Faut-il sortir de l’euro ?
Cela fait maintenant une dizaine d’années que l’euro a été lancé. Les troubles économiques majeurs que traverse le continent amènent à se demander sans tabou s’il ne faudrait pas mettre fin à cette hasardeuse expérimentation. Analyse des avantages et des inconvénients de la monnaie unique.
L’euro nous protège-t-il ?
Pour être honnête, la monnaie unique a eu quelques effets bénéfiques. Elle facilite les échanges au sein de la zone, même si elle n’a pas accéléré un mouvement qui lui préexistait largement. En outre, il faut se souvenir que seule 20% de la population va à l’étranger tous les ans. Ensuite, la convergence des taux longs a permis aux pays qui souffraient d’une forte prime de risque de réduire le coût de leur dette. Mais cette convergence s’est interrompue en 2008 et nous sommes revenus à la situation d’avant l’euro.
Mais surtout, il convient de tordre le cou à la mystification absolument incroyable selon laquelle l’euro nous aurait protégés pendant la crise. Outre les turbulences des marchés, un simple examen des chiffres démontre clairement le contraire : la zone euro est entrée en récession dès le 2ème trimestre 2008, soit un trimestre avant les Etats-Unis. En 2009, le PIB étasunien a baissé de 2,5%, contre 4% en Europe et en 2010, la croissance sera de 1.6% de ce côté ci de l’Atlantique, contre 2.6% de l’autre.
Et pourtant, la récession venait des Etats-Unis et y a été beaucoup plus dure que chez nous, avec une baisse de 30% de la valeur de l’immobilier qui a durement touché des millions de ménages. La crise aurait du être beaucoup plus dure aux Etats-Unis et c’est à cause de la politique européenne qu’elle a été plus forte sur le vieux continent. Et les derniers mois nous montrent bien que l’euro ne nous protège en aucun cas de la spéculation. Enfin, passons sur la protection de la Grèce ou de l’Irlande…
L’euro : un choix politique, pas économique
En fait, les problèmes actuels viennent du fait que l’euro est un choix essentiellement politique. La France de François Mitterrand y voyait un moyen d’ancrer l’Allemagne dans l’Europe après la chute du mur de Berlin. L’Allemagne l’a accepté uniquement parce que la BCE est l’exact décalque de la Bundesbank. Mais surtout, tous les fédéralistes y voyaient un moyen de contraindre l’Europe à se construire sur un modèle fédéral.
La zone euro n’est absolument pas une Zone Monétaire Optimale, comme le définissent les économistes, à savoir une zone géographique apte à partager une même monnaie. Aucun des trois critères nécessaires n’est rempli, à savoir la convergence macro-économique, la mobilité des travailleurs et l’existence d’un budget central. Les pays qui y participent sont trop dissemblables pour partager une même monnaie.
Même une avancée fédéraliste (totalement impossible quand on constate l’état de l’opinion Allemande qui propose aujourd’hui à la Grèce de vendre certaines de ses îles) ne serait pas une solution car les deux premiers critères ne seraient toujours pas vérifiés, ce qui laisserait trop de mécanismes pervers en œuvre, notamment la prime à une désinflation compétitive maladive. En outre, l’Europe n’est absolument pas un espace adapté à une construction de type fédéral.
Pire, une étude réalisée par un institut pourtant favorable à l’intégration européenne démontre que soixante-dix ans d’histoire commune entre la République Tchèque et la Slovaquie n’en ont pas fait une Zone Monétaire Optimale, malgré un budget central et un Etat de type autoritaire. La mobilité des travailleurs est restée faible et il n’y a pas eu la moindre convergence. Du coup, on voit mal comment ce qui a été impossible pour la Tchécoslovaquie pourrait être possible pour la zone euro.
L’euro cher
La faiblesse du cours de l’euro a aidé les économies européennes à la fin des années 90, mais depuis dix ans sa surévaluation chronique pénalise la croissance. En effet, hormis à sa naissance et pendant quelques temps (où il est descendu jusqu’à 0,82 dollar), l’euro est une monnaie dont le cours est trop élevé. Les économistes estiment que son cours normal devrait être entre 1 à 1,1 dollars à parité de pouvoir d’achat, soit encore une surévaluation de 20 à 30% aujourd’hui (et qui a atteint 50% mi-2008 à 1,6 dollar).
Cette surévaluation a une raison simple : la politique monétaire exagérément restrictive de la BCE par rapport à la Fed, qui pousse l’euro à la hausse. L’exemple le plus frappant, dénoncé par de nombreux économistes, est la décision incroyable de juin 2008, quand Jean-Claude Trichet avait trouvé le moyen de monter les taux alors que les Etats-Unis les avaient déjà baissés de 3 points ! Cette surévaluation est un énorme handicap commercial. Par exemple, en dix ans, la France est passée d’un excédent vis-à-vis des Etats-Unis à un déficit de 5 milliards et l’excédent de l’Allemagne a été divisé par deux.
Car cette surévaluation encourage les délocalisations. Tout d’abord, Airbus, fleuron de notre industrie, a décidé d’augmenter la part de ses composants produits en zone dollar pour se prémunir de la surévaluation chronique de l’euro : une partie du fuselage de l’A350 sera donc produit aux Etats-Unis. Un comble ! Les constructeurs automobiles Français ont suivi le même raisonnement : ils produisaient plus de 3 millions de voitures en France en 2004. Ce chiffre est tombé à un peu plus de 1,5 en 2009…
La désinflation compétitive
Dans un régime de change ajustable ou flottant, ajuster le cours de la monnaie est un des moyens les plus efficaces pour rééquilibrer les échanges commerciaux. La monnaie des pays en déficit a tendance à perdre de la valeur (favorisant les exportations et réduisant ses importations) alors que celle d’un pays en excédent a tendance à s’apprécier, pénalisant ses exportations et favorisant ses importations. Ce mécanisme naturel, qui contribue fortement au rééquilibrage des balances commerciales, est impossible avec l’euro.
Du coup, avec l’euro cher et des coûts salariaux à l’origine largement supérieurs à la moyenne, l’Allemagne a choisi de mener une politique de désinflation compétitive pour aider ses exportations. En effet, dans un système de parité complètement fixe, chaque point de hausse de salaire de moins que le voisin est un point de compétitivité coût de mieux qui permet de gagner la bataille commerciale. C’est ce que l’Allemagne a compris depuis le milieu des années 1990 et applique avec toute sa rigueur.
Ce blocage des salaires a permis à notre voisin d’outre-Rhin de grandement gagner en compétitivité et d’accumuler des excédents commerciaux grandissants vis-à-vis de l’ensemble de ses « partenaires » monétaires. Mais cette politique a un effet dépressif important (la croissance Allemande a été la plus faible de la zone dans les années 2000 – 0.8% par an - avec l’Italie), qui se transmet à l’ensemble de la zone.
Pire, ce comportement bien peu collectif a toutes les chances de pousser les autres pays à adopter la même politique de rigueur salariale absolue pour ne pas perdre en compétitivité. Mais déjà que cette politique avait un impact extrêmement négatif quand elle était uniquement poursuivie par l’Allemagne, elle pourrait se révéler désastreuse si davantage de pays y cédaient. En effet, cela réduirait encore le potentiel de croissance d’une zone qui n’a déjà pas brillé dans ce domaine depuis 10 ans…
Une même politique pour des réalités différentes
Mais ce n’est pas tout. L’autre problème majeur de l’euro est d’imposer une même politique monétaire à un ensemble de pays aux réalités trop disparates. Au milieu des années 2000, les taux directeurs de la BCE présentaient la double particularité d’être trop élevés pour des pays comme la France ou l’Allemagne, où ils ralentissaient une croissance déjà peu vaillante, et d’être trop faibles pour des pays comme l’Irlande ou l’Espagne, ce qui encourageait une croissance qui n’en avait pas besoin…
En effet, les économistes jugent le niveau des taux en les rapportant à la croissance nominale du PIB (croissance + inflation). Quand les taux sont supérieurs à la croissance nominale, ils ralentissent la croissance en rendant l’argent cher. Quand ils sont inférieurs, ils la soutiennent en rendant l’argent bon marché. Les années 2000 ont montré les ravages d’une politique unique pour des pays aussi différents.
En effet, en France et en Allemagne, la croissance nominale tournait entre 2 et 4%. La politique monétaire de la BCE ralentissait donc légèrement la faible croissance qu’il y avait des deux côtés du Rhin. En revanche, en Espagne ou en Irlande, la croissance nominale était d’au moins 6 à 7%. Du coup, la politique monétaire de la BCE accélérait inutilement la croissance de ces pays, et porte donc une part de responsabilité importante dans les bulles qui s’y sont développées.
Car ces deux pays ont fait ce qu’ils ont pu pour contrecarrer les effets de la politique monétaire de la BCE, trop laxiste pour eux. Les budgets étaient en excédent et leurs dettes étaient les plus faibles d’Europe. Mais ce dont ces pays avaient besoin était des taux d’intérêts à court terme à 7 ou 8%, qui auraient mis fin à la spéculation et à la bulle immobilière avant qu’elle ne devienne trop importante. Le ralentissement économique aurait été un petit prix à payer pour éviter le désastre actuel.
Euro cher qui pousse aux délocalisations, politique de compression des salaires, politique monétaire unique inadaptée à des réalités nationales différentes : les vices de l’euro sont immenses. Pire, ils ne sont pas corrigeables comme le montre le cas tchécoslovaque. Il n’y a donc qu’une seule solution : en sortir.
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