter les 10, 30 ou 100 MW nécessaires pour assurer l’équilibre du réseau." Sont concernés uniquement les bâtiments équipés d’un chauffage électrique. L’installation du boîtier est entièrement gratuite et la société promet au consommateur : "Diminution jusqu’à 5 à 10 % de votre consommation annuelle d’électricité quel que soit votre fournisseur ; réduction jusqu’à 30% des émissions de CO2 d’un bâtiment". Tout ça a l’air parfait !
Mais comment Voltalis, si rien n’est facturé au particulier, y retrouve-t-elle ses petits ? SuperNo l’explique clairement : "RTE (l’organisme public qui gèrer le réseau d’électricité, sans le droit de la vendre, depuis la scission de l’entité EDF requise par l’ouverture à la concurrence, Nda) rémunère Voltalis quand elle fait diminuer la consommation à certaines périodes. En effet, au moment des pics de consommation, RTE est obligé d’acheter de l’électricité “sur le marché”, au moment où elle est la plus chère. C’est là qu’intervient Voltalis, qui coupe donc au moment opportun (pour lui, pas forcément pour le client) le chauffage de ses “clients cobayes” pendant 15 à 30 minutes, évitant ainsi à RTE d’acheter de l’électricité au prix fort, et pouvant éviter de devoir démarrer une ultra-polluante centrale à charbon ou à gaz". A nouveau, tout ça a l’air parfait. Sauf pour... EDF ! Pour l’opérateur, une économie d’énergie revient à une baisse de son chiffre d’affaires. EDF a donc saisi la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Le Parisien raconte la suite : la CRE "vient de donner raison à EDF qui réclamait une « taxe » pour compenser le manque à gagner résultant des économies d’énergie réalisées par les clients de Voltalis. (...) Cette taxe serait de l’ordre de 70 à 80 % des revenus de Voltalis, autant dire une ponction qui pourrait se révéler fatale pour l’entreprise." Et son patron, Pierre Bivas, de s’insurger : "Ceci signifie que, si un ensemble de clients d’EDF acceptent de réduire leur consommation, EDF exige d’être payé comme s’ils avaient consommé ! C’est une décision contraire à la mission de la CRE de servir les intérêts du consommateur, contraire au Grenelle de l’environnement et contraire aux lois du marché car elle constitue une entrave à la concurrence". Précision du Parisien : "Une décision d’autant plus surprenante que le 18 juin, la Ferc, l’équivalent américain de la CRE, encourageait au développement d’un système analogue qui permettrait d’économiser 20% de l’énergie électrique consommée aux heures de pointe. Pierre Bivas ne compte toutefois pas en rester là : "Voltalis se réserve la possibilité de recourir à toutes les voies de droit pour faire rétablir la prééminence des consommateurs sur l’intérêt des fournisseurs, et au-delà de l’intérêt général comme de la protection de notre planète, tous menacés par cette décision."
Le NouvelObs.com nous apprend que la CRE a tenté de justifier sa décision : "La CRE souligne que les fournisseurs d’électricité, comme EDF, sont obligés de maintenir leur production au même niveau, même en cas de baisse ponctuelle de la consommation. La raison : maintenir l’équilibre du système. De ce fait, la CRE explique que les fournisseurs doivent être payés pour l’énergie qu’ils produisent, même si celle-ci n’est pas consommée. La rémunération de Voltalis doit donc prendre en compte ce système". Rappelons le slogan d’EDF : "l’énergie est notre avenir, économisons-la". Et relisons la position de la CRE : " les fournisseurs doivent être payés pour l’énergie qu’ils produisent, même si celle-ci n’est pas consommée". Ne marcherait-on pas un peu sur la tête ? Le Réseau "Sortir du nucléaire"* ne mâche pas ses mots : "La décision absurde de la CRE est la conséquence directe du système nucléaire français, basé sur une consommation maximale d’électricité au détriment des citoyens et de l’environnement. Le Réseau "Sortir du nucléaire" exprime sa plus grande colère face à la décision sidérante de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) qui entend imposer une véritable taxe sur les économies d’énergie, en l’occurrence sur les économies d’électricité. En effet, la CRE a rendu le 9 juillet une décision (1) visant à la mise en place d’une taxe sur les boîtiers qui permettent aux usagers d’économiser 5 à 10% de leurs consommation électrique. Cette taxe serait versée aux producteurs d’électricité, c’est à dire principalement à EDF, au titre d’un supposé "maque à gagner". A ce compte, il va bientôt être obligatoire en France de
consommer beaucoup d’électricité, sous peine de taxes ou d’amendes, et pourquoi pas d’emprisonnement. Les usagers veulent faire des économies d’énergie, mais pour la CRE il s’agit d’ "effacements diffus", une "non-consommation" coupable et donc à taxer. Le Réseau "Sortir du nucléaire" demande la dissolution de la Commission de régulation de l’énergie et son remplacement par une structure citoyenne indépendante dont la mission serait d’agir véritablement au profit des usagers et de l’environnement, et donc prioritairement en faveur des économies d’énergie, et non d’être au service d’entreprises commerciales comme EDF."
La position d’EDF, soutenue par la CRE, est effectivement scandaleuse. Cela dit, permettons-nous de sourire quand le patron de Voltalis parle de "solidarité" et invoque "l’intérêt général" et "la protection de notre planète". Remettons les choses à leur place avec cette pertinente saillie de SuperNo : "Précisons tout de même que l’activité de Voltalis est par ailleurs largement parasitaire, et n’aurait aucune raison d’être dans un système qui serait géré par un opérateur de service public unique, qui pourrait agir sur toutes les manettes sans conflit d’intérêts commerciaux, et dont l’objectif serait autant l’intérêt des usagers que la préservation de la ressource." Exact, camarade, mais ce n’est pas du tout le système voulu par les libéraux qui gouvernent l’Europe, au détriment des consommateurs et de l’environnement, mais au bénéfice des milieux d’affaires.
* Lire sur 20 minutes EDF a fait espionner l’association Sortir du Nucléaire.
PS : pour mémoire, le patron d’EDF, Pierre Gadonneix, a eu le toupet de réclamer une augmentation des tarifs de 20% sur trois ans, ce qui suscite un légitime tollé.
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