Les négociations sur les retraites, et si c’était un véritable marché de dupes ?
L’article revisite la question même de l’équilibre du régime des retraites en France avec le système par répartition qui lui est propre.
Après la grande négociation sur les retraites conduites en 2003 par François Fillon en sa qualité de ministre des Affaires sociales et qui ont abouti à l’allongement de la durée du travail pour les fonctionnaires, voilà la même problématique qui revient sur le devant de la scène à propos de la fin des régimes spéciaux. Un conflit social dur se profile à l’horizon au nom de l’équité entre les travailleurs : on a tondu les uns (en 2003), il faut maintenant tondre les autres.
Pour autant, va-t-on vers une solution durable de la question des retraites. La réponse est NON et trois fois non. Pourquoi ?
Nous sommes dans un régime de retraite par répartition qui est le propre du régime français alors que la plupart des pays européens et d’Amérique du Nord ont un régime par capitalisation. En d’autres termes, en France, ce sont les personnes qui travaillent qui payent la retraite de ceux qui ne travaillent plus tandis que dans les autres régimes, ce sont les économies constituées au fil des ans par le travailleur qui lui payent sa retraite. Dans notre système par répartition, il faut tenir compte de cette réalité : le nombre d’actifs a tendance à diminuer sur le long terme ou au mieux à stagner, notamment en raison de la mondialisation et de l’évolution de la structure du travail en France tandis que le nombre de retraités ne va aller qu’en augmentant de manière substantielle du fait de l’allongement de la durée de la vie.
En d’autres termes, le système français ne peut être « bénéficiaire » que lorsque le nombre de travailleurs actifs qui cotisent augmente et dans la durée, il ne peut être équilibré qu’en augmentant le nombre de travailleurs ou la durée du travail au long d’une vie : c’est le propre de notre système de retraites ! On entend le gouvernement se féliciter de la diminution du nombre de fonctionnaires, mais il est clair que si ce nombre de fonctionnaires ne diminuait pas, la branche retraite des fonctionnaires se porterait mieux. Si on continue à raisonner branche par branche de travailleurs de manière segmentée et si le nombre de fonctionnaires continue à baisser, autant se dire qu’il faudra travailler jusqu’à 75 ou 80 ans si on veut que la caisse de retraites des fonctionnaires soit équilibrée. Et ce qui est vrai pour les fonctionnaires l’est aussi à échéance plus ou moins longue pour l’ensemble des travailleurs car le stock d’anciens travailleurs devenus retraités ne peut qu’aller en augmentant.
Aujourd’hui, les pays où le poids des retraités est léger sont les pays de forte immigration comme l’Australie, le Canada ou encore les Etats-Unis, preuve s’il en était besoin que même avec le système par capitalisation qui est vigueur dans ces pays, l’équilibre voire le « bénéfice » dans un régime de retraites se fait par l’apport de nouveaux cotisants.
Alors soyons clairs pour une fois : soit on nous dit carrément qu’on peut mettre une croix sur notre retraite et qu’on travaillera comme certaines personnes aux Etats-Unis jusqu’à un âge très avancé pour bénéficier d’une retraite décente (on se souvient du reportage à la télé de ce vieux travailleurs de la régie des bus de San Francisco qui prenait sa retraite à 85 ans...), soit on met en place un autre système pour la prise en charge du retraité soit par le biais de la solidarité nationale et donc par la redistribution par le jeu de l’impôt soit par tout autre système, peut-être encore à inventer. Il faut en effet arrêter de vivre sur une fiction que les retraites peuvent s’apprécier branche par branche à savoir qu’on apprécie pour une catégorie de personnes (les fonctionnaires, les agriculteurs, les commerçants, les gaziers et électriciens, etc.) l’équilibre financier entre ceux qui cotisent en tant qu’actifs et ceux qui sont à la retraite et donc qui sont pris en charge en quelque sorte par les actifs. Si ce système, rappelons-le typiquement français, a pu bien marcher dans une période de croissance économique où le nombre d’actifs, donc de cotisants, allait en augmentant, et a pu justifier que certaines branches soient mieux loties que d’autres, tirons la leçon fondamentale qu’il ne peut plus fonctionner maintenant et que l’on doit tout remettre sur la table.
Reconnaissons clairement que le système de retraites par répartition n’est plus viable et que l’on doit donc se tourner vers le régime qui existe ailleurs dans le monde, celui par capitalisation en le réinventant au besoin. Savoir avouer l’échec d’un système qui n’a été repris nulle part ailleurs dans le monde sauf dans les anciens pays colonisés par la France, c’est déjà le commencement de la sagesse.
Faute d’un débat sincère et au fond des choses, l’alternative ce serait d’avoir chaque année des grèves contre l’allongement de la durée du travail au long d’une vie (bonjour le coût des grèves sans compter les désagréments que cela provoque !).
En fait, reporter l’âge du départ à la retraite revient à reprendre d’une main ce que les améliorations du système de santé ont permis de gagner en termes d’amélioration de l’espérance de vie à la naissance qui fait que l’on vit plus vieux aujourd’hui qu’avant. Ou alors si les gens persistent à vouloir partir à un âge raisonnable pour profiter d’une retraite heureuse, le montant de leur retraite sera si faible qu’il leur permettra à peine de survivre et là, la maladie ou le mauvais régime alimentaire viendra rétablir l’équilibre naturel et on constatera que l’espérance de vie à la naissance se remettra à baisser. Avec des gens mourrant plus jeunes (75 au lieu de 80 ans par exemple), l’équilibre des caisses de retraites reviendra et tout rentrera dans l’ordre. Cette question de la réduction des moyens financiers dont disposeront les gens à la retraite est à mettre en rapport avec la crise de l’énergie qui se profile pour les années 2015-2020 où le pic de production pétrolière sera atteint et où les prix de l’énergie seront sans doute très importants dans le futur « panier de la ménagère » des personnes retraitées. Les moyens financiers viendraient-ils à leur manquer que les vieux retraités seraient particulièrement sensibles à une vague de froid et on aurait un effet canicule à rebours. On assisterait alors à une hécatombe de personnes âgées. Aujourd’hui tout est lié et on ne peut pas traiter les problèmes de manière segmentée.
Cessons donc d’être hypocrites et regardons les choses en face sauf à attendre une régulation du système par la négation des avancées de la médecine et de l’amélioration continuelle des conditions de vie des Français. Pour ma part, j’en voudrais moins à un gouvernement qui pose les vraies questions et qui cherche sincèrement à les régler, quitte à ce que ça soit difficile, qu’à un gouvernement qui nous lanterne et considère que nous ne sommes pas capables de comprendre l’importance des débats.
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