Pierre Larrouturou : la crise n’est pas financière mais sociale
En mai 2011, Pierre Larrouturou publie un essai sur la situation économique actuelle intitulé : Pour éviter le krach ultime.
Un livre qui tranche avec les discours habituels.
Pierre Larrouturou, ancien adhérent du Parti Socialiste, a rejoint Europe Ecologie Les Verts en novembre 2009. Ingénieur agronome et diplômé de Sciences-Po, il est surtout connu pour son combat pour la semaine de 4 jours de travail ; il défend aussi l'idée d'un traité de l'Europe sociale.
Tout d'abord, Pierre Larrouturou nous prévient : la croissance ne reviendra pas. D'ailleurs, non seulement elle ne reviendra pas, mais elle n'est pas souhaitable pour des raisons écologiques.
Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de solutions à la crise actuelle, bien au contraire, mais il faut poser le bon diagnostic pour trouver les bonnes solutions. Or, pour Larrouturou, le diagnostic est clair : nous vivons avant tout une crise sociale plus que financière.
"Les racines de la crise financière, ce sont trente ans de chômage et de précarité.(...) Le chômage n'est pas seulement l'une des conséquences de la crise. Il en est l'une des causes fondamentales."
Pierre Larrouturou analyse ce qui s'est passé dans le monde occidental ces 30 dernières années :
" Jusqu'en 1981, les Etats-Unis fonctionnaient avec un comportement "fordiste" : entre 1907 et 1917, Henry Ford, le patron des automobiles Ford, avait profondément réorganisé ses usines et doublé leur productivité. Pour assurer ses débouchés, pour augmenter ses ventes, il s'était convaincu que l'économie devait absolument respecter deux grandes règles du jeu :
1. il faut tout faire pour assurer le plein-emploi.
2. il faut des règles collectives pour augmenter chaque année les salaires des ouvriers en fonction des gains de productivité. (...)
C'est à partir de l'arrivée de Ronald Reagan que la dette augmente. Les libéraux baissent les impôts sur les plus riches, ce qui favorise la dette publique. Mais c'est surtout la dette privée qui s'accroît parce que la dérégulation et la précarité du marché du travail amènent progressivement à une baisse de la part des salaires dans le PIB et qu'un nombre croissant de ménages américains sont obligés de s'endetter pour maintenir leur pouvoir d'achat."
Le monde occidental, et plus particulièrement la France, a augmenté sa productivité d'une manière extraordinaire ces trente dernières années et, paradoxalement, c'est ce qui l'a perdu, simplement parce ces gains de productivité, au lieu d'être distribués aux salariés pour maintenir la croissance, l'ont été aux actionnaires qui, devenant millionnaires, ne peuvent plus, au-delà d'un certain nombre d'achats, utiliser leur fortune et la réinjecter dans l'économie.
"Plutôt que la mondialisation, voici la principale explication du chômage et de la précarité qui rongent nos sociétés depuis trente ans. Voici la cause fondamentale de la crise qui a éclaté depuis trois ans : notre incapacité collective à gérer des gains de productivité colossaux. Car ces gains sont vraiment considérables : en trente ans, l'économie française a produit 76% de plus avec 10% de travail en moins.
Sur l'ensemble de ces quinze pays de l'OCDE, en trente ans, ce sont quelques 35000 milliards de dollars qui auraient dû aller aux salariés si l'on avait gardé l'équilibre de la fin des 1970, et qui ne leur sont pas parvenus.
Après ce constat, viennent ensuite les solutions. Certaines sont partagées par d'autres économistes et hommes politiques :
- séparer les banques de dépôt et les banques d'affaire.
- supprimer l'essentiel des baisses d'impôt octroyées depuis dix ans aux ménages les plus riches et aux grandes entreprises.
- Créer un impôt européen sur les bénéfices.
- Lutter à tous les niveaux contre les paradis fiscaux ;
- Investir massivement dans le logement, les économies d'énergie, les énergies reouvelables.
- Développer les services à la personne.
- Développer une agriculture durable.
- Obliger la Chine, dont l'Europe est le premier client, à respecter des conventions sociales et environnementales
- Oeuvrer pour une convergence sociale européenne avec un traité de l'Europe sociale :
"Si nous voulons un traité de convergence sociale, c'est aussi parce que, comme le disait Ford au siècle dernier, "en période de crise, chacun voudrait baisser les salaires et baisser la protection sociale, mais cette baisse des salaires aggrave la crise ! Il faut donc nous donner des règles collectives pour éviter que le dumping de l'un n'oblige tous les autres à un dumping équivalent"
Mais surtout, Pierre Larrouturou demande avec insistance depuis plusieurs années un autre partage du travail et un autre partage des revenus au moyen de la semaine de 4 jours de travail.
Comme on l'a vu, en trente ans, les gains de productivité n'ont cessé d'augmenter mais n'ont été répercutés ni sur les salaires ni vraiment sur le temps de travail.
"Du coup, de façon insideuse, c'est un "partage du travail" sauvage qui s'est installé :
- 3 millions de personnes font 0 heures par semaine (les chômeurs) ;
- 19 millions travaillent plein pot (parfois trop) ;
- 4 millions sont à temps partiel, en CDD ou en interim (à mi-temps sur l'année)."
Pierre Larrouturou évoque le succès de certaines entreprises qui ont tenté et réussi la semaine de 4 jours. Ainsi, Mamie Nova :
"En février 2011, j'ai rencontré à Brest le délégué du personnel de Mamie Nova. Il m'a dit à quel point ses collègues étaient attachés à l'accord sur la semaine de quatre jours. Passer à la semaine de quatre jours a été l'occasion de créer massivement des emplois mais aussi, pour chacun, un moyen de construire un nouvel équilibre de vie : avoir plus de temps pour soi, plus de temps pour ceux qu'on aime, plus de temps pour des activités culturelles, sportives, associatives."
"Non, la croissance ne reviendra pas et il est vital d'inventer très vite un nouveau modèle de développement" résume Stéphane Hessel dans sa préface.
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