Face au stress au travail, comment réinventer la coopération dans l’entreprise ? (Le constat, partie 1)
Les sénateurs viennent de jeter un pavé dans la mare avec un rapport qui envisage des tensions croissantes dans les entreprises, des gains salariaux ralentis et une croissance en berne, faute d'initiatives pour favoriser "un modèle de travail digne et rémunérateur".
"Le fonctionnement du pacte social dans l'entreprise doit être impérativement amélioré dans le sens d'une meilleure reconnaissance des salariés et d'une revalorisation du travail", a affirmé mercredi à la presse le sénateur Joël Bourdin (UMP), président de la délégation à la prospective du Sénat, co-auteur avec Patricia Schillinger (PS).
Pour aller plus loin, il faut reconnaître que le principe de Milton Friedman « Business of business is business » est toujours d’actualité. Il se traduit notamment par la financiarisation des stratégies de firmes, qui impliquent un affaiblissement du pouvoir des dirigeants vis-à-vis des actionnaires. Ces dirigeants sont aussi rémunérés par des « stocks option », titres de la société dans laquelle ils travaillent, et bénéficient de « parachutes dorés » qui ont créé la polémique. Les multinationales, qui réalisent une part notable de leur chiffre d’affaire hors de leur pays d’origine se développent. D’abord américaines, puis européennes et japonaises, elles se développent dans les pays émergents comme la Chine ou l’Inde. Alors que les gouvernements restent nationaux, l’économie se mondialise. La création de valeur et de profit deviennent les maitres mots de logiques de performances recherchées dans les réorganisations, les fusions et les acquisitions. Le capitalisme n’est pas une idéologie, mais un mode de production. La bourse a cependant inventé dans les années 70 la technique de la « titrisation » visant à transformer, via des sociétés ad hoc, des actifs pour lesquels il y a peu de marché en valeurs attractives et négociables. Cette titrisation a notamment permis de noyer les subprimes qui ont provoqué la ruine de cinq millions de ménages américains et sont responsables de la faillite d’importants établissements financiers en 2008.
Des multinationales aux entreprises familiales
Dans ce contexte, on observe un retour en grâce du « capitalisme familial » privilégiant une stratégie prudente, basée sur le long terme, et s’opposant ainsi aux horizons courts et aux effets de levier du capitalisme financier. Souvent peu endettées, avec une stratégie patrimoniale, elles sont de toutes tailles, mais surtout implantées dans les services, le textile et l’alimentation, moins dans la finance ou l’énergie. Mais elles ont aussi des difficultés à passer aux mains de la seconde génération. D’autre part, le capitalisme d’héritiers décourage aussi d’autres talents et des agents économiques entreprenants au profit de parents. Mais chaque entreprise, multinationale ou familiale, TPE ou PME, est particulière, et les mutations de la société s’imposent désormais à toutes les entreprises.
D’une société de l’information à une société de la connaissance
Nous passons notamment d’une société de l’information à une société de la connaissance. C'est-à-dire que les citoyens-consommateurs ont un niveau d’instruction plus élevé que leurs parents et ont désormais un accès à l’information qui les rend hermétiques à toute propagande. Des savoirs savants aux savoirs pratiques, en évaluant avec ses proches, sur Internet, la valeur de chaque offre, le client prend son indépendance. N’hésitant plus à faire appel au troc et à l’occasion, il est également sensible au « faire soi-même », ce « do it yourself » qui vient des Etats Unis, et fait le bonheur des jardineries et autres magasins de bricolage. Sensible à sa santé et à son bien être, il dépense moins et veut vivre mieux. Il est vrai que tous les clients, quelles que soient leur niveau social, disposent désormais d’une offre abondante et de qualité, sont devenus des usagers-citoyens exigeants, et attendent une individualisation de traitement de leurs demandes. Dans la crise financière et économique majeure que nous connaissons, le comportement des clients évolue toujours, vers plus d’économie, et même de restrictions parfois, mais aussi de satisfactions personnelles. On ne peut pas parler de « déconsommation » liée à la crise, et certains budgets, comme les télécommunications ou les enfants, sont mêmes en augmentation. 66% d’entre eux comparent plus les prix qu’avant la crise, selon une étude Ipsos de 2009, et 47% d’entre eux pensent qu’il n’est pas nécessaire de dépenser autant pour être heureux. Et pour 78% des français, selon une autre étude de TNS Sofrès, cette crise remet en cause nos valeurs et nos façons de vivre et est une opportunité pour réformer le système actuel pour 63%.
Passer du « plus » au « mieux »
En passant du « plus » au « mieux », ils ne sont plus attachés aux prix prémium des marques, découvrent volontiers les marques distributeurs. Ils vont vers la simplicité, l’utilité et l’accessibilité, à l’instar de Google ou d’Apple, tout en étant plus rationnel et calculé sur ses achats. Il s’en suit un plus grand détachement vis-à-vis des marques, une recherche d’expériences et d’informations notamment sur le web, et la redéfinition de priorités d’achats, faisant plus de place à la « réalisation de soi ». Les grandes marques doivent donc, comme a su le faire Mac Donald’s par exemple, digérer la critique, s’adapter et anticiper les nouveaux besoins des consommateurs, tant dans l’agencement des magasins que dans les gammes de produits proposés.
Les entreprises changent
Les entreprises changent ou vont être contraintes de changer dans des proportions considérables. Mais plus qu’une révolution, il s’agit d’une évolution. Par l’accélération des temps tout d’abord. Alors que les innovations technologiques précèdent souvent les innovations managériales, la révolution industrielle qui durait 50 ans se fait en 5 ans et le long terme se gère à trois ans. Le marketing ne peut plus être qu’un simple outil de vente, il devient aussi un instrument de connaissances des besoins et des attentes du client. Dans le même temps, les entreprises sont plongées dans une interdépendance croissante, fait d’une économie ouverte, de marchés transnationaux, et d’un cadre macro-économique commun avec une libre circulation des biens, des services et des personnes en Europe. Dans ce contexte, la fidélisation des clients devient stratégique.
La quête d’un nouveau modèle « managérial »
Les entreprises recherchent des capacités managériales capables d’atteindre l’agilité stratégique imposée par l’évolution rapide des marchés. Tout en gardant un modèle hiérarchique pour les décisions importantes, elles recherchent des modèles souples pour le travail quotidien. Elles séparent de plus en plus la fonction de manager de la fonction hiérarchique, en le rendant capable de se manager par lui-même, en capacité de prendre toutes les décisions qu’impose sa mission. Tout en comptant sur la loyauté de l’encadrement intermédiaire, de plus en plus d’entreprises misent avant tout sur l’autonomie et « l’intrapreneuriat », encourageant y compris leurs salariés à sortir de l’organisation, et à négocier leur niveau d’engagement comme pourrait le faire un associé. Quelle que soit la taille de l’entreprise, des « centres de profits » sont ainsi conçus comme des entreprises légères, sensibles au bon sens, et capable d’un pilotage à vue avec une bonne évaluation des besoins des clients. . Juge de paix de cette nouvelle organisation : Une évaluation du profit par employé. Mais, face à ce paradoxe, de nombreux cadres s’interrogent sur le sens et la durabilité de ces nouvelles postures managériales.
La France en tête pour la productivité
La France n’a pas à rougir de sa productivité. Elle a le meilleur niveau de PIB par salarié et par heure travaillée d’Europe, et le deuxième mondial derrière les Etats Unis. Le niveau de production par salarié (source BIT) est passé, en France, de 48 000 dollars en 1993 à 52 000 en 2003, contre de 38 000 à 42 000 pour le Japon et l’Allemagne, et 50 à 61 000 pour les Etats Unis. Selon une enquête IFOP (2010) 64% des salariés déclarent partager les valeurs de leur entreprise et 53% s’estiment impliqués dans la vie de l’entreprise. Si 72% des salariés des grandes entreprises se déclarent fiers d’appartenir à leur entreprise et 59 % s’y estiment respectés, 45% jugent la qualité du dialogue social satisfaisante, et 45% également que le management les écoute.
Mais une incompréhension
Cependant, selon cette même enquête, 55% des salariés estiment que leur entreprise a pris des initiatives négatives en termes d’emploi, 23% que les profits sont répartis de manière équitable entre les dirigeants, les salariés et les actionnaires. Et seuls 26% ont déjà entendu parler de la Responsabilité Sociale d’Entreprise (RSE).
Et un absentéisme récurant
Sur le long terme, la hausse de l’absentéisme est sensible, et révèle des mal-être au travail. Le nombre d’indemnités journalières est en effet passé d’environ 13 millions entre 1990 et 1997 à 16 millions en 2005, avec une hausse de 10% pour la seule année 2002, et une diminution de 8,5% entre 2003 et 2005. Le coût annuel de l’absentéisme, pour 7 millions d’arrêts de travail soit 250 millions de journées indemnisées, est de l’ordre de 7 milliards d’euros, dont 5 à la charge de l’assurance maladie. Selon la CNAM (2004) le stress au travail est responsable de 50% de l’absentéisme. Selon l’INRS (institut de la recherche sanitaire) le coût de l’absentéisme du au stress était, en 2000, au minimum de 370 millions d’euros. La plupart des entreprises maintenant la rémunération pendant (88%) et au-delà du délai de carence (94%) (ANDCP 2003). A noter, un nombre moyen d’indemnités journalières deux fois et demi supérieur pour les salariés au-delà de 50 ans. Et dans les enquêtes d’opinion, la sphère privée, le foyer familial et les loisirs, est désormais privilégiée face à la sphère professionnelle et sociale, dans toutes les catégories, sauf pour les étudiants…
Eric Donfu 21 janvier 2011
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