Le CPE : un oubli surprenant...
Le CPE est passé cette nuit à l’Assemblée nationale, faute de combattants. Le débat a été très largement alimenté et mon point de vue ne serait qu’un bruit de plus dans la cacophonie actuelle, si je n’avais la conviction qu’il manque un volet important à ce nouveau contrat.
La controverse peut s’auto-entretenir : oui, la période de consolidation porte le spectre de la précarité ; oui, on peut penser que ce vrai-faux CDI peut être porteur d’insertion sociale ; oui, c’est une souplesse de plus offerte au patronat ; oui, certains vont l’intégrer comme un nouvel outil de gestion du personnel... Mais on joue sur les mots. La polémique se situe-t-elle réellement à ces différents niveaux ? Nous sommes dans un processus en évolution, et nous ne pourrons nous abstraire dans les années qui viennent d’une variabilité forte de l’emploi. À titre individuel, ces fluctuations se traduiront autant sur le plan des métiers exercés que sur les alternances de période travaillée et de période chômée. C’est une dimension qu’il faudra, qu’on le veuille ou non, prendre en compte pour les prochaines années, et qui impliquera indubitablement une évolution du code du travail. Il faudra du temps, et il faudra s’opposer tant aux diktats des syndicats qu’à ceux du patronat, mais il faudra une opposition, constructive et non, comme c’est la cas actuellement, une force de maintien d’un statu quo. Nous sommes loin des Trente Glorieuses, il faut nous y faire. Dans ces contextes nouveaux qui se construisent aujourd’hui, où "l’employabilité", néologisme horripilant, est mis à toutes les sauces, c’est la capacité d’adaptation qu’il convient de favoriser ; et ça, ça ne se décrète pas, ça se construit !
Ce qui me frappe dans le débat qu’alimente le CPE, c’est que personne n’aborde la question du "turnover" des jeunes sous l’angle de l’entreprise. J’entends déjà s’élever les cris des masses populaires écrasées sous le joug du patronat ! Quoi ? Il va maintenant falloir plaindre le patron ? Qu’est-ce qu’il en a à faire, des jeunes, le patron ?
C’est bien la question ! Qu’est-ce qu’il en a à faire, des jeunes ? Il a qu’embaucher un jeune et le garder n’est pas toujours chose simple pour l’entreprise. Ce n’est pas l’embauche en elle-même qui pose problème, et nous verrons à l’usage ce que le CPE peut ou non apporter sur ce plan. Non, le problème de fond est que les jeunes embauchés ne restent pas dans l’entreprise. On considère qu’en moyenne, pour un premier emploi en PME, un jeune reste moins de 18 mois dans la même entreprise. Dans une majorité des cas, il ne s’agit pas d’un licenciement ou d’une fin de contrat, mais bien d’un départ volontaire. Et que dire des jeunes sans qualification ? En quête d’identité dans un nouveau repère, ils sont malmenés, peinent à trouver leurs marques et, rapidement lassés, partent avant d’avoir compris. Personne n’y trouve son compte.
A qui la faute ? Sans ambiguïté : à l’entreprise ! Et pourtant, combien coûte ce "turnover" pour une PME ? Cher, très cher !
La plupart du temps, le jeune embauché (la problématique du stagiaire est la même, souvent pire) est mis en poste dès son arrivée sans précaution aucune, et avec pour objectif l’opérationnalité la plus rapide possible. Mais qui a préparé sa venue ? Qui facilite son intégration ? Qui lui apporte cette culture propre à chaque structure et qui favorise la cohésion du groupe ? Qui est son référent ? Il n’y a rien de mécanique dans l’intégration d’un jeune en entreprise. C’est un parcours ; il faut un guide. C’est encore plus vrai en PME, et pour les moins qualifiés.
En cela, le CPE est bancal ; il oublie cette dimension d’accompagnement interne. Qu’avons-nous fait du tuteur en entreprise ? Il y a quelques années, les Opca* avaient lancé des campagnes d’information à destination des PME-PMI avec pour objectif de prendre en charge la formation de tuteurs. En région Pays de la Loire, l’opération, fin des années 1990, avait été un succès. Il s’agissait de former des volontaires au sein de l’entreprise pour favoriser l’accueil, l’intégration, et surtout la transmissions des savoirs sur le poste et sur l’entreprise. Le "turnover", toutes catégories de jeunes embauchés confondues, en a été considérablement réduit ; la sédentarisation, forte. Le jeune, appréhendant mieux son environnement de travail, n’étant plus en situation d’incompréhension, voire d’échec ou de brimade, construisait son identité au sein de ce nouveau système en en décryptant plus facilement, grâce à cet accompagnement, les codes et les usages. De plus, ces tuteurs, souvent seniors, développant leur qualité d’écoute et une certaine pédagogie, ont pu faire part de leur satisfaction, et y ont vu une forme de reconnaissance par l’entreprise de leurs savoirs et et de leur savoir-faire.
Former des tuteurs, libérer du temps de tutorat, et apporter toutes mesures favorisant l’intégration efficace du jeune embauché, voilà ce que le CPE aurait dû également prendre en compte.
Alors, et alors seulement, les intérêts respectifs n’étant plus opposés, les doutes sur la précarité induite de ce pseudo
CDI auraient pu être levés ; au bénéfice du jeune, et au bénéfice de
l’entreprise.
* Opca : Organisme paritaire collecteur agréé
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