Pourquoi le capitalisme tel que nous le connaissons survivra
Mon but n’est point de faire l’éloge ou la diatribe du capitalisme.
Je m’attache aux faits positifs, à décrire et analyser le monde tel qu’il est.
Dans cet article, j’énonce une proposition qui comporte en elle même la possibilité de sa réfutation : « le capitalisme survivra tel qu’il est à cette crise ».
Ainsi, je vous demande de ne pas exprimer un jugement de valeurs mais de considérer la proposition avancée telle qu’elle est.
« Le bonheur ne se trouve pas dans la seule possession de biens, il se trouve dans la joie de la réussite, dans le plaisir de l’effort créateur. La joie et la stimulation morale que procure le travail ne doivent plus être oubliées dans la recherche effrénée de profits évanescents […]
Reconnaître la fausseté de la richesse matérielle comme critère du succès va de pair avec l’abandon de la croyance erronée selon laquelle les responsabilités publiques et les hautes positions politiques n’ont de valeur qu’en fonction de l’honneur et du bénéfice personnel qu’on en tire.
Et il faut mettre fin à ce comportement du monde de la banque et des affaires qui a trop souvent donné à une confiance sacrée l’apparence d’un méfait cynique et égoïste. Il n’est guère étonnant que la confiance dépérisse, car celle-ci ne prospère que sur l’honnêteté, l’honneur, le respect des obligations, la protection fidèle et l’exercice altruiste »
Ces belles paroles auxquelles nous ne pouvons que donner notre agrément ne viennent ni d’une figure de proue du mouvement anticapitaliste ni des hérauts de la cause écologique.
Ces mots ont été prononcés par Franklin Delano Roosevelt dans son discours d’investiture à la présidence à Washington le 4 mars 1933. Le parallèle entre la crise des années 1930 et la récession que nous connaissons actuellement est un gisement épuisé sur lequel nous ne nous aventurerons pas ou très peu.
Ce qui m’intéresse en l’occurrence, ce sont les annonces de l’effondrement du capitalisme ou de l’avènement d’une ère nouvelle. Noreena Hertz, grand ponte de l’université de Cambridge, nous annonçait dans un article publié dans le Times et traduit par Courrier International dans son hors-série sur une vie meilleure, que le temps de l’individualisme est révolu, le « capitalisme gucci » (une marque de produits de luxe) devant céder la place au « capitalisme coopératif ». Je n’ai absolument aucune hostilité contre l’idée d’un tel capitalisme avancée par le professeur Hertz, et là n’est pas le débat, nous ne jugerons pas son caractère normatif mais positif. Nous verrons si sa prédiction est juste ou non.
Pour résumer de manière très concise l’article en question, selon l’auteur, le « capitalisme gucci » apparu dans les années 80 sous l’impulsion des politiques « ultra-libérales » de Mme Thatcher, premier ministre conservateur du Royaume-Uni de 1979 à 1990, et de M. Reagan, président républicain des Etats-Unis d’Amérique de 1980 à 1988, dont « Bernard Madoff s’en est fait la figure de proue », est responsable de la crise.
C’est en ces termes que Noreena Hertz résume sa conception du « capitalisme gucci » :
« C’était une époque où il était moins honteux de crouler sur les dettes que de ne pas posséder le dernier modèle de chaussures Nike ou de sac à main Gucci [La fameuse marque de luxe, symbole de la décadence capitaliste pour l’auteur]. Dans ces conditions, il n’est guère surprenant que les autorités de tutelle aient été trop faibles, les banquiers trop puissants et les mécanisme de contrôle inexistants. Ni que le château de cartes ait été voué à s’effondrer. Le capitalisme Gucci ne reposait pas sur des valeurs réelles [souligné par moi même]. Et l’on ne s’étonnera pas non plus qu’il soit dénoncé tant par la droite que par la gauche ».
Bien que les deux tiers d’un siècle se soit écoulé entre ces deux discours, les thèses énoncées sont sensiblement identiques. Le système capitaliste sans valeurs, responsable de la crise économique, fondé sur le profit et le superflu, s’écroule et va laisser la place à un nouveau capitalisme plus responsable. La définition du capitalisme coopératif par Mme Hertz est floue voir même inexistante, elle se laisse happée par son jugement de valeur oubliant d’expliquer comment le capitalisme coopératif va s’ériger et à quoi il devrait ressembler.
A la fin de l’article, elle envisage néanmoins son paradigme comme un « un système plus équitable, étroitement surveillé, qui favorise la justice sociale et le développement durable. J’espère que nous choisirons d’acheter non plus chez Gucci mais à la coopérative. ». Décidément, on se demande ce que cette marque de luxe a bien pu lui faire. Ce capitalisme coopératif ressemble bien sur étrangement au monde plus juste que F.D.Roosevelt appelait de ses propres veux et qui annonçait déjà des mesures pour éviter que l’histoire ne se répète :
« Dans nos efforts visant à une reprise de l’emploi, nous aurons besoin de deux garanties contre le retour des maux de l’ordre ancien. Il faut un stricte contrôle de toutes les activités bancaires, de crédits et d’investissement. Il faut mettre fin à la spéculation avec l’argent des autres, et prendre des dispositions pour mettre en place une monnaie disponible en quantité suffisante mais solide ».
Dans la droite ligne de ce principe énoncé, fut voté le Banking act en juin 1933 qui sépara les banques de dépôt pour le crédit à court terme et les banques d’affaires pour les prêts à long terme. Une interdiction formelle pour les banques de prendre une participation directe dans les entreprises était énoncée et un système d’assurance fut instauré pour garantir les avoir des petits et moyens détenteurs de comptes, dont l’épargne alimente près de la moitié des dépôts bancaires.
Cette loi ne mit point un terme aux spéculations et le décloisonnement des marchés bancaires fut finalement adopté sous la présidence de Bill Clinton (1992-2000) pour permettre la conversion de l’épargne disponible à cour terme en prêts à long terme, principale activité des banques, vitale puisqu’elle met en relation les besoins et les capacités de financement.
De plus, nul besoin d’être un grand historien l’économie pour savoir que les États-Unis sont devenus dans les années 50 le symbole de la consommation de masse, devenant l’icône du capitalisme mondial dont le profit constitue la clé de voute.
La dépression des années 30 fut sans aucun doute la crise économique la plus grave du Xxe siècle avec un effondrement de plus de moitié du revenu national américain et un quart de la population active au chômage, on constata des effets similaires en Europe.
Auparavant, le capitalisme traversa des crises à répétition, signes de son implantation hasardeuse. Dans ce contexte, Marx (1818-1883) écrivit que les contrecoups de l’activité capitalistes ne cesseraient de croître, confirmant alors son hypothèse de la baisse tendancielle du taux de profit. Après, la seconde révolution industrielle de 1850 qui entraina l’Europe dans un véritable âge d’or, les économies européennes connurent alors leur première crise systémique en 1873 qui les plongea dans la « grande dépression ». Vingt-deux années de marasme économique s’abattirent alors sur le vieux continent. La grande dépression trouve ses origines dans une crise bancaire (d’un grande originalité, n’est-ce pas ?) , ce qui la rapproche de la crise actuelle. Le 9 mai 1873, la bourse de Vienne s’écroule littéralement sous le poids de la spéculation provoquant la faillite des banques autrichiennes sous le poids des emprunts hypothécaires (cela ne vous rappelle rien non plus ?). Les établissements financiers du reste du monde sont contaminés à leur tour, créant un climat de méfiance sur le marché bancaire. Les prêts bancaires furent alors considérablement restreints, ce qui entraina la dépression. Cependant, il serait exagéré de parler de dépression au sens strict du terme pour cette période mais plutôt de récession, au sens d’un ralentissement économique.
Toute allusion à la situation délicate des banques autrichiennes à l’heure actuelle en raison des prêts qu’elles ont contractés aux pays de l’Est serait absolument fortuite.
Le monde sortit profondément changé de cette période, un coup dur fut porté au dogme libéral victorien dominant, l’Allemagne émergea comme une nouvelle puissance industrielle et pour stimuler l’activité économique plutôt morose, les pays européens accélèrent la colonisation.
L’antisémitisme commence à connaître un regain important, le crédo du juif responsable des difficultés économiques commence à devenir porteur.
Ce qui eut des conséquences énormes notamment dans le déclenchement de la première guerre mondiale et par enchainement de cause à effets, de la seconde.
Cependant, les bases du capitalisme bien que vivement critiquée par des mouvements d’inspiration marxiste en pleine ascension, ne furent pas réformées et le système économique survécut à cette épreuve. Les crises ne disparurent pas pour autant : 1902-1904, 1907 et 1911-1913, sans oublier les crises liées à la première guerre mondiale, 1921-1922, crise de reconversion, et 1929, crise boursière qui porta le coup de grâce au fragile équilibre financier du gold exchange standard et du remboursement des dettes de guerre allemandes.
Il ne faut pas oublier que le capitalisme repose sur des cycles à court et moyen terme (Clément Juglard, 1860) et à long terme comme le montra Kondratiev (1892-1938). Cette théorie valut à ce dernier d’être fusillé lors des purges staliniennes pour avoir remis en cause la chute inexorable du capitalisme.
Marx annonçait déjà en son temps la chute du capitalisme, or grâce au processus de destruction créatrice mis en relief par Schumpeter, ce système économique survécut aux pires épisodes de son histoire qui le disposent au bord du gouffre. Le capitalisme est tel le phénix qui renait de ses cendres sous un plumage toujours plus flamboyant. Les activités les moins rentables disparaissent, l’économie devenant alors prête pour un nouveau départ grâce à des entreprises innovantes.
Bien sûr, cela un coût social,comme le montrent toutes les crises. Indiscutablement, des gens sont mis sur le carreau en attendant le retour d’une éventuelle reprise qui ne se traduira pas toujours par un retour à une situation favorable. Dans la théorie générale de l’intérêt, de l’emploi et de la monnaie en 1936, Keynes défendit la nécessité d’une intervention de l’État pour stimuler la demande, espérant ainsi relancer la demande à court terme, endiguer le phénomène du chômage et éviter ainsi un équilibre de sous-emploi. Mais, il s’agit là d’un autre sujet.
Bien que le monde, rongé par le doute, connaisse aussi une crise morale, les changements dans la gouvernance mondiale restent timorés. Certes les G20 manifestent des initiatives de changement mais ce n’est pas nouveau. En 1933, à l’initiative du président américain Hoover, les États-Unis et les pays européens se sont retrouvés à Londres pour réfléchir à une action commune. L’échec fut cinglant, la coopération cédant le pas au nationalisme exacerbé. Heureusement, le contexte n’est pas le même mais les États-Unis refusent toujours toute régulation économique à l’échelle mondiale.
Les chefs d’État pour essayer de montrer qu’ils agissent tant bien que mal, avancent des palliatifs comme la limitation des bonus ou les paradis fiscaux, mais n’osent surtout pas aborder les principes architectoniques du système financier mondial tels les produits dérivés ou la circulation continue des capitaux spéculatifs sans prélèvement. Même si les ménages des pays qui ont un modèle économique du type anglo-saxon arrêtaient de se surendetter pour pallier à la baisse de leur pouvoir d’achat , le capitalisme ne s’en retrouverait pas profondément bouleversé.
Une fois de plus, on assiste à un ravalement de façade accompagnée d’une architecture identique.
Source :
Histoire du Xxe siècle, I, Berstein et Milza
« Une vie meilleure : mode d’emploi », Courrier International, Hors-série n° 2009-3 du 02.10.2009
Pour approfondir sur la crise de 1873 :
1873, la véritable grande dépression, The chronicle, Scott, Reynolds, traduction par Madeleine Chevassus pour contreinfo.
1873, la première crise économique mondiale, Mac Guffin, lepost.fr
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