Pas de relance possible sans agir sur nos échanges commerciaux
La « loi de Thirlwall », formulée à la fin des années 1970 par l'économiste post-keynésien du même nom, dit qu'un pays comme la France, dont l'économie est très ouverte au commerce avec le reste du monde, ne peut espérer relancer son économie, sans agir sur ses échanges commerciaux. Ou bien la France parvient à augmenter fortement ses exportations, ou bien elle réduit fortement sa propension à consommer des biens et services importés plutôt que produits sur son territoire. Sans cela, elle ne pourra pas sortir du chômage de masse et du déficit commercial. Le raisonnement permettant de justifier cette affirmation est d'une simplicité déconcertante.
Par définition, une relance réussie de l'économe française lui permettrait de revenir au plein emploi, tout en restaurant puis préservant son équilibre commercial.
Grâce à cette relance, les 4 millions de chômeurs de France(1), retrouveraient un emploi. Le nombre de travailleurs intégrés dans l'appareil productif français, passerait donc des 25,5 millions actuels(2), à 29,5 millions : il augmenterait donc de 15,7%.
La production française augmenterait alors en proportion : le PIB français augmenterait de 15,7% lui aussi (ici, dans la suite, et déjà précédemment, on ne tient pas compte de la variation des prix en France ou ailleurs au cours du temps, ni des variations possibles des taux de change au cours du temps, ni des différences de productivité du travail d'une branche d'activité à l'autre ou au cours du temps, ni de l'évolution du nombre d'actifs dans le pays au cours du temps).
Si la France était actuellement en équilibre commercial, le maintien de cet équilibre impliquerait que sa consommation (et son accumulation) augmente elle aussi de 15,7%. Mais comme la France est actuellement en déficit commercial de 1,7% du PIB(3) (soient 33,6 milliards d'euros), la restauration de l'équilibre commercial permise par la relance réussie, implique finalement une augmentation de la consommation française de 14% du PIB actuel.
Un ensemble de cas, se situant sur une ligne reliant deux cas typiques, est alors envisageable.
Le premier de ces cas typiques est un cas de grande malchance pour la France. Le reste du monde ne fait rien pour augmenter sa consommation, ou bien il augmente sa consommation, mais il se détourne de la production française. Tant et si bien que finalement, les exportations de la France n'augmentent pas : elle restent à leur niveau actuel, de 34,9% du PIB actuel. Pour que l'équilibre commercial soit restauré, il faut alors que les importations de la France n'augmentent pas, et même qu'elles diminuent : elles passent de leur niveau actuel, de 36,6% du PIB, à un niveau de 34,9% du PIB actuel. La proportion de biens importés dans la consommation française se réduit alors fortement. Elle vaut actuellement 36% par rapport à la consommation actuelle, qui vaut 101,7% du PIB. Et à l'issue de la relance réussie, la proportion de biens importés vaudrait 30,2% par rapport à la consommation, qui vaudrait alors 115,7% du PIB actuel. La propension à importer se réduit donc de 5,8 pourcents.
Le deuxième cas typique est le cas où la France continuerait à avoir une politique commerciale libre-échangiste et une monnaie surévaluée, tant et si bien que la propension à importer de la France ne diminuerait pas : elle garderait sa valeur actuelle de 36%. Les importations augmenteraient alors dans les mêmes proportions que la consommation, passant de leur niveau actuel de 36,6% du PIB, à un niveau de 41,6% du PIB actuel : soit une augmentation de 13,8% de leur niveau actuel (ou encore, de 97,8 milliards d'euros). Pour que l'équilibre commercial soit restauré, il faut alors que les exportations de la France augmentent fortement : elles doivent passer de leur niveau actuel de 34,9% du PIB, à un niveau de 41,6% du PIB actuel : soit une augmentation de 19,2% de leur niveau actuel (ou encore, de 129,6 milliards d'euros).
En plus de ces cas deux cas typiques, les autres cas possibles sont tous les couples constitués d'une variation VE de nos exportations (en pourcentage du niveau initial de nos exportations), et d'une variation VPI de notre propension à importer (en pourcents), satisfaisant la contrainte linéaire suivante :
Le cas typique où les exportations n'augmentent pas, est celui où VE = 0 (ce qui implique que VPI = - 5,8). Et le cas typique où la propension à importer ne diminue pas, est celui où VPI = 0 (ce qui implique que VE = 19,2).
Ces couples peuvent être représentés sur la courbe suivante, où l'axe horizontal est celui le long duquel VE varie, et où l'axe vertical est celui le long duquel VPI varie.
Couples constitués d'une variation VE de nos exportations (en pourcentage du niveau actuel de nos exportations), et d'une variation VPI de notre propension à importer (en pourcents), qui sont possibles à l'issue d'une relance réussie de l'économie française
On peut penser que, malgré les nombreuses hypothèses simplificatrices qu'il fait, et notamment malgré son hypothèse de fixité des taux de change à l'avenir, ce raisonnement nous donne une première indication, non dépourvue de valeur, sur la hausse de nos exportations, et sur la réduction de notre propension à importer, dont l'une ou l'autre serait nécessaire pour que réussisse une relance de notre économie(4).
Lorsqu'un parti fait la promesse qu'il va relancer l'économie française, il nous est donc possible de tester la crédibilité de sa promesse, en lui demandant quels objectifs il se fixe en matière d'augmentation des exportations, et de réduction de notre propension à importer, et aussi quels moyens il compte mettre en œuvre pour atteindre ces objectifs. Plus un parti se dit réticent à réduire notre propension à importer, et plus il lui faut alors pour être crédible, avoir un objectif élevé d'augmentation de nos exportations, et des méthodes efficaces à proposer pour atteindre un tel objectif. A défaut de trouver des moyens efficaces d'augmenter sensiblement nos exportations, un parti qui promet une relance devrait pour être crédible, proposer d'utiliser des mesures efficaces visant à réduire notre propension à importer, et à ré-industrialiser la France.
Notes.
1. On recense actuellement 4 millions de chômeurs en France, si on entend par « chômeur », tout chômeur au sens strict de l'Organisation Internationale du Travail et de l'INSEE, ainsi que toute personne en « sous-emploi » au sens de l'OIT et de l'INSEE, ainsi que toute personne constituant ce que l'INSEE appelle le « halo du chômage » ; et si on recense chaque personne en sous-emploi, comme un demi chômeur. Les personnes en sous-emploi travaillent à temps partiel, ou de manière intérimaire, mais souhaitent travailler à temps plein et continument. Le « halo du chômage » comprend les personnes sans emploi qui ne sont pas inscrites administrativement en tant que chômeurs, mais qui souhaiteraient avoir un emploi (chômeurs découragés), ainsi que les personnes en formation dans le cadre d'une démarche de recherche d'emploi (et non en tant que lycéens ou étudiants). Selon l'INSEE, en 2010, il y a en France 2,6 millions de chômeurs (au sens strict), 1,5 millions de personnes en sous-emploi, et 0,7 millions de personnes appartenant au « halo du chômage ».
2. Pour rester cohérent avec la manière choisie ici de recenser les chômeurs, on obtient le nombre d'actifs occupés, en retranchant au nombre d'actifs occupés au sens de l'INSEE, un demi actif occupé pour chaque personne en sous-emploi. Les personnes en sous-emploi sont en effet comptabilisées par l'INSEE parmi les actifs occupés (alors que le « halo du chômage » fait partie de l'ensemble des inactifs au sens de l'INSEE). Il y a selon l'INSEE en 2010, 28,8 millions d'actifs.
3. Ce qui joue dans le texte le rôle de la balance commerciale, est plus exactement la balance courante, car c'est l'équilibre de la balance courante qu'il est souhaitable de maintenir pour éviter au pays de voir fondre ses réserves de change ou de s'endetter vis à vis du reste du monde. La balance courante recense les entrées et sorties d'argent suscitées par des opérations courantes. Son solde est égal aux entrées d'argent auquel on retranche les sorties d'argent. Les opérations courantes sont les échanges commerciaux de biens (qui sont recensés dans la balance commerciale au sens exact), les échanges commerciaux de services, les transferts d'argent par les ménages et administrations, et les perceptions de revenus du travail et du capital. Les échanges commerciaux de biens constituent l'essentiel des échanges commerciaux, et les échanges commerciaux constituent l'essentiel des opérations courantes. Ce qui joue dans le texte le rôle des exportations, sont les opérations courantes qui suscitent une entrée d'argent (qui comprennent les exportations de biens au sens exact), et ce qui joue dans le texte le rôle des importations, sont les opérations courantes qui suscitent une sortie d'argent (qui comprennent les importations de biens au sens exact). Selon l'INSEE et la Banque de France, en 2010, le PIB de la France est de 1932,8 milliards d'euros, les opérations courantes suscitant une entrée d'argent valent 675,1 milliards d'euros, et les opérations courantes qui suscitent une sortie d'argent valent 708,7 milliards d'euros.
4. Pour obtenir une estimation plus proche de la réalité, il serait intéressant de lever l'hypothèse selon laquelle les taux de change ne varient pas au cours du temps. Peut être que le résultat qu'on obtiendrait en levant cette hypothèse, serait proche de celui qu'on obtiendrait en remplaçant dans le raisonnement, le solde actuel de la balance commerciale, par le solde qu'elle aurait si les taux de change avaient les valeurs qu'on prévoit qu'ils auront à l'issue du plan de relance, et si les volumes échangés étaient par contre les mêmes qu'actuellement. Par exemple, pour le cas de la France aujourd'hui, on pourrait penser que la monnaie de la France cessera un jour ou l'autre d'être surévaluée. On pourrait donc penser qu'à l'issue du plan de relance, les taux de change seront plus proches de la parité des pouvoirs d'achat. Comme la surévaluation de notre monnaie surévalue nos exportations et sous-évalue nos importations, notre déficit actuel, pour de mêmes volumes échangés, mais pour des taux de change plus proches de la parité des pouvoirs d'achat, serait bien plus accentué. La réduction nécessaire de notre propension à importer en cas de non augmentation de nos exportations, et l'augmentation nécessaire de nos exportations en cas de non réduction de notre propension à importer, deviendraient alors plus importantes.
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