La crise financière : les remèdes et la prévention des rechutes
Comme suite à deux articles expliquant le fonctionnement du système monétaire (dont le premier écrit avant la crise), cet article envisage les solutions qui peuvent être apportées à la crise économique actuelle, et surtout celles qui ne portent pas en elles les germes de futures crises encore plus graves.
Principes généraux
La société humaine réclame beaucoup d’efforts et d’intelligence, pour produire de quoi manger, se loger, se soigner, s’instruire, se divertir, tout ceci en exploitant de façon raisonnable les ressources naturelles et en assurant une juste répartition des richesses entre les citoyens.
Quant survient une crise financière, des usines performantes et utiles s’arrêtent de tourner, juste à cause de chiffres écrits dans un livre de compte. Ceci choque le bon sens : comment un fait virtuel peut-il bloquer une activité réelle ?
Ceci arrive parce que les citoyens (et souvent leurs dirigeants) ont renoncé à comprendre le fonctionnement de l’économie et de la finance, et ont fait allégeance à des financiers professionnels guidés par leur intérêt personnel. Tant que les financiers arrivent à piloter l’économie, des biens matériels sont produits (souvent en détruisant l’environnement pour maximiser les profits à court terme) et profitent à une infime minorité, tandis que les pauvres s’enfoncent dans la misère. Lorsque les financiers son dépassés par leurs propres inventions, les pauvres sont jetés à la rue, pendant que des usines rentables sont fermées et que des logements vides restent interdits à ceux qui en auraient besoin.
L’économie est à la base de la vie en société : tout citoyen doit être économiste, et personne ne doit pouvoir lui dire « tu ne peux pas comprendre, tu n’es pas économiste ». Tout le système financier doit être contrôlé par les citoyens, selon des règles assez simples pour que le citoyen moyen puisse se prononcer en connaissance de cause, et assez efficaces pour que des financiers professionnels ne puissent plus imposer leurs choix aux peuples. Il est intolérable d’entendre « cette décision est impossible car les marchés de l’accepteraient pas » : d’abord car les marchés ont prouvé leur incapacité à s’autoréguler, mais surtout car dans une démocratie c’est le peuple qui fixe les règles et non les détenteurs de capital.
La crise et son origine
Je ne reviendrai pas ici sur la description du système monétaire, le lecteur intéressé se reportera à mon article de février 2007 où à sa version revisitée en octobre 2008 [1].
Sur le plan purement économique, la crise est l’aboutissement de plusieurs évolutions depuis le début des années 1970 :
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l’interdiction faite aux États d’émettre de la monnaie, en France par la loi n°73-3 du 3 janvier 1973 (puis dans la zone Euro par le traité de Maastricht). Les monnaies étant devenues non convertibles suite à l’écroulement du système de Bretton-Woods en 1971, il pouvait sembler prudent d’interdire aux États d’émettre de la monnaie inconsidérément pour répondre à des besoins à court terme. Mais surtout, des économistes dits néolibéraux (école de Chicago, monétaristes, etc...) ont trouvé très rentable de déposséder les États de leur pouvoir, et ont bâti des théories pour démontrer que c’était souhaitable.
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un assouplissement continu des règles prudentielles applicables aux banques privées. En l’absence d’émission monétaire par l’État, toute monnaie correspond à une dette auprès d’une banque (voir articles précédents). Pour permettre à l’économie de fonctionner, il a alors fallu autoriser toujours plus d’endettement. Tous les pays ont autorisé des crédits de plus en plus excessifs, jusqu’aux prêts « subprime » accordés à des ménages américains incapables de les rembourser. Symétriquement, les banques étaient autorisées à garantir leurs prêts sur des actifs évalués de manière complaisante et arbitraire (basée sur des notes attribuées par des agences de notation à but lucratif). Tout ceci avec un succès limité, car il fallait autoriser 10% d’augmentation annuelle de l’endettement pour obtenir 2 à 3% de croissance économique, la différence allant dans la poche de quelques personnes à la richesse de plus en plus indécente, et impliquant des dettes croissantes sur les ménages modestes et les pays pauvres. Il arrive donc un jour où les ménages (ou les États), étranglés par leurs dettes, ne peuvent plus rembourser les banques, qui à leur tour ne peuvent plus rembourser leurs déposants.
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la soumission aux marchés internationaux, toujours pour augmenter la masse monétaire en attirant toutes sortes de capitaux voyageur, avec une grande complaisance à l’égard des paradis fiscaux. Ce qui, par suite, interdisait aux États la moindre réforme, sous peine d’être immédiatement sanctionnés par la fuite des capitaux étrangers. Parfois, cette complaisance est une forme de néocolonialisme, permettant le pillage des ressources des pays pauvres et la corruption de leurs dirigeants.
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en résumé, en quelques décennies on a interdit aux États d’émettre de la monnaie, et on a confié ce privilège aux banquiers et financiers privés sans presque aucun contrôle. Sans surprise, ceci a conduit à l’enrichissement indécent de ces financiers (et à leur multiplication), à l’endettement des États et des particuliers, et donc au final à une crise mondiale car les financiers poussés par une cupidité égoïste n’ont pas su s’autoréguler pour jouir de leur injuste privilège de façon durable.
La protection de l’environnement
La croissance économique n’est pas souhaitable si elle doit conduire à détruire l’environnement.
L’augmentation de toutes les productions industrielles nécessite une quantité d’énergie dont le monde ne peut plus disposer, faute de réserves suffisantes, et pire encore à cause du changement climatique dont les effets irréversibles pourraient être enclenchés dès 2020.
D’autres graves questions environnementales sont connues : la désertification des terres agricoles, la diminution et la pollution des réserves d’eau potable, l’épuisement de nombreuses réserves minières, la pêche excessive, la production de produits toxiques non biodégradables, le problème insoluble des déchets nucléaires, etc... Tout ceci doit favoriser un retour à des technologies économes en ressources naturelles : l’agriculture biologique, les transports publics et le vélo, l’habitat économe en énergie, ou les énergies renouvelables. Or jusqu’à présent, toute réduction de l’activité industrielle et polluante s’est traduite par une récession et par du chômage.
Pour G.W. Bush, le mode de vie américain n’était pas négociable [2], et il fallait donc continuer à polluer plutôt que de changer quoi ce soit, mais on sait maintenant que c’est l’environnement qui n’est pas négociable, et donc que toute activité incompatible avec la sauvegarde de la planète doit être arrêtée si aucune solution satisfaisante n’est trouvée.
La politique internationale (non monétaire)
À quoi cela servirait-il d’avoir une économie florissante dans un environnement sauvegardé, si une guerre nucléaire survenait entre l’Iran, Israël, le Pakistan, et les USA ? Cela dépasse le cadre de cet article, donc passons rapidement.
Les dangers viennent largement du fanatisme religieux (tendance à faire passer ses croyances devant la cohabitation paisible avec ses congénères, ou à profiter de la superstition de ses semblables pour conquérir le pouvoir et la richesse). Le fanatisme musulman est clairement favorisé par le comportement inhumain de fanatiques juifs d’Israël.
D’autres dangers sont le fait de simples dictateurs qui, comme en Corée du Nord, trouvent avec la technologie nucléaire un moyen facile de faire trembler le monde entier.
Le plus urgent à mes yeux est de stopper l’industrie nucléaire. L’Occident ne peut plus, à travers l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique, promouvoir le nucléaire « civil », alors que les techniques d’enrichissement de l’uranium permettent de produire des bombes (type Hiroshima), et qu’à partir de l’uranium usagé on extrait facilement le plutonium qui permet la fabrication d’autres bombes (type Nagasaki). Faute de pouvoir interdire à l’Iran d’enrichir de l’uranium tout en continuant eux-mêmes à le faire, les pays nucléaires doivent s’engager résolument à stopper toute leur filière nucléaire et à interdire formellement à tout autre pays de s’engager sur cette voie maudite.
L’autre urgence est de résoudre définitivement la question israélienne en permettant aux Arabes, aux juifs, et aux enfants de juifs, de cohabiter en paix, dans un pays totalement laïc (ou dans deux pays laïcs l’un comme l’autre), où la liberté serait assurée à chacun indépendamment de ses croyances.
La politique internationale (monétaire)
La politique monétaire est une question foncièrement nationale : le billet de banque d’un pays n’est qu’un simple bout de papier sans valeur dans le pays voisin. La force du capitalisme a été de pouvoir prospérer malgré des pays restants à l’écart (pays non industrialisés, pays communistes,...), alors que le communisme exigeait une improbable révolution internationale avant de pouvoir prospérer. Il faut se méfier de toute réforme économique qui exigerait l’accord unanime de tous les pays du monde, cela témoigne d’un système fragile s’il est menacé par les simples écritures comptables d’un banquier dans un paradis fiscal sur une île isolée de tout.
L’Europe est un cas particulier, car la zone Euro est constituée d’États qui ont renoncé à leur souveraineté monétaire, et l’ont confiée par traité à une institution (la BCE) chargée de gérer la politique monétaire selon des règles strictes et non modifiables sauf à l’unanimité des dirigeants des États membres, ce qui est à peu près impossible. L’absence de démocratie au niveau européen rend la situation inextricable. Mais quelle que soit la solution pour en sortir, les peuples doivent retrouver leur souveraineté monétaire, que ceci passe par la sortie momentanée de quelques grands pays hors de la zone Euro, par l’émission d’une monnaie parallèle, ou par l’instauration d’un gouvernement économique et monétaire démocratique au niveau européen. La démocratie n’est pas négociable, si elle n’était pas possible au niveau européen, elle devrait être réinstaurée au niveau national. Dans la suite, je pars du principe que la politique monétaire repassera sous contrôle démocratique, d’une manière ou d’une autre, que ce soit à l’échelle européenne ou nationale.
À part ce cas particulier, il est plutôt malsain que la politique monétaire devienne internationale : la monnaie a une utilité immédiate au sein d’un pays, alors qu’à l’extérieur elle devient une réserve très spéculative. Des quantités énormes de dollars se trouvent hors des USA : ceci est désagréable pour les USA car les étrangers peuvent provoquer une crise s’ils décident subitement de dépenser leurs dollars ou de les échanger par exemple contre des euros, mais plus encore pour les pays étrangers car les USA peuvent décider du jour au lendemain de retirer toute valeur aux dollars des non-résidents de la même façon qu’en 1971 ils ont supprimé la convertibilité en or des dollars des non-résidents. La Chine a placé ses richesses en dollars américains, elle s’est donc mise dans la situation d’un pays qui aurait instauré la retraite par capitalisation : lorsque tout le monde veut utiliser ses richesses, on découvre qu’elle ne valent plus rien si personne n’est disposé à les accepter.
Les solutions
Le contrôle des banques
Les banquiers ont prêté trop d’argent, il faut donc les restreindre maintenant de façon radicale. Les règles prudentielles sont devenues complexes au point d’être faciles à contourner, il faut au contraire les rendre d’une simplicité enfantine.
La solution la plus radicale, voire extrémiste, serait d’interdire aux banques de créer de l’argent. Elles ne pourraient plus être que de simples banques de dépôt (gestion des comptes de leurs clients) et des intermédiaires entre leurs clients emprunteurs et la banque centrale (prenant un bénéfice, mais assumant le risque). Elles pourraient aussi gérer les actifs financiers simples, tels que les parts d’une entreprise (actions).
Certains proposent que les banques soient nationalisées : pourquoi pas, mais il faut surtout définir leur rôle, car même une banque publique ou mutualiste peut commettre de graves excès (exemples : Crédit Lyonnais, Caisse d’Épargne,...).
D’autres proposent d’interdire tous ou presque tous les produits dérivés, je pense que c’est indispensable, car il s’agit de constructions non productives, dangereuses pour la stabilité du système financier, et qui enrichissent de multiples intermédiaires.
Si on autorise tout de même encore les banques à créer de la monnaie (en prêtant de l’argent sur leurs fonds propres), il faut revenir à des règles prudentielles très basiques, en ne prenant en compte que l’argent en billets de banque (ou sur leur compte à banque centrale) comme critère pour le calcul du ratio de solvabilité (rapport entre les crédits offerts et les fonds propres).
Enfin, il faudrait purement et simplement interdire les « banques d’investissement », et autres entreprises financières qui inventent des montages complexes et dangereux, comme les rachats d’entreprises à crédit, dans lesquels une banque achète une entreprise en ne fournissant presque rien en échange, et paye le vendeur en endettant l’entreprise dont elle prend le contrôle.
La conséquence d’une telle politique sera une baisse drastique des prêts émis par les banques : il faut donc impérativement que l’État soit présent pour éviter toute déflation incontrôlée.
Avec la disparition des banques d’investissement, des places financières comme la City de Londres seront décimées. Il faudra envisager le reclassement de toute une classe de financiers habitués à être payés des sommes indécentes pour effectuer des écritures totalement stériles. À l’échelle du monde, ou même de la France, ces dégâts collatéraux sont un épiphénomène.
Une autre conséquence sera que les banques dont les fonds propres sont constitués d’actifs pourris (c’est-à-dire de biens dont elles prétendent à tort qu’ils ont de la valeur) seront en difficulté, voire feront faillite. Il est souhaitable que dans le cas, l’État garantisse, au moins partiellement, les dépôts des particuliers jusqu’à une certaine limite (c’est actuellement déjà le cas). Par contre, il n’y a aucune raison de racheter les actifs pourris des banques : ce serait une prime au délit de présentation de faux bilan.
Les paradis fiscaux
Les paradis fiscaux sont des pays dont la faible fiscalité et le secret bancaire permettent deux activités illégales : la fraude fiscale de particuliers ou d’entreprises, et le blanchiment d’argent sale (corruption et trafic de drogue, par exemple). Il est vain d’espérer convaincre tous les pays du monde d’adopter des règles financières strictes, et beaucoup plus efficace d’éviter que ce type de pays ne cause de nuisance les autres pays.
Pour lutter contre les dépôts dans les paradis fiscaux, le plus simple est de refuser de prendre en considération l’argent déposé dans ces pays dans le calcul des règles prudentielles des banques. Ainsi, si un banquier place l’argent d’un déposant dans un paradis fiscal, cela l’empêchera de prêter de l’argent à un emprunteur, et il n’aura donc aucun intérêt à le faire cela.
Pour lutter contre le blanchiment de l’argent sale, le plus simple reste encore de refuser tout dépôt venant d’institutions financières qui ne respectent pas les règles minimales, comme dévoiler l’identité des personnes physiques qui possèdent l’argent. De toute façon, si par exemple un chef d’État corrompu dépose des euros dans une banque française (via un paradis fiscal), cela n’apporte aucune richesse à la France, cela ne fait que remettre en circulation des euros, et il y a d’autres manières de le faire (car il suffit d’imprimer de nouveaux billets).
Enfin, pour empêcher le dumping fiscal de ces pays, il suffit de ne pas signer de convention fiscale avec eux : ainsi les bénéfices restent taxés dans le pays d’origine même si le bénéficiaire s’est physiquement installé dans un paradis fiscal.
Le financement de l’économie
Si seuls les possesseurs de capital peuvent créer de nouvelles activités, l’économie est totalement verrouillée et fonctionne mal. Il faut donc qu’il soit possible de créer de l’argent pour financer toute activité utile ou rentable.
Dans le cas d’une activité privée rentable, les banques peuvent prêter de l’argent. Soit qu’elles sont encore autorisées à créer de l’argent (avec certaines limites), soit qu’elles servent d’intermédiaires avec la banque centrale. En tous cas, la banque évalue la rentabilité et les risques du projet, se porte garante du prêt consenti, et en contrepartie prend un bénéfice en proposant un taux plus élevé que celui de la banque centrale.
Dans le cas d’une activité d’utilité publique, l’État doit lui-même créer l’argent, soit en prêtant lui-même de l’argent à un taux avantageux, soit en donnant de l’argent, mais dans les deux cas il s’agit d’argent créé ex-nihilo. Pour permettre la comptabilisation de l’argent créé par l’État, il suffit que tout soit centralisé à la banque centrale, qui indiquera le montant de la dette de l’État.
Le financement par l’endettement public a plusieurs avantages :
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pour les services publics indispensables (la distribution de l’eau, le service postal, les transports urbains,...), cela évite le recours à un opérateur privé qui, le plus souvent, ne gère pas le service mieux que le public mais empoche un bénéfice uniquement lié au fait qu’il a pu fournir le capital à un moment donné.
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les critères sociaux et environnementaux peuvent être pris en compte plus facilement : l’État peut par exemple financer des voies ferrées plutôt que des autoroutes, ou financer le développement des énergies renouvelables, sur la base de critères d’utilité publique que le secteur lucratif ne prend pas en compte. Tout en réorientant l’économie, l’État n’a pas besoin de restreindre l’initiative privée.
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le risque de la suppression de l’industrie financière est une déflation brutale, mais l’État peut juguler ce risque en finançant toutes sortes de projets d’intérêt public, ce qui est en outre très populaire.
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la masse monétaire étant décorrélée des endettements privés en cours, on peut avoir une activité économique avec très peu d’endettement, situation confortable qui permet à des entreprises prudentes de n’être pas endettées, ou à des particuliers d’acheter des maisons sans crédit.
La question de l’inflation
Il est important de comprendre qu’une dette de l’État auprès de sa banque centrale ne coûte rien à l’État, car à supposer que l’État paye des intérêts pour cette dette, il les paye à lui-même car il possède la banque centrale. Par contre, cette dette correspond à de la monnaie en circulation, et si elle est excessive cela aboutit à diminuer la valeur de cette monnaie.
D’où la relation bien connue (bien que n’existant plus depuis 1973), entre « l’État s’endette », « l’État fait tourner la planche à billets », et « l’inflation va arriver ». Cette relation est restée dans les esprits, alors qu’aujourd’hui la dette publique est contractée auprès de banques ou autres prêteurs, et qu’elle se traduit surtout par une augmentation des intérêts payés par l’État, et donc par l’augmentation des impôts, le démantèlement de services publics devenus trop coûteux, et l’enrichissement des prêteurs et des financiers.
En rétablissant la possibilité pour l’État de s’endetter auprès de la banque centrale, on recrée cette relation entre dette publique et inflation. Il est donc indispensable que les citoyens comprennent le phénomène, et puissent sanctionner les politiciens qui s’endettent excessivement et provoquent un taux d’inflation tellement élevé que l’activité économique devient difficile, voire exposent le pays au danger d’une inflation galopante.
Le risque existe en effet. Imaginons que l’État s’endette (imprime des billets) pour une somme plus importante que toute la production du pays : les billets ne vaudront rapidement plus rien, et sitôt imprimés ils perdront leur valeur de jour en jour. Un exemple célèbre est l’Allemagne de la République de Weimar. Un exemple plus récent est le Zimbabwe, dont les prix ont été multipliés en 2008 par plus de 2 millions, soit environ un triplement chaque mois. Dans ces conditions, aucune activité normale n’est possible, et l’État lui-même a peu de moyens car l’argent qu’il imprime ne vaut rien. Dans ce cas, il faut des mesures d’austérité pour que l’État dépense moins que les revenus du pays, et pour rétablir la confiance dans la monnaie et éviter que les transactions ne se fassent avec des monnaies étrangères ou improvisées (par exemple en paquets de cigarettes).
Mais limitée à des valeurs raisonnables, l’inflation a des vertus précieuses, bien qu’elle soit toujours très fortement décriée par les financiers car elle va contre leurs intérêts.
Première vertu de l’inflation : elle favorise le travail face au capital. Car un stock de billets ou un compte bien garni, en période d’inflation, vaut de moins en moins. À l’inverse, une entreprise peut augmenter ses prix de vente, et les syndicats peuvent négocier des hausses de salaires.
Deuxième vertu : elle fait s’évaporer les dettes. Un crédit de 100.000 € à 5% coûte de moins en moins cher s’il y a 10 ou 15% d’inflation par an. Ceci est toutefois différent en cas de crédits à taux variable. Mais si l’inflation est à 10% par an, un investisseur peut se satisfaire d’un placement à 8%, dans lequel son capital ne se dévalue que lentement. Par conséquent, on peut envisager des taux de crédit faibles, par exemple de 11 ou 12% pour un taux d’inflation de 10%, ce qui reste assez intéressant pour l’emprunteur. Mais l’État peut également fixer des règles pour gérer la transition entre une période d’inflation faible et une période d’inflation plus élevée.
Le prix de l’immobilier
Une grande partie des crédits sert à acheter de l’immobilier, une grande partie de l’immobilier est achetée grâce à des crédits, et ces crédits pèsent très lourd dans le budget des ménages. La croissance incontrôlée des prêts accordés par les banques a abouti à une flambée du prix de l’immobilier.
La restriction du crédit (qui outre les règles prudentielles, pourrait inclure une limite sur la durée des crédits immobiliers, par exemple à 10 ans) tendra à faire baisser le prix de l’immobilier, mais la phase de transition peut être problématique :
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un particulier lourdement endetté pour acheter un logement sera lésé si la valeur de son logement baisse rapidement, a fortiori si elle baisse avant qu’il ait remboursé le prêt ;
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les acheteurs auront des difficultés si le crédit est limité alors que le prix de l’immobilier n’a pas encore tellement baissé, car ils seront désavantagés face aux possesseurs de capital.
Une inflation assez forte pendant quelques années pourrait amortir ces problèmes, à défaut de les résoudre : la valeur du crédit baisserait parallèlement à la valeur du logement, et aux actifs des possesseurs de capital.
La justice sociale
Un système monétaire qui favorise le travail face au capital est foncièrement redistributif.
L’impôt permet aussi de réduire les inégalités, en frappant plus lourdement les plus riches, voire en instaurant des taux dissuasifs sur les salaires les plus élevés. Ceci a été très efficace pendant les « 30 glorieuses ».
C’est l’interdiction de l’émission de monnaie par l’État, et la soumission à la finance internationale, qui ont rendu ce procédé de plus en plus inopérant. En effet, l’État s’est mis à la merci des financiers internationaux, capables d’augmenter le prix de sa dette (en lui attribuant une mauvaise note financière), et de le dépouiller en permettant aux plus fortunés de placer leur argent dans des paradis fiscaux. Force est de constater que les dirigeants, peut-être par esprit de classe, n’ont rien fait pour éviter l’évasion fiscale.
Lorsque l’État peut imprimer sa propre monnaie, il n’est plus à la merci des financiers.
Et pour limiter l’évasion fiscale, des mesures existaient, telles que le contrôle des changes : en surveillant les transferts de devises supérieurs à un certain montant, on peut découvrir les tentatives d’échapper à l’impôt.
La balance commerciale
Face à toute proposition aboutissant à enrichir la population, la critique la plus fréquente est que cela va être catastrophique pour la balance commerciale : la population se précipiterait sur des biens fabriqués en Chine, ce qui mettrait le pays dans une situation catastrophique.
Ceci n’est pourtant pas évident, car pour importer des marchandises, il faut exporter quelque chose en échange. Car sinon, avec quoi paye-t-on nos achats à l’étranger ?
Prenons un exemple : l’Europe émet des euros, et la population européenne achète des biens industriels produits en Chine.
Soit la Chine accepte les euros. Mais que peut-elle en faire ? Elle peut les dépenser, ce qui signifie qu’elle importe des biens ou des services européens, et la boucle est bouclée.
Elle peut les utiliser pour acheter des entreprises européennes, ce qui peut poser des problèmes (et justifier des restrictions dans certains secteurs critiques), mais lui donne intérêt à ce que ces entreprises soient rentables : depuis quand se plaint-on que les étrangers investissent chez nous ?
Elle peut les stocker sans les utiliser, mais cette politique est idiote si l’euro est géré avec une inflation élevée.
Soit la Chine n’accepte pas les euros, il faut donc les changer en dollars ou en yuans. Dans ce cas, l’afflux d’euros sur le marché des changes fait baisser sa valeur, ce qui signifie que les productions européennes redeviennent compétitives.
Le chômage et l’environnement
Si l’État injecte de l’argent dans l’économie, cela doit permettre à des activités d’apparaître et d’aller vers une réduction du chômage. Si de plus des mesures sont prises pour améliorer la répartition des richesses (en stoppant l’enrichissement des financiers et des possesseurs de capital, en faisant augmenter le taux d’inflation, et en instaurant des politiques fiscales redistributives), la situation des plus pauvres s’améliorera nécessairement.
On pourrait se contenter de dire que si l’économie va bien, et si les richesses sont bien réparties, la pauvreté n’existe plus. Mais ceci peut correspondre à un taux de chômage élevé, avec des chômeurs correctement indemnisés, ce qui constituerait certes un progrès, mais ce qui n’est pas forcément l’objectif le plus souhaitable. Du moins il faut se demander si, pour la société comme pour les chômeurs, il n’y aurait pas une activité plus utile.
Dans bien des cas, c’est la réorientation de l’économie vers des activités respectueuses de l’environnement qui permettra de réduire le taux de chômage. En effet, de très nombreuses technologies polluantes ou gaspillant des ressources naturelles ont été développées dans le but principal de faire travailler moins de personnes.
Par exemple l’agriculture moderne consomme beaucoup d’énergie, pollue abondamment, et détruit les sols. Une agriculture respectueuse de l’environnement demande beaucoup plus de travail, pour utiliser des fertilisants naturels, pour lutter contre les ravageurs sans pesticides, voire pour soigner les animaux de trait, etc...
De même, le commerce moderne transporte les marchandises sur des distances insensées et les distribue dans des centres commerciaux accessibles uniquement en voiture. Si on favorise des productions plus locales, et des petits commerces proches des habitations, on économise des ressources naturelles, et on fait naître de nouvelles activités de proximité. Passer du « tout jetable » au « tout réparable » serait également un progrès pour l’environnement, et engendrerait des emplois plus intéressants que le travail sur une chaîne de production.
Analyse de différentes politiques anti-crise
Avant l’éclatement de la crise, presque tous les États n’ont eu comme objectif que d’aggraver les causes qui allaient faire éclater cette crise, en autorisant de nouvelles formes d’actifs financiers, en baissant les taux d’intérêt directeurs pour encourager toujours plus d’endettement, et en inventant de nouvelles formes d’endettement : les crédits « subprime » aux USA, la maison à 100.000€ en France (avec un crédit en 2 parties, pour la maison puis pour le terrain), l’hypothèque rechargeable en France également, les crédits sur 50 ans en Espagne, etc... Et ils accueillaient à bras ouverts tous les groupes financiers : privatisation des réseaux d’eau et de transports, promotion de la retraite par capitalisation par des politiciens de droite et même de gauche (comme Fabius ou DSK). En résumé, arrivés à proximité du mur, les États ont choisi d’accélérer !
Japon : le Japon a connu une crise similaire, mais localisée, en 1998-99. Les banques avaient prêté sans limites (sur plusieurs générations) pour financer des achats immobiliers, et un jour la situation de plus en plus intenable a fini par bloquer l’économie. Le Japon a choisi la pire des solutions : sans rien changer au système financier, l’État s’est endetté pour rembourser les banques en faillite. Le résultat est un État croulant sous les dettes, et une économie en berne. Le Japon a subi une « décennie perdue » en attendant la crise financière mondiale : un exemple à ne pas suivre !
France : la logique qui guide Mr Sarkozy est difficile à identifier. On parle un jour de « punir les coupables » de la crise [3], puis le lendemain de financer massivement les banques coupables avec de l’argent public sans exiger la moindre contrepartie. De nombreuses baisses d’impôts (peu ciblées) sont annoncées, tandis que les impôts locaux et les cotisations sociales ne cessent d’augmenter sur les classes moyennes. L’ensemble implique un très fort endettement de l’État, et pourtant la France ne propose pas de modifier le fonctionnement de la BCE, uniquement de lui demander de baisser ses taux d’intérêts, solution qui ne peut être que très provisoire. Sur le plan écologique, il y a quelques progrès indéniables (plus d’éoliennes, moins d’autoroutes), mais à petite dose et sans toucher aux tabous traditionnels (l’énergie nucléaire, l’encouragement au chauffage électrique).
Espagne : l’Espagne sort d’une période démente pendant laquelle les financiers ont profité de la libéralisation brutale du crédit pour endetter d’un seul coup toute une population qui ne l’était pratiquement pas. Tout l’argent a permis d’enrichir quelques personnes et à bétonner le pays pendant 10 ans ininterrompus. Lorsque plus personne est endetté, la martingale s’arrête, et cet arrêt est d’une violence inouïe. Dans son « Plan E », le gouvernement effectue d’importantes dépenses, en faveur des ménages (surtout les plus modestes), les entreprises (surtout les PME), les travaux publics (en particulier pour les énergies renouvelables), l’efficacité énergétique, ainsi que des garanties pour les banques. Les dépenses ciblées sont une réaction utile mais difficiles à tenir dans le système monétaire actuel, et les aides au secteur bancaire une tentative de maintenir à flot coûte que coûte un secteur économique qui a prouvé son mauvais comportement.
USA : initialement convaincus qu’existe la « main invisible » censée autoréguler le capitalisme, les USA ont d’abord laissé s’écrouler la banque Lehmann Brothers, puis ont pris peur devant la réaction en chaîne qui s’annonçait. Ensuite, le plan Paulson a offert une somme énorme pour renflouer les banques, d’une manière qui a choqué la population. Barack Obama a remplacé George W. Bush à ce moment. Mr Obama semble convaincu qu’il faut repartir sur des bases plus durables. Ainsi, il conditionne les aides au secteur automobile à la production de véhicules plus économes, et prévoit une réorientation massive vers les énergies renouvelables. Sur le plan social, il annonce des mesures nécessaires pour les plus pauvres (soins médicaux,...), la limitation des salaires pour les financiers, et la lutte contre l’évasion fiscale des riches. L’action envers les banques est pour l’instant aussi peu claire que la situation elle-même des banques, Mr Obama semble décidé à les sauver, mais en instaurant des règles beaucoup plus strictes et en exigeant des contreparties. Sur le plan monétaire, personne ne connaît la stratégie retenue, les USA ont d’ailleurs cessé dès 2006 de publier leur masse monétaire, et ne pourront à l’évidence pas assumer l’ensemble des dollars stockés à l’étranger, surtout si la Chine subit un ralentissement économique et tente d’utiliser ses dollars. Les USA ont la maîtrise de leur politique monétaire (même si, formellement, la Réserve Fédérale n’appartient pas au gouvernement américain), et selon toute vraisemblance ils n’hésiteront pas à utiliser tous les moyens à leur disposition, y compris créer de l’argent ex-nihilo ou refuser les dollars des non-résidents, mais à ce stade il ne peut s’agir que de spéculations.
Grande-Bretagne : ce pays a profité de l’exubérance financière grâce à sa place financière de Londres, elle a donc doublement à craindre de l’effondrement du système. Gordon Brown semble décidé à faire surgir une nouvelle économie de la crise actuelle, en favorisant les économies d’énergie (mais aussi le charbon avec séquestration du CO2, une technologie plus que douteuse pour l’environnement). Il augmente les impôts sur les riches, qui ont été très protégés par Thatcher et Blair, c’est une décision courageuse vu le point du secteur financier dans ce pays. Remarque : la Grande-Bretagne a conservé sa souveraineté monétaire, ce qui gêne les touristes anglais car la livre s’est fortement dévaluée, mais cette fragilité permet aussi une plus grande liberté d’action.
Le Fonds Monétaire International : après avoir constamment enfoncé les pays pauvres en difficultés en les obligeant à brader leurs ressources au profit des multinationales, le FMI suggère, maintenant que la crise atteint les pays riches, de renflouer les banques, donc encore une fois d’aider les plus riches grâce au travail des plus pauvres. Mais qui prête encore attention aux avis du FMI ?
Conclusion
La crise n’est pas inéluctable, et elle n’est peut-être même pas très grave, si les citoyens et leurs représentants osent reprendre la main sur le système économique et monétaire, et se passer des services des financiers. La réforme du système monétaire est une étape cruciale et indispensable, mais pourtant simple et évidente lorsque l’on ose y réfléchir un peu. Sans cela, on ne fera que rafistoler tant bien que mal un système injuste, comme l’a malheureusement fait le Japon depuis 10 ans. J’ose croire que les citoyens sauront reprendre leur avenir en main.
Notes
[1]Articles publiés sur AgoraVox : http://www.agoravox.fr/auteur/miguel34 , avec format PDF disponible sur ma page personnelle http://mjulier.free.fr/#monnaie
[2]« American way of life is not negociable », déclaration attribuée à G.W. Bush, dans le cadre des discussions sur le protocole de Kyoto en vue de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
[3] Voir par exemple le discours de N. Sarkozy du 25 septembre 2008 au Zénith de Toulon (La première phrase est en gras dans le verbatim officiel) : « Les responsabilités doivent être recherchées et les responsables de ce naufrage au moins sanctionnés financièrement. L’impunité serait immorale. On ne peut pas se contenter de faire payer les actionnaires, les clients et les salariés les plus modestes en exonérant les principaux responsables. Qui pourrait accepter une telle injustice ? ».
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