Le risque, première variable du prix des hydrocarbures ?
Il y a cinquante ans, la péninsule Arabique, l’Iran, l’Iraq, le Venezuela, la mer du Nord étaient les seuls gisements « tiers », les deux grandes puissances Etats-unis et URSS, ayant par ailleurs leurs propres réserves. Depuis, les gisements africains (Angola, Zaïre, Gabon, Nigeria, etc.), ceux de la mer de Chine (Indonésie, Malaisie, Vietnam, etc.), de l’Alaska, de l’Amérique centrale et du Sud ainsi que les réserves offshore portent désormais à 160 GT (milliards de tonnes) les réserves potentielles (US Geological Survey-USGS).
Au début du XXe siècle (avec une consommation bien moindre), on estimait les réserves à vingt ans ; aujourd’hui, à plus de soixante ans. Mieux encore, en augmentant le prix d’exploitation et en utilisant des technologies plus pointues, des réserves jusque-là considérées inutilisables ou épuisées seraient exploitables ; le coût d’extraction passerait toutefois à près de 13 dollars le baril (Agence internationale de l’énergie - AIE).
À cela il faut ajouter les prospections qui visent actuellement les 2/3 de notre globe. Gaz, sables asphaltiques, constituent par ailleurs une réserve d’énergie fossile encore plus importante. Logiquement, le prix des hydrocarbures devrait donc rester stable, et bien en decà de celui d’aujourd’hui (50-60 dollars le baril). Pourquoi au contraire, connaît-il une phase ascendante permanente ? Tout simplement parce que le risque existant sur les lieux d’extraction et sur les voies d’acheminement (oléoducs et voies maritimes), l’instabilité politique et le morcellement du pouvoir deviennent la première variable de ce prix. À cela s’ajoute, bien entendu, la spéculation, qui accélère de manière technique le sentiment de risque, par le jeu même du marché. Cela n’est certes pas nouveau. L’histoire des réserves d’hydrocarbures a toujours été mouvementée.
Contrôler les puits et les voies d’approvisionnement a toujours été une constante des grandes puissances industrielles depuis les années 1920 et a façonné la géopolitique au même titre que l’opposition Est-Ouest. Mais, comme tout le reste, cette recherche de stabilité bipolaire, a volé en éclats. La globalisation, qui a eu comme première conséquence l’introduction massive dans le marché des hydrocarbures de la CEI (et de ses oligarches), mais aussi le nouveau « jeu » concernant les réserves de la Caspienne et de l’Asie centrale - compliqué par ses hommes forts et ses seigneurs de la guerre - a déstabilisé le train-train des grandes compagnies pétrolières. La Chine est devenue un facteur important, du moins pour les deux régions précitées, tout comme le Japon.
Des puissances régionales, libérées du carcan de la guerre froide (Turquie, Iran) y participent, presque au même titre que Moscou ou Ottawa. Ainsi, au Caucase, l’extraction (Azerbaïdjan), le tracé d’un oléoduc (Arménie, Turquie, Géorgie), le contrôle d’une région (Abkhazie, Adjarie, Tchétchénie, Haut-Karabakh), deviennent des entreprises périlleuses laissant un sentiment d’inachevé, même lorsque des accords pénibles et complexes donnent le sentiment d’un travail abouti. En effet, à chaque instant, tout risque - tant les acteurs se multiplient - peut être remis en cause. Le scénario se répète en Asie centrale (Ouzbékistan, Kazakhstan, Turkménistan, Kirghizistan, Tadjikistan), avec la Chine placée en embuscade. La fin de la guerre froide a une autre conséquence : l’émancipation de régions, ex-pré-carrés des grandes puissances. Il en va ainsi pour le Venezuela, qui, en d’autres temps, n’aurait pas la possibilité de vivre une période chaotique aussi longue sans se voir « rappelée à l’ordre » par les Etats-Unis, comme cela fut le cas dans les années 1970 pour le Mexique.
Quant au pétrole africain, plus sûr et hypothéqué depuis longtemps, il n’est pas protégé d’une dérive probable. Il ne constitue d’ailleurs que moins de 8 % des réserves. Enfin, le pétrole moyen-oriental (62 % des réserves) est miné par le djihad inter wahhabite : cette guerre a une Mecque et une périphérie. La péninsule Arabique en est le centre et les problèmes qu’il pose sont connus depuis longtemps. Or, le scénario saoudien (collaboration avec un Etat théocratique en situation permanente de surenchère islamiste) se retrouve désormais au sein de la périphérie, tant le dogmatisme sectaire a pu se développer comme une alternative politico-religieuse au sein de l’ouma. Ainsi, de l’Afghanistan à l’Asie centrale, des confins du Caucase en mer de Chine, de la Malaisie à l’Indonésie, les réserves de pétrole sont désormais sous influence du djihad salafiste : guerre de domination, civile, économique, politique, etc. Il s’agit d’une situation relativement nouvelle et certainement explosive.
Les alternatives d’approvisionnement en hydrocarbures, le tracé des nouveaux oléoducs et leur contrôle, entrent ainsi dans le domaine de l’aléatoire et des rapports de force. Le prix à payer pour leur contrôle passe par un aggiornamento douteux avec les forces les plus radicales de l’Islam, qui continue, fort de cette arme, à bousculer les gouvernements déjà sous influence et dérivant (de gré ou de force) vers l’idéologie islamiste. (Malaisie, Indonésie, mais aussi, Algérie, Nigeria, Azerbaïdjan, Ouzbékistan, etc.). Le conflit iraquien avait comme objectif l’isolement de l’Arabie saoudite et la mise entre parenthèse du besoin de ses réserves fossiles le temps nécessaire pour un « changement politique ». Le libre accès aux réserves iraquiennes pallierait les aléas arabiques. Le résultat est l’opposé de ce qui était espéré. Loin d’isoler l’Arabie saoudite, loin de la mettre en quarantaine politique, il y exacerbe la lutte pour un pouvoir de plus en plus radical. Par ailleurs, le fondamentalisme se nourrit du conflit iraquien et fait du salafisme l’unique alternative politique au sein de l’ouma. De Kota Baru à Duchambé, de la Caspienne au Xinjiang, tout ce qui a à voir avec le pétrole fait désormais partie de l’aire de l’aléatoire.
L’acheminement terrestre (oléoducs) et les gisements étant sous influence, restent les voies maritimes. Sont-elles sécurisées ? Pas autant que prévu : les offshore de l’Atlantique Nord, ce long chapelet qui s’étale de la Norvège au Canada est victime du réchauffement du pôle Nord : les icebergs, de plus en plus volumineux, partent à l’attaque des offshore. La flotte chargée de changer leur tracé pour protéger les plate-formes a été multipliée par dix. En mer de Chine, par l’occupation militaire d’îlots sans nom, la Chine, la Malaisie, le Vietnam, contestent les uns aux autres le contrôle d’une mer pétrolifère. Du détroit de Malacca à la mer Rouge les pirates participent - à leur manière - à l’augmentation des prix du transport, tout comme les terroristes. En conséquence prendre la mer n’a jamais coûté (et rapporté) autant : en 2001 un minuscule pétrolier de 150 000 tonnes coûtait autour de 10 000 dollars par jour ; aujourd’hui on frôle les 100 000 dollars. Enfin, réunion après réunion, conférence après conférence, les agences privées de sécurité - qui ont trouvé là un nouveau terrain d’action -, participent à leur tour à la hausse vertigineuse des prix de transport. En conséquence, et tandis que les discussions sans fin portent toujours sur le fameux « pic de production » - une Arlésienne non identifiée -, les risques -réels ou sciemment cultivés - pèsent de plus en plus lourd sur l’économie des hydrocarbures.
Cette stratégie qui libère les compagnies pétrolières du poids d’un prix exorbitant proposé au marché et donc rend accessibles des ressources fossiles trop coûteuses, renvoie à « plus tard » l’urgence d’une énergie renouvelable qui enlèverait la chape de leur monopole.
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