La mondialisation, un bienfait... pour les riches ?
Comment donner aux laissés-pour-compte de la mondialisation les moyens de sortir de l’ornière ? Le débat de clôture du Forum des idées économiques a donné lieu à une confrontation somme toute classique entre les modèles de développement anglo-saxon et européen.
La mondialisation est-elle, comme on l’affirme souvent, synonyme d’inégalité ? C’est à cette question qu’ont tenté de répondre, hier à Paris, les participants du Forum des idées économiques, organisé par Sciences-Po et Les Echos.
L’économiste Xavier Sala-i-Martin, de l’université de Columbia à New York, a posé les bases du débat en présentant une série de données sur l’évolution des revenus depuis 1970. En bref, le nombre comme la proportion de pauvres ont diminué au niveau mondial, mais aussi dans toutes les régions exceptée l’Afrique subsaharienne. Et ce, quelle que soit la définition retenue pour la pauvreté (moins de un, deux ou trois dollars par jour).
En analysant plus finement les inégalités de revenu, on observe que le niveau de vie d’un individu donné continue de dépendre davantage du pays où il vit que de sa classe sociale. Pour autant, l’inégalité entre les Etats s’est réduite depuis les années 1970, tandis que la grande majorité des pays ont subi une aggravation des inégalités au plan national, les travailleurs non qualifiés se contentant des miettes de cette vague de prospérité nouvelle.
Mais puisque la pauvreté tend à diminuer, pourquoi diable se préoccuper des inégalités croissantes, s’interroge le très libéral Sala-i-Martin. Après tout, un pauvre dont le revenu augmente de 10% est toujours moins pauvre, même si dans le même temps le revenu des riches a doublé - voire centuplé !
Aux yeux du Catalan, la principale question est de savoir si le creusement des inégalités est vraiment dû à la mondialisation, qui profiterait plus aux forts qu’aux faibles. Pour Sala-i-Martin, comme pour d’autres libéraux influents tels que l’Indien Jagdish Bhagwati, lui aussi enseignant à Columbia, le principal responsable du creusement des inégalités au sein de tant de pays n’est pas tant la mondialisation que le progrès technologique, et particulièrement l’informatisation, qui avantagent clairement les travailleurs qualifiés en leur permettant d’accroître leur productivité - et par là-même le salaire qu’ils peuvent obtenir pour leur travail - plus vite que les non-qualifiés.
Piqué au vif par cette énième énonciation du dogme ultralibéral selon lequel le salut de l’humanité passe par le marché et uniquement par le marché, le DG de l’Agence française de développement (AFD), Jean-Michel Severino, commence par rappeler quelques évidences. D’abord, l’approche libérale orthodoxe démontre que la montée des inégalités de revenu est inhérente à l’ouverture commerciale, au moins dans un premier temps. Surtout, elle va jusqu’à prévoir des transferts monétaires pour compenser les perdants, ce qui légitime le recours à une politique nationale de redistribution des gains liés au commerce international.
De l’inégal à l’illégitime
En
réalité, du point de vue libéral - à ne pas confondre avec les
positions ultralibérales soutenues par les néoconservateurs
américains - l’inégalité n’est certes pas mauvaise en soi, mais encore
faut-il qu’elle soit légitime. Dans cette logique, la concurrence doit
être loyale, ce qui exclut les distorsions de marché telles que les
subventions, qui atteignent 300 milliards de dollars par an dans
l’OCDE, le club des pays riches. Un chiffre à mettre en rapport avec les
60 milliards d’assistance économique annuels que consentent péniblement
les pays développés. De fait, dans les négociations de l’OMC, les pays
en développement ont largement adopté le slogan « Trade, not Aid », et
demandent en priorité un meilleur accès aux marchés développés,
protégés par les subventions, mais aussi par des normes inaccessibles
pour les petits producteurs du Sud.
Comme l’explique Jean-Michel Severino, l’autre condition de la légitimité du marché est l’égalité des chances, exprimée dès 1954 par les économistes Arrow et Debreu à travers le concept de « dotation de survie ». En clair, pour bénéficier du commerce, il faut avoir quelque chose à échanger en premier lieu. Ce qui n’est pas le cas des plus fragiles, les travailleurs pauvres sans formation. Ceux-là n’ont à échanger que leur travail non qualifié, un bien tellement abondant que sa valeur est très faible. Un phénomène classique de « trappe à pauvreté », facile à analyser mais autrement plus difficile à éviter.
Dans ces conditions, le meilleur moyen de rétablir un semblant d’égalité des chances est de contribuer au renforcement des capacités des pays pauvres, de sorte qu’ils puissent fournir à leur population les services minimaux (éducation, santé, énergie, transport) nécessaires pour être en mesure de tirer profit du commerce. C’est la raison pour laquelle la constitution du marché unique européen s’est accompagnée de transferts monétaires importants, les fonds structurels.
Il est temps de dépasser les faux-semblants - et les faux-fuyants - sur la mondialisation. Elle représente sans conteste un levier puissant pour sortir une grande partie de l’humanité de l’extrême pauvreté. Mais pour que ces promesses soient tenus, il est indispensble de mettre en place une politique économique et sociale globale visant à assurer sa légitimité. Comme le souligne justement Jean-Michel Severino, c’est bien sûr dans l’intérêt des perdants de la mondialisation, mais aussi dans celui des gagnants, puisque le creusement des inégalités constitue le principal facteur de résistance à la mondialisation, et donc la principale menace qui pourrait empêcher cette vague de prospérité nouvelle de déferler sur le monde.
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