Transparence, tel était le maître mot lors du débat à l’Assemblée nationale sur l’augmentation du traitement du président de la République. Interrogé par Le Monde, le secrétaire d’Etat chargé des relations avec le Parlement, Roger Karoutchi, qui a présenté les crédits des pouvoirs publics et défendu les amendements du gouvernement sur le budget de l’Elysée, a fourni ces indications : de 7 084 euros, l’indemnité mensuelle nette du président de la République passera à 19 331 euros, soit une augmentation de 172 %.
Le bicentenaire de la Cour des comptes a même donné l’occasion à Nicolas Sarkozy de parer de vertu cette augmentation de salaire. Elle s’accomplit dans le cadre plus général d’une "révolution intellectuelle et morale" de l’Etat, qui oblige "à la transparence" et induit "la récompense du mérite et du travail bien fait", a-t-il expliqué. "J’ai voulu que la présidence de la République donne l’exemple"...
Mais la transparence en matière de pouvoir d’achat, c’est à la fois le problème de son augmentation mais aussi celui de son maintien et de la lutte contre son érosion permanente. Car, depuis la suppression de l’échelle mobile des salaires au début des années 80 par le gouvernement de François Mitterrand, le niveau réel des salaires baisse régulièrement en France.
Au
lieu d’envisager de rétablir un système visant à protéger le pouvoir
d’achat, un débat surréaliste s’instaure aujourd’hui sur son
augmentation hypothétique, pratiquement impossible à mettre en œuvre,
compte tenu notamment du "paquet fiscal", contenu dans la loi en faveur du Travail, de l’Emploi et du Pouvoir d’Achat (TEPA), votée en 2007 par la majorité présidentielle UMP et Nouveau Centre au profit des couches sociales les plus favorisées. Dans
certains cas aujourd’hui, c’est l’Etat lui-même qui rembourse
directement les contribuables les plus riches : 563 millions d’euros
seront ainsi versées à 18 000 personnes bénéficiant des dernières
dispositions du bouclier fiscal, d’après le SNUI (Syndicat national
unifié des impôts).
Des mesures insignifiantes pour augmenter le pouvoir d’achat...
Lors du passage à l’euro en 2000, Laurent Fabius notamment avait juré ses grands dieux que le gouvernement serait très vigilant sur l’évolution des prix et que le passage à l’euro n’aurait aucun impact...
En juin 2004, Nicolas Sarkozy avait promis une baisse des prix dans les supermarchés grâce à un accord avec les patrons de la distribution et des grandes marques : promesse d’une baisse de 2 % en 2004 et de 1 % en 2005 sur de nombreux produits !
Or, la revue de défense des consommateurs Que Choisir ? mène depuis 4 ans une enquête et a constaté une augmentation des prix de 12,2 % sur 47 articles de grande consommation... C’est l’effet "euro" !
La hausse du pouvoir d’achat par la volonté de la grande distribution de baisser les prix relève carrément de l’escroquerie politique. Comment croire que les distributeurs peuvent protéger le pouvoir d’achat des consommateurs alors que leur premier souci de commerçants et l’exigence de leurs actionnaires les conduisent à ne protéger que leurs marges ?
Comment croire que le débridement effréné de la concurrence entraîne une baisse des prix ? L’exemple du numéro des renseignements 12 devenu 218 suffit à démontrer que cette libéralisation sauvage crée une jungle des prix préjudiciable aux consommateurs. L’exemple de la distribution de l’eau nous montre aussi que la concurrence peut mener à la surfacturation organisée et à l’entente illicite sur le dos des consommateurs.
Autre plaisanterie du président de la République : le dernier projet de loi sur le pouvoir d’achat, adopté définitivement le 31 janvier 2008 par le Parlement, prévoit notamment pour les salariés la possibilité de convertir certaines journées de repos en argent et la monétisation des comptes épargne temps (CET).
Sous le prétexte de permettre aux salariés de "travailler plus pour gagner plus", le salarié pourra renoncer, en accord avec son employeur, à tout ou partie des journées ou demi-journées de repos acquises avant le 31 décembre 2009 au titre de la RTT. En contrepartie, la rémunération du salarié sera majorée d’au moins le taux applicable à la première heure supplémentaire dans l’entreprise, soit 25 % à défaut d’accord collectif fixant un taux différent. Le salarié disposant d’un CET pourra demander à l’employeur d’utiliser les droits affectés sur son compte au 31 décembre 2009 pour compléter sa rémunération.
Des millions de salariés vont ainsi pouvoir "travailler plus pour gagner plus" mais en renonçant à leurs congés !
Mais si le pouvoir d’achat s’érode chaque année, c’est aussi parce que les cotisations sociales n’ont cessé d’augmenter au fil des années pour les salariés comme les employeurs certes, sauf que ces derniers se sont rattrapés sur les salaires nets qui ont faiblement augmenté, voire stagné ou régressé. Depuis l’entrée en vigueur des 35 heures en particulier, les salariés ont certes gagné une réduction du temps de travail (seul aspect positif des lois Aubry) mais leurs conditions de travail se sont dégradées et un gel des salaires sur plusieurs années a été observé dans la plupart des entreprises.
Sans compter trois nouvelles franchises médicales en vigueur depuis le 1er janvier 2008 (50 centimes d’euro par boîte de médicament, 50 centimes pour chaque acte paramédical, et 2 euros pour chaque recours à un transport sanitaire) qui viennent s’ajouter aux divers forfaits déjà existants (forfait d’1 euro sur chaque consultation ou acte médical, forfait hospitalier de 16 euros par jour, participation de 18 euros pour les actes médicaux dits "lourds", ticket modérateur à la charge de chaque assuré social, déremboursements fréquents de nouveaux médicaments, etc.).
Des nouvelles recettes certes pour le régime général de la Sécurité sociale mais ces différents forfaits ponctionnent fortement le pouvoir d’achat des salariés, en particulier celui des plus modestes et aggravent une fiscalité indirecte déjà très lourde en France (80% du budget de l’Etat est aujourd’hui financé par les impôts indirects...) en creusant toujours plus les inégalités sociales.
Ce
recours à la fiscalité indirecte, mettant à contribution de la même
façon les personnes les plus aisées comme les plus modestes, constitue
pour Nicolas Sarkozy et sa majorité présidentielle UMP-Nouveau Centre la solution principale
pour régler les problèmes budgétaires. C’est sans doute elle qui sera
utilisée encore, après les élections municipales, pour éviter que le
déficit du budget de la France ne s’aggrave davantage. C’est celle qui
risque d’être utilisée pour compenser la fin des recettes publicitaires
sur les chaînes publiques. C’est celle enfin qui est utilisée par les
collectivités territoriales pour faire face au désengagement de l’Etat
puisque les "impôts locaux", impôts indirects significatifs et de plus
en plus lourds, n’ont jamais été intégrés à l’impôt progressif
républicain par aucun gouvernement de droite comme de gauche...
L’indice des prix INSEE à réformer mais jamais réformé...
Le pouvoir d’achat des salariés est d’autant plus difficile à maintenir que l’indice officiel des prix à la consommation ne reflète pas la réalité (+ 2,5% pour l’indice des prix, hors tabac, pour l’année 2007).
Si pour les statisticiens de l’INSEE, la hausse du pouvoir d’achat est toujours légèrement positive, c’est parce qu’elle concerne la masse des revenus reçus par les ménages, et non chaque revenu pris individuellement. Le revenu moyen des ménages ne correspond ainsi à aucune réalité socioprofessionnelle et n’est qu’une simple moyenne mathématique.
Cet indice ne dit rien, par exemple, de la fiscalité qui augmente largement plus que l’inflation ! Il ne dit rien en matière de consommation, quand un nouveau produit est mis en vente, l’augmentation de prix par rapport au produit ancien n’est pas intégré dans l’indice ! Il n’a jamais intégré l’augmentation des prix camouflée par les "arrondis" opérés nettement à la hausse, notamment après le passage à l’euro et par un blocage ou une diminution des salaires, liés au passage aux 35 heures.
Aujourd’hui, lors de toutes les négociations salariales, les directions d’entreprise et l’Etat s’appuient sur le chiffre officiel de l’inflation pour négocier comme d’habitude à minima. Au final, la plupart des accords d’entreprise débouchent sur des augmentations inférieures à l’indice INSEE, lui-même déjà sous-évalué !
Et, comme le rappelle justement le CERC (Centre d’études des revenus et des coûts), il n’est guère étonnant, dans ces conditions, qu’une forte impression de régression prédomine car la perte nette de pouvoir d’achat est largement supérieure à la (faible) hausse du salaire net moyen, calculée par l’INSEE.
Cette situation est particulièrement dramatique pour 40% des salariés qui voient, en plus chaque année, leur salaire individuel baisser pour d’autres raisons comme la variation de leur durée de travail ou le déménagement pour des raisons professionnelles, la hausse des loyers étant extraordinairement forte.
L’indexation automatique des salaires : seule solution pour protéger le pouvoir d’achat
En 1983, Jacques Delors, ministre de l’Economie et des Finances, décida de deux plans d’austérité et le pouvoir d’achat des salariés commença dès lors à diminuer régulièrement, l’échelle mobile des salaires ayant été supprimée sans pour autant que le chômage diminue.
Il convient aujourd’hui de stopper cette érosion continue et de réintroduire un système d’indexation des salaires à l’indice des prix car, même si elle est plus faible aujourd’hui que dans les années 80, l’inflation touche en priorité les salariés et les couches sociales les plus fragiles.
En Europe, il n’y a plus que deux pays où l’on trouve encore une indexation automatique des salaires : la Belgique et le Luxembourg où les salaires et les allocations sociales (soins médicaux, prestations de la CPAM ou de la CAF, pensions, rentes accidents du travail et maladies professionnelles, indemnisations des personnes handicapées, indemnisations chômage, etc.) sont adaptés automatiquement en fonction de l’évolution des prix.
Dans d’autres pays, des systèmes compensant les pertes de pouvoir d’achat existent bien mais ces mécanismes n’ont pas un caractère automatique. En Allemagne ou aux Pays-Bas par exemple, les syndicats doivent négocier systématiquement pour compenser la perte de pouvoir d’achat subie depuis les négociations précédentes à la suite de l’inflation.
Le but de l’indexation automatique est donc de maintenir autant que possible le pouvoir d’achat des revenus du travail et des allocations sociales. Contrairement à ce que disent ses détracteurs, elle ne favorise pas l’inflation car elle est basée sur des faits qui ont déjà eu lieu et sur l’évolution réelle des prix qui s’est déjà produite au cours du ou des mois précédents.
De plus, elle favorise une solidarité automatique entre les travailleurs des secteurs forts et ceux des secteurs faibles ainsi qu’entre les travailleurs actifs et inactifs. Elle est un facteur de stabilité sociale : les négociations salariales peuvent se concentrer sur l’augmentation réelle des salaires, puisque l’indexation automatique garantit la compensation de la baisse du pouvoir d’achat. C’est également un facteur de stabilité économique : le maintien du pouvoir d’achat représente un facteur de maintien de la consommation et donc de la croissance économique.
Si la majorité présidentielle UMP-Nouveau Centre et le PS sont à mille lieues de penser à rétablir une indexation automatique des salaires en France, les grands organismes économiques comme l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) et le Fonds monétaire international (FMI), dirigé aujourd’hui par Dominique Strauss-kahn, tirent aussi à boulets rouges sur l’indexation automatique et plaident pour sa suppression, là où elle existe encore...