RFF exploite un réseau de 30 000 km de voies ferrées. En 2005, le rapport Rivier commandé par RFF rappelait que près de la moitié de ce réseau n’absorbait que 6 % du trafic. Le rapport faisait un état des lieux très sombre alarmant (voir mon précédent
à ce sujet), prévoyant une fermeture de la moitié du réseau ferroviaire dans les cinq à dix ans à venir, si un financement complémentaire d’1 milliard d’euro par an n’était pas prévu (pour le maintien ou la remise à neuf des 30 000 km de lignes).
Par démagogie (pression des syndicats), RFF n’a jamais obtenu les moyens humains et techniques d’assurer l’exploitation et la maintenance de son réseau. RFF délègue donc ses prérogatives de gestionnaire et de maître d’ouvrage à la SNCF.
Un curieux aller et retour financier s’effectue donc entre la SNCF « transport » qui paye RFF pour faire circuler ses trains et RFF qui paye la SNCF « infrastructure » pour exploiter et entretenir son outil de production.
Depuis 2007, les opérateurs fret privés peuvent emprunter le réseau ferré national. D’ici peu de temps, les transporteurs privés de voyageurs pourront emprunter le réseau ferré, et les régions pourront attribuer l’exploitation des TER à des opérateurs autres que la SNCF. Citons parmi les concurrents possibles de cette dernière : Véolia Transport (anciennement CFTA), Colas Rail (fret), Air France, Virgin Rail, Deutshe Bahn.
Ces compagnies investiront, notamment pour le fret, dans des plates-formes intermodales route/rail et apporteront sans aucun doute du trafic à RFF.
L’Etat n’a manifestement plus l’envie, ni les moyens d’investir dans le transport ferroviaire. La sous-capitalisation (c’est un euphémisme !) de RFF, la faiblesse de l’investissement (en regard du besoin) en sont la preuve !
Pour les infrastructures nouvelles, une solution simple, actuellement utilisée est le partenariat public-privé (PPP), rien d’autre que le bon vieux système de la concession. C’est le cas notamment pour Tours-Bordeaux. RFF, qui ne peut en principe plus s’endetter, attribue à un partenaire privé (groupe de BTP en général) le financement, la construction, l’exploitation et la maintenance de la ligne pour 30 ou 40 ans, la ligne revenant à RFF lorsque le concessionnaire a amorti son investissement et réalisé un gain d’argent.
- Le TGV
- Les lignes nouvelles à grande vitesse sont désormais financées par des fonds privés.
- Tunnel sur une ligne secondaire
- Le réseau classique délabré reste à la charge de l’établissement public (photo : philippe Brenet)
Le problème principal : un émiettement du réseau exploité par plusieurs opérateurs.
Comment se sortir de cette situation ubuesque ?
Le dépôt de bilan et la liquidation judiciaire
C’est la solution que préconiseraient les plus libéraux... l’entreprise serait liquidée et les actifs (voies ferrées) revendues à des actionnaires privés. Il va sans dire qu’hormis les lignes à Grande Vitesse, il ne resterait plus grand-chose du réseau ferré national.
Les prêteurs ne seraient plus remboursés, ce qui nuirait gravement à court terme à la crédibilité de l’Etat (inimaginable dans la situation actuelle !), sans parler des dizaines de milliers de cheminots qui se retrouveraient sans travail !
Cette solution à la soude caustique (mais qui se défend) aurait le mérite d’assainir le système ferroviaire. Cependant, elle aurait un coût pour l’Etat et la société exorbitant. Elle est selon moi à exclure.
Les partenariats public privés (PPP)
RFF est confronté à deux enjeux : financer les infrastructures nouvelles et financer la modernisation de son réseau ancien.
On l’a vu, la solution du PPP est intéressante pour RFF dans un premier temps (pas de souci pendant trente ans, et récupération de l’infrastructure). Mais elle s’avère en fait être un leurre à long terme.
Tout d’abord, le réseau va être morcelé : comment dialogueront les exploitants aux points de raccordement ligne nouvelle privée/ligne classique pour assurer la continuité des sillons ? Cela ne va-t-il pas créer de nouvelles faiblesses, propices à des surcoûts et à une dégradation du service ?
Au bout de trente ans, lorsque le concessionnaire s’en va, dans quel état se trouve la ligne ? Une remise à niveau sera à prévoir, comment RFF va-t-il financer cette régénération ? Une entreprise normale la finance avec l’exploitation... Dans le cas présent, le concessionnaire s’en va avec ses bénéfices... concrètement RFF se retrouvera contraint de contracter avec un nouveau concessionnaire.
Enfin, le PPP ne résout pas le problème du réseau classique, pire, il prive RFF d’un outil de production rentable, qui lui permettrait de rendre ses comptes plus présentables.
Alors, quelle stratégie doit adopter l’Etat actionnaire ?
Pour résumer, RFF se trouve dans une situation financière catastrophique, avec un réseau fortement dégradé.
Dans le même temps, l’actionnaire (l’Etat) n’a plus d’argent, RFF a recours à des mécanismes de financement privé des infrastructures et des opportunités de développement apparaissent avec l’ouverture du réseau à de nouveaux clients (bien qu’avec la crise actuelle cette opportunité soit partiellement obérée).
A partir de ce constat, la solution que je propose se déroulerait en deux temps :
Premier temps : le redressement
L’Etat, malgré sa situation financière, prend ses responsabilités et recapitalise partiellement RFF, comme le propose la Cour des comptes, quitte à froisser Bruxelles (en ce moment, il n’y aurait à mon avis pas trop de remontrances). Cela rendrait « la mariée » sinon jolie, du moins présentable. De plus, l’Etat prévoit une subvention de désendettement versée annuellement sur cinq à dix ans.
Dans le même temps, RFF et le ministère de l’Ecologie redessinent le réseau ferré d’intérêt national, comme je le préconisais dans mon
précédent article, avec logiquement la fermeture de 5 000 à 7 000 km de lignes arrivées en fin de vie pour lesquelles un investissement de modernisation serait démesuré par rapport au service rendu (dessertes d’intérêt local en milieu rural notamment, de toutes façons pratiquement plus utilisées).
Comme le préconise la Cour des comptes, RFF intègre par voie de détachement de leur entreprise les 55 000 cheminots de la SNCF affectés à l’exploitation et à l’entretien des installations fixes, aux horaires, à l’ingénierie de maintenance, à la réglementation ferroviaire et à la formation des conducteurs. RFF embaucherait ensuite ses propres agents au fur et à mesure des départs en retraite.
Second temps : restructuration capitalistique pour moderniser et le développer le réseau ferroviaire national.
L’Etat, après un vote parlementaire, transforme RFF en société anonyme (SA) ou, mieux, pourquoi pas en Société d’économie mixte (SEM).
L’Etat, tout en conservant ses parts, ouvre alors progressivement son capital aux opérateurs de transport privés et pourquoi pas aux Conseils régionaux, avec un taquet d’ouverture maximal fixé à 49 % du capital.
En cas de réticence forte des opérateurs privés, cet actionnariat pourrait être imposé comme un droit d’entrée aux principaux opérateurs.
De même, les Conseils régionaux qui souhaitent développer le rail dans leur région ont tout intérêt à acquérir quelques parts de RFF, ne serait-ce que pour faire valoir leurs intérêts et aussi faire face à leurs responsabilités en matière de réouvertures ou de maintien de lignes peu fréquentées.
En cas de grosses difficultés, l’actionnariat pourrait être élargi à d’autres partenaires, mais tendrait par la pression des intérêts lucratifs à remettre en cause la finalité première de l’opération : faire de RFF et du réseau ferré national un outil au service de ses utilisateurs. Toutefois un partenaire avec une vision strictement financière comme la Caisse des dépôts et consignations aurait parfaitement sa place dans le dispositif.
L’argent investi dans cette nouvelle structure « RFF » servirait à financer, d’une part, les investissements de remise à niveau du réseau et, d’autre part, les infrastructures nouvelles.
La direction de RFF aura alors à mener une vraie stratégie industrielle pour avoir une situation financière équilibrée. Les bénéfices dégagés permettraient soit d’investir, soit d’être reversés aux actionnaires (dont Etat).
Cela suppose aussi que RFF facture à ses clients (SNCF et autres transporteurs) les vrais prix, y compris aux régions qui souhaitent maintenir telle ou telle ligne au titre du service public.
En cas de vente d’actions par l’un des partenaires, l’Etat aurait un droit de préemption pour éventuellement augmenter sa participation.
Un bénéfice annuel de 3 à 4 % du capital investi serait un objectif raisonnable (bien en deçà donc de ce qu’exige la finance internationale).
Certes, cela nécessitera un effort de la part d’actionnaires privés d’avoir une immobilisation financière « peu rentable », mais cela leur donnera un droit de regard et un pouvoir de décision sur la gestion de l’infrastructure ferroviaire, en ayant une minorité de blocage.
Il va de soi que regrouper ainsi des partenaires (Etat, régions, SNCF, entreprises privées) positionnés sur des segments de marchés très différents (voyageurs longue distance, TGV, services régionaux interurbains, services périurbains, transilien, fret, transport combiné) ne se fera pas sans difficultés.
L’Etat restant majoritaire, il jouera le rôle d’arbitre, en cas de conflits d’intérêt des différents partenaires.
La direction de RFF aura, dans le cadre de sa politique industrielle, à faire de vrais choix : oui, sûrement le fret, plus rentable, sera prioritaire sur les TER, oui les tarifs appliqués sur telle ou telle section de ligne devront refléter les vrais coûts d’exploitation quitte à dissuader le maintien de certaines lignes.
En conclusion, ce dispositif aurait le mérite :
1) de maintenir l’unité du réseau ;
2) de maintenir un lien fort entre infra et utilisateurs (SNCF transporteurs privés, régions) par le biais du conseil d’administration et de faire de RFF un outil au service de ses utilisateurs ;
3) d’assainir les finances du système ferroviaire ;
4) de financer les infrastructures nouvelles ;
5) de mettre tous les acteurs face à leurs responsabilités, dont notamment les régions, qui veulent des TER, mais qui ne veulent pas payer l’infrastructure.
Je n’ignore pas que le contexte économique actuel, que le cadre juridique national et européen rendent difficile la mise en œuvre d’un tel projet.
Je n’ignore pas non plus qu’un tel projet provoquerait des levées de bouclier à gauche comme à droite, en raison de son coût (mais l’Etat a-t-il le choix ?), ou en raison de la privatisation partielle et de la fermeture des lignes à faible trafic.
Mais il faut bien avoir conscience que, si l’on souhaite développer en France et en Europe le transport ferroviaire, des mesures justes doivent être appliquées avec courage, détermination et fermeté.