« Le jour où la France a fait faillite »
Philippe Jaffré et Philippe Riès ne font pas dans la dentelle. Le titre du livre qu’ils publient ces jours-ci, Le jour où la France a fait faillite, le confirme, ainsi d’ailleurs que la page de couverture qui appose sur la Tour Eiffel un panneau A vendre.
Ce récit de finance-fiction, comme on dit science-fiction, ou, si l’on
préfère, cette fable politico-financière relève de la provocation.
Provocation qui se veut salutaire et pédagogique en ce qu’elle invite à
prendre conscience de la fragilité financière du pays et à mesurer que
le pire n’est jamais exclu pour les nations comme pour les entreprises.
La trame du livre associe deux scénarios, un scénario financier
auquel la technicité informée des auteurs confère un air de
plausibilité qui donne froid dans le dos, et un scénario politique où
ils déploient une forme d’imagination piquante, mettant en scène dans
des situations moins évidemment crédibles plusieurs des personnages qui
animent notre quotidien politique d’aujourd’hui.
L’histoire
commence en juillet 2012 par le rejet du paiement par carte de crédit
d’un voyageur français dans un hôtel de Pékin, qui fait suite à la dégradation, quelques jours plus tôt, par Standard & Poor’s au rang de junk bonds des obligations assimilées du Trésor (OAT), désormais notées BB+.
A partir de cette décision, les conséquences s’enchaînent
inexorablement. Le papier public français ne trouvant plus preneur, les
adjudications des obligations du Trésor sont suspendues, le
refinancement de la dette publique est compromis, la stabilité du
système bancaire est menacée avec un risque de crise systémique, le
paiement des dépenses publiques doit être arrêté ou réduit, la paye des
fonctionnaires n’est plus assurée que pour la moitié de son montant, et
ainsi de suite...
Grâce à l’expérience concrète d’au moins un des deux auteurs, Philippe Jaffré, cultivée à la direction du Trésor et dans les banques et authentifiée par son ouvrage de référence, Monnaie et politique monétaire, les mécanismes de la crise et la manière dont les banques et l’Etat
dans ses diverses incarnations fonctionnent pour essayer de la traiter
sont décrits avec précision et réalisme. Sont ainsi mis en scène Daniel Bouton, toujours président non exécutif de la Société Générale ou Michel Pébereau, président honoraire de BNP Paribas, mais aussi Jean-Pierre Jouyet, devenu gouverneur de la Banque de France, ou Borges, un successeur portugais hypothétique de Jean-Claude Trichet à la tête de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Juncker "inusable" étant supposé toujours présider l’Eurogroupe.
La France s’installe ainsi dans la position de quémandeur auprès de l’Union européenne d’abord et du FMI ensuite. Il lui faut trouver 150 milliards d’euros. Ce n’est pas une tâche facile. Si quelques pays ou institutions, comme l’Allemagne, la Banque centrale européenne ou la Réserve fédérale,
lui apportent un appui, non sans l’assortir de commentaires
sarcastiques, la plupart des pays lui font payer ses comportements
d’autrefois et notamment son arrogance. Au terme d’un processus à la
fois pénible et humiliant, la France recevra le concours souhaité, mais
en contrepartie doit s’engager dans un programme de redressement d’une
sévérité inouïe : abolition du statut de la fonction publique,
réduction du nombre des fonctionnaires de 5 ,5 millions à 2,2 millions
par transfert au secteur privé et par des licenciements au nombre de
500 000, gestion du secteur éducatif et hospitalier transféré au secteur
privé, réduction du nombre des communes de 31 948 à 2500, suppression
des départements, réduction du nombre des régions de 22 à 7, saisie de
l’Airbus présidentiel sur l’aéroport de New York par un créancier de
l’Etat français alors que le président de la République est à bord,
vente de La Joconde aux enchères à un entrepreneur chinois pour financer le Louvre...
Effet
ultime de toutes ces mesures d’austérité : en deux ans et demi, la
production française aura diminué d’un tiers, le pouvoir d’achat,
diminué de 20%, les sans-emploi étant désormais 5 millions et, depuis
toujours un pays d’immigration, la France sera devenue un pays
d’émigration.
Effet anecdotique aussi, autre résultat de la crise, la fusion entre
Société Générale et BNP Paribas intervient enfin, en conclusion du plus
long feuilleton que la place de Paris ait vécu, avec le consentement
surprenant, mais longtemps espéré de Marc Viénot...
L’origine
que les auteurs attribuent à cet engrenage apocalyptique est la
dégradation inexorable de la dette publique entre aujourd’hui et 2012.
Ils imaginent ainsi que cette année-là, elle représenterait 90% du
produit intérieur brut dans la définition Eurostat, hors charges de retraite, alors que le Traité de Maastricht fixait un plafond de 60% et qu’intégrant les charges de retraite (étape que le rapport Pébereau, fort raisonnablement, n’a pas franchie), Standard & Poor’s prenait en compte un pourcentage de 180%...
Le scénario politique, associé à cette dérive catastrophique, part de l’actualité immédiate.
« En juin 2007, nous expliquent les auteurs, la
candidate socialiste Ségolène Royal avait été élue de justesse par
50,1% des voix face au leader de l’UMP, Nicolas Sarkozy. La division de
la droite au premier tour, avec les candidatures de Nicolas Sarkozy, de
l’UDF François Bayrou, du souverainiste Philippe de Villiers, une
extrême droite encore forte, n’avait pas permis un bon rassemblement
des voix de droite au second tour. Président sortant, Jacques Chirac
avait joué un jeu trouble, comme souvent dans une longue et
singulièrement stérile carrière politique. En quarante années de vie
politique, Chirac avait, soit fait perdre son camp, soit fait perdre
son pays [...] formule assassine, inventée par [...] un journaliste » [...]
qui ferait une parfaite épitaphe ».
Ségolène Royal, élue sur la défense du modèle social français et dotée d’une majorité parlementaire « tirant fortement à gauche », a choisi pour Premier ministre Dominique Strauss-Kahn, et pour ministre des Finances, Jean-Marc Ayrault.
C’est sous leur égide que le déficit public passe à 4% en 2008. Un plan
d’assainissement, alors imposé par Bruxelles, conduit à un changement
de Premier ministre en juin 2009 avec la nomination, comme ultime
recours, de Lionel Jospin, désormais âgé de soixante-douze ans et "sage" de la République, avec Pascal Lamy aux Finances.
Mais la dégradation de la situation conduit en 2012 à l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République avec 55% des voix, Laurence Parisot devenant alors Premier ministre et Valérie Pécresse, ministre des Finances !
Ces
personnalités, parmi beaucoup d’autres, sont ainsi mises en scène dans
le livre, les auteurs leur prêtant des propos et des attitudes
correspondant à l’idée que l’on peut se faire de leur positionnement
politique, comme dans ce pseudo-éditorial succulent de Jean-Marie Colombani. D’autres personnalités moins connues du public apparaissent sous des pseudonymes transparents, tels ce Jérôme Clavé patron de l’Agence France-Trésor ou un certain Nicolas Thierry, directeur
du Trésor. Les auteurs s’autorisent aussi parfois quelques facilités
romanesques, en changeant par exemple le profil de l’époux de Valérie Pécresse
qui, d’ingénieur dans la vie, devient un professeur d’histoire, de
manière à permettre un dialogue plus significatif entre la réformatrice
ministre et un représentant symbolique de l’Education nationale dont le
salaire est réduit de moitié et l’activité, privatisée !
On le voit, les auteurs ne manquent ni d’imagination politique, ni
d’ouverture à la promotion féminine, même si, en ce qui concerne ce
dernier point, on peut estimer osé le pari fait sur la capacité de la
droite comme de la gauche à renoncer, dans le sillage du patronat, à
son machisme traditionnel.
Un
tel scénario politique est-il réellement crédible ? Nous serons vite
fixés, au moins en ce qui concerne les premières étapes. A vrai dire,
cette interrogation est de peu d’importance par rapport à la
démonstration par l’absurde qui nous est proposée.
Pour l’heure, le destin hésite encore. Comme les auteurs le font dire à Michel Pébereau, « à l’époque (2005),
nous ne disions pas que le fardeau de la dette publique était
insupportable, mais qu’il pouvait le devenir si nous ne nous donnions
pas les moyens de rétablir en cinq ans l’équilibre des finances
publiques. Hélas, nous n’avons pas été entendus... Dès lors, tôt ou tard,
cette crise devait surgir. » Il est vrai que, pendant la
précampagne présidentielle dont nous suivons actuellement les
péripéties, l’autisme ou le silence de la plupart des femmes et des
hommes politiques et des candidates ou des candidats potentiels à
l’égard du problème de l’endettement public,à l’exception notable et
courageuse de Thierry Breton, donne crédit à l’hypothèse
d’une dégradation insensible et continue, jusqu’à un point de non-retour
qui rendrait une crise majeure inéluctable.
Sans doute notre classe politique devrait-elle méditer l’autocritique de Ferenc Gyurcsany,
le Premier ministre socialiste de Hongrie, dont la démission est
réclamée pour avoir menti à son peuple. Le 26 mai dernier, il avait
expliqué au groupe parlementaire de son parti : « Nous avons tout
fait pour garder secret en fin de campagne électorale ce dont le pays
avait vraiment besoin, ce que nous comptions faire après la victoire.
Nous le savions tous, après la victoire, il fallait se mettre au
travail, car nous n’avons jamais connu de problème de cette envergure [...] Il est évident que nous avons menti tout au long des dix-huit
derniers mois. Il est clair que ce que nous disions n’était pas vrai. »
Certes, la situation n’est pas tout à fait la même dans notre pays. Le rapport Pébereau est disponible. Chacun peut le consulter, notamment sur Internet. Mais au regard du diagnostic qu’il a posé, comment ne pas relever que l’accumulation des promesses et des « engagements »,
générateurs de dépenses publiques ou de pertes de recettes fiscales,
comme si de rien n’était, apparaît particulièrement dérisoire, et que le
fait que ce diagnostic ne soit pas au centre du débat politique
s’apparente à un mensonge collectif par omission.
Le scénario politique du livre fait porter à Ségolène Royal
hypothétiquement élue et, derrière elle, à la gauche, la responsabilité
de la dégradation de la situation. Cette convention, retenue pour la
commodité du récit, est bien entendu contestable. Comme le soulignent
les auteurs, au cours des vingt-cinq dernières années, la droite a
contribué, comme la gauche, à l’accroissement de la dette publique.
Personne n’est innocent.
De même n’y a-t-il pas de raison fondamentale pour penser que Ségolène Royal serait moins économe des deniers publics que ne le serait son éventuel adversaire Nicolas Sarkozy.
En revanche, tous deux, comme l’ensemble de la classe politique, éludent
le problème ou l’évoquent du bout des lèvres, comme si les Français
n’étaient pas assez adultes pour comprendre et accepter un langage de
vérité dans ce domaine. Il n’est cependant pas encore trop tard pour
rectifier le tir. Après tout, nous ne savons pas encore, contrairement
aux auteurs du livre, quels seront en définitive les candidats que les
Français auront à évaluer, et la vraie campagne présidentielle n’a pas
encore commencé.
Au-delà de cette question essentielle, Philippe Jaffré et Philippe Riès
nous font pénétrer dans cet univers impitoyable que constitue la
finance nationale et internationale. L’analyse des mécanismes et des
comportements ne force pas le trait. Il est sans doute vrai que le
système financier confère aux agences de notation, sociétés privées, un
rôle envahissant que le bon sens devrait récuser, mais que la faiblesse
des instances de régulation, publiques, européennes ou internationales,
favorise. Il est sans doute vrai que le système bancaire ne voudrait ni
ne pourrait se porter au secours de l’Etat français alors que ni la Banque de France, désormais intégrée au dispositif de la Banque centrale européenne, ni la Caisse des dépôts
n’en auraient davantage les moyens. Il est sans doute également vrai
que, dans une telle conjoncture, la sortie de l’euro ne constituerait
pas une solution viable, comme les auteurs le font dire à Philippe de Villiers, Garde des sceaux de Nicolas Sarkozy et de Laurence Parisot : « La
sortie de l’euro, il aurait fallu la décider il y a des années quand
nous avions encore des marges de manœuvre. Aujourd’hui, en effet, elle
serait suicidaire », tant il est vrai comme la Première ministre est supposée le dire à un autre moment : "En sortir est très différent de ne pas y entrer." Est également clair et convaincant ce qui est dit du rôle et de la manière d’opérer des hedge funds, instruments de marché qui s’assurent "une rentabilité annuelle de 20%" en
rachetant des obligations publiques ou privées décotées, qui sont
ensuite, la plupart du temps, remboursées à leur valeur faciale, pari
presque toujours gagnant que notamment les banques n’osent ou ne
veulent plus faire directement. Quant à la forme d’excitation
dramatique et gourmande qui emporte l’univers financier vers
l’extrémité de la crise dans une telle occurrence et que les auteurs
décrivent, elle reflète une réalité souvent vécue dans des situations
moins extrêmes et de nature à aggraver encore les difficultés.
Les auteurs ne s’aventurent pas à nous proposer le dénouement de
l’histoire. Tout au plus le livre se termine-t-il par une dépêche de
l’AFP qui nous apprend qu’un cortège, où ont pris place le président de
la République et le Premier ministre, a fait l’objet d’un attentat sur
le pont Alexandre-III, sans que l’on sache s’il est fatal, tout en
devinant, à travers un chapitre précédent, que les auteurs en sont
probablement une fraction dissidente de la LCR, supposée vouloir
exploiter la situation prérévolutionnaire qui s’installe dans le pays.
Mais, si les mesures d’assainissement imaginées par les auteurs
devaient être mise en œuvre, on peut aussi imaginer qu’au résultat de
cette thérapie de choc, le dernier mot ne resterait pas à des
anarchistes de gauche, mais plutôt à des émules de ces militaires
thaïlandais qui viennent de nous rappeler que ce type de solution n’est
pas nécessairement et définitivement écarté des futurs possibles, comme
on pourrait parfois le penser naïvement.
Heureusement, si le pire n’est pas toujours exclu, il n’est pour
autant jamais sûr. Il faut se garder du vertige des mots, comme ceux de quasi-faillite que la quatrième de couverture applique, une
fois de plus et toujours aussi abusivement, à la crise financière,
brillamment et rapidement surmontée par Alstom, ceci pour légitimer la compétence de Philippe Jaffré à parler du « jour où la France a fait faillite »
Ce rapprochement incongru ne doit pas disqualifier la réflexion que
justifie ce récit d’une catastrophe qui ne devra jamais avoir lieu,
mais qui devrait inciter à la prudence et à la sincérité ceux qui se
sentent capables de nous gouverner. Les lecteurs plus ordinaires y
trouveront une occasion de se distraire plaisamment, et un encouragement
à se monter plus exigeants à l’égard de ceux qui sollicitent leurs
votes.
PS : Sur le site,www.lejourou.info , vous pourrez découvrir des bonus et dialoguer avec les auteurs du livre sur un forum.
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