Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas nationalisé ArcelorMittal ?
Depuis vendredi soir, on connait le dénouement du bras de fer entre Lakshmi Mittal, le patron d’ArcelorMittal, et Arnaud Montebourg, le ministre du redressement productif. Il n’y aura pas de nationalisation du site de Florange ainsi en ont décidé Jean-Marc Ayrault et François Hollande. Il n’y aura pas non plus de plan social, qui devait toucher 630 salariés, et la société s’est même engagée à investir sur le site 180 millions d’euros.
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH189/Arcelor1-47aab.jpg)
En apparence le but principal est atteint, sauver les emplois, mais connaissant la réputation de Mittal à tenir ses promesses, on peut craindre que le réel objectif ne soit que de reporter la fermeture de l’usine au lendemain de la prochaine élection présidentielle (comme l’a fait Sarkozy et d’autres avant lui). On pourra toujours de consoler en se disant que cela fait toujours 5 ans de gagné !
On peut se demander aujourd’hui si la menace de la nationalisation du site menacé était bien réelle, juste un chiffon rouge agité par le gouvernement pour mettre la pression sur le milliardaire indien ou tout simplement un dérapage verbal d’un ministre, Montebourg, qu’on a placé au poste le plus ingrat du gouvernement ; ministre de l’industrie, ce qui par les temps qui courent signifie porte-parole impuissant (puisque les caisses de l’Etat sont vides) des annonces de fermetures d’usines et de plan sociaux. Personnellement j’incline pour la troisième solution car à mes yeux, la solution d’une nationalisation était impossible pour de nombreuses raisons.
Une opération juridiquement et techniquement hasardeuse.
Contrairement à ce qu’affirme de nombreux journalistes, la nationalisation du site de Florange ne peut en aucun cas être comparée aux nationalisations d’une partie de l’industrie automobiles par Obama aux USA ou celles de quelques banques en Europe (En Irlande ou au Royaume-Uni en particulier) pour trois raisons :
1- Accord des deux parties, Etat et société cible. Les General Motors, Chrysler, Anglo Irish Bank, Royal Bank of Scotland, Alstom etc. étaient favorables à une nationalisation par leur Etat, mieux même, ces société ont pris l’initiative de demander cette mesure exceptionnelle. Il faut dire aussi que dans le pack de négociation les représentants de l’Etat s’engageaient à ne pas poursuivre les dirigeants pour d’éventuelles fautes de gestions. Arcelor-Mittal n’est pas demandeur d’une nationalisation.
2- Respect de la souveraineté des Etats. Les Etats ont nationalisé des entreprises dont le siège et les centres des activités et d’intérêt se trouvaient sur leur territoire. Washington n’a pas nationalisé le Japonais Toyota et la franco-belge Dexia n’a pas été nationalisé par l’Etat italien. Le siège social d’ArcelorMittal est au Luxembourg, son principal actionnaire est Indo-britannique, la société est dirigée depuis Londres et le nombre de salariés français ne représente que 8% du total de l’effectif mondial. Si l’idée est de déclencher une guerre diplomatique avec, entre autre, le Royaume-uni et le Luxembourg, c’est la bonne solution.
3- Évidemment la menace brandie pour Montebourg n’est pas une nationalisation totale d’Arcelor-Mittal mais une « nationalisation temporaire » et limitée au site de Florange. Parler de nationalisation temporaire est une démarche hypocrite et un peu fumeuse car tout est temporaire sur Terre, comme si une nationalisation temporaire était un acte moins violent qu’une nationalisation définitive. Les nationalisations de 1945 et 1981 en France furent « temporaires » puisque le plupart des entreprises concernées furent privatisées à partir de 1986 aussi bien par la Gauche que la droite. Et si l’idée est que le site restera propriété de l’Etat jusqu’à ce que celui-ci trouve un repreneur privé, c’est désespérant de naïveté ou de mépris pour l’intelligence des Français ; tant que le site n’est pas rentable aucun investisseur ne se représentera et le temporaire risque de durer.
L’opposition de principe de la Commission européenne et celle des intérêts de 19.400 salariés en France
Que penser d’un nationalisation limitée à un seul site ? Paradoxalement nationaliser un site industriel est beaucoup difficile que de nationaliser une entreprise dans sa totalité et donc tous les sites de production d’un coup.
Prenons l’exemple de Peugeot ; le dernier cours de l’action côte en bourse 4,72 euros et sa moyenne sur les six derniers mois est de d’environ 6 euros. L’Etat pourrait donc, si il jugeait que « la nécessité publique l’exige…et sous la condition d’une juste et préalable indemnité » comme la constitution le prévoit, de nationaliser le lion de Sochaux sur un base de 5 euros par action environ. Chaque actionnaire bénéficierait d’une bonne plus-value par rapport au dernier cours de bourse et tout le monde serait heureux. Par contre nationaliser un seul site, comme celui d’Aulnay, est très compliqué. D’abord comment évaluer la valeur d’une unité isolé qui n’est pas côtée en bourse et ne bénéficie pas donc d’un prix public et marchand reconnu par tous ? Comment gérer les droits d’utilisation des brevets et des marques ? Comment contraindre les autres unités de productions du groupe de continuer à livrer l’usine dans les mêmes conditions qu’auparavant (en terne de prix, de qualité et de volume).
En nationalisant le seul site de Florange(dont « seulement » 600 emplois sont menacés sur 2.000) on en ferait une unité de production orpheline et qui ne pourrait plus bénéficier des avantages d’être intégrée à un grand groupes. Par ailleurs, Arcellor-Mittal emploie 20.000 personne dans l’hexagone. La nationalisation d’une seul unité de production dans l’espoir de sauver 600 emplois environ créait donc une incertitude pour l’avenir de 19.400 emplois. La politique c’est aussi un métier de comptable.
« Les traités ne préjugent en rien le régime de la propriété dans les Etats membres. Par conséquent, il n’existe aucune disposition communautaire interdisant le principe de la nationalisation d’une entreprise. » aiment à rappeler les journaux de gauche en citant une déclaration de 2011 de Joaquin Almunia, le vice-président de la Commission européenne. Ils oublient volontairement de reprendre la deuxième phrase de sa déclaration : « Il convient toutefois de préciser qu’en pareille hypothèse, l’autorité publique procédant à la nationalisation (ou la régionalisation) devrait se comporter comme un investisseur privé en économie de marché tant en ce qui concerne le prix d’acquisition que la gestion de l’entreprise. »
Il est évident que si l’Etat nationalise Florange c’est avant tout pour se comporter non pas en « investisseur privé en économie de marché » mais pour protéger les emplois d’un site.
Un passage en force face à Bruxelles serait-il possible ? Non, car la viabilité du site de Florange est tributaire du projet Uclos, un prototype de captage stockage de CO2 pour réduire drastiquement la pollution de l’industrie de l’acier, dont le financement de 600 millions d’euros reste suspendu au soutien financier de… l’Union européenne . Bruxelles a donc dans ses mains la carottes et le bâton.
L’Etat avait-il les moyens de racheter Florange ?
400 millions d’euros, c’est le coût souvent présenté pour reprendre Florange, évaluation d’ailleurs à prendre avec des pincettes, puisque le propriétaire actuel n’est vendeur que de la partie qui perd l’argent évidemment. Ce montant n’es peut-être pas raisonnable par les temps de crises de la dette et de contrainte budgétaire mais ce n’est pas la mer à boire n’ont plus. C’est 1% de la valorisation de GDF-Suez dont l’Etat détient 37% des parts comme aime à le dire Jérôme Cahuzac, le ministre du budget. Le tour de passe-passe comptable est évident, l’Etat ne se serait pas endetté de 400 millions de plus mais aurait vendu les bijoux de famille. Autre problème, une longue file de canards boiteux était en train de se former devant Bercy ; le chantier naval STX France, la raffinerie Petroplus et surement beaucoup d’autres, à cette allure la participation publique dans GDG-Suez se serait vite réduite comme une peau de chagrin. C’est vrai qu’il reste EDF, France Telecom, Aéroport de Paris et les plages de Normandie. le Mont-Saint-Michel et la tour Eiffel.
Je ne sais pas si Francois Hollande et Jean-Marc Ayrault ont fait le bon choix mais je suis certain qu’il n’y avait pas d’autre choix et de toutes les manière le cœur n’y est plus car plus personne au PS ne croit plus aux vertus du dirigisme étatique. Arnaud Montebourg a-t-il était l’idiot utile peut-être même consentant pour contraindre ArcelorMittal à être plus conciliant lors des dernières phases de négociation ? Peut-être, mais à l’avenir le gouvernement devra trouver un autre subterfuge pour gérer des dossiers délicats qui ne manqueront pas de surgir car ce rôle de flic méchant ne marche qu’une fois.
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