Redonner à l’Etat son pouvoir de régulation
François Bayrou nous propose de mettre de la transparence dans l’Etat, dans le rôle des médias. La question qui se pose est : comment y parvenir ? Des modes de régulations puissants existent mais sont peu connus qui permettent d’aller vers cette transparence. On les nomme les « safety cases » et ils sont utilisés pour les banques, l’industrie chimique et le monde offshore, notamment par les anglo-saxons... et la Commissiion européenne avec Bâle II et Reach. Alors pourquoi pas en France pour aider à la réforme des comportements des entreprises et de l’Etat ?
Dans les années 80, les Anglaise et les Norvégiens ont mis en oeuvre un nouveau mode de régulation de la gestion des risques pour l’expoitation du pétrole offshore en mer du Nord.
Hier les députés européens ont ratifié le traité Reach sur les substances chimiques.
Depuis le 1er janvier 2007, Bâle 2 est actif pour toutes les banques européennes et plus largement du G10.
Quel lien existe-t-il entre le pétrole offshore, Reach et Bâle 2 ?
Réponse : ils obéissent tous les trois à un nouveau modèle de régulation imposé par le régulateur et à destination des acteurs d’un marché.
Qu’est-ce que cela veut dire ?
Traditionnellement dans les pays latins, aux USA et dans d’autres pays, lorsque le gendarme d’un marché produit un règlement, les acteurs de ce marché doivent obligatoirement respecter la règle, sous peine de se faire sanctionner.
Quand on dit régulateur, on parle aussi de gendarme d’un marché. Pour les banques, le gendarme est la commission bancaire qui est un service de la Banque de France. Pour la bourse, c’est l’ancienne COB qui est devenue l’AMF (autorité des marchés financiers), qui s’appelle la SEC aux USA.
Exemple :
Quand une entreprise décide d’ouvrir une banque, elle doit respecter un règlement et les conditions qui font que le régulateur va lui accorder le droit d’exercer le métier de banquier. De la même manière que chacun de nous passe son permis de conduire pour avoir le droit de circuler sur les routes...
Depuis des années, les régulateurs édictent des règles qui doivent être appliquées par les acteurs du marché. Depuis des années les régulateurs font évoluer leurs règles parce que soit les acteurs ne les respectent pas ou plus, soit elles ne sont plus adaptées.
Du point de vue du régulateur, une règle sort et doit être appliquée, mais le plus souvent, dés qu’elle est sortie, elle devient preque caduque.
Du point de vue des acteurs, savoir qu’on doit respecter une règle implique que cette règle possède des limites. Chercher les limites de la règle devient donc un sport. Quelle entreprise accepterait de respecter toutes les règles scrupuleusement, acceptant ainsi de payer plus cher que ses concurrents le fait "d’être plus conforme" ?
Chacun sourit déjà et c’est normal.
Mais en 1982, la plate-forme Piper Alpha a flambé dans la mer du Nord, tuant plus de 180 personnes.
Le régulateur anglais de l’époque fit faire une enquête par l’enquêteur indépendant Lord Cullen, et après la lecture des conclusions, celui-ci décida de changer "de mode de régulation". Dans le jargon on appelle cela les "safety cases".
En quoi ce principe était-il
différent ?
Quand on regarde sur plusieurs années les actions du régulateur et des acteurs du marché, on se rend compte que chaque fois que le régulateur édicte une nouvelle règle, les acteurs cherchent à la respecter a minima.
On assiste donc à une escalade où plus le régulateur en rajoute, plus l’acteur invente des nouvelles formes de business, des nouveaux produits qui placent systématiquement le régulateur en retard sur les innovations du marché.
Les régulateurs ont tout essayé : faire des règles plus précises, adaptées au plus près de chaque acteur. Mais rien n’y fait. Au bout d’un moment la réglementation devient si complexe que personne, pas même le régulateur, ne peut se souvenir de toutes ses exceptions et cette règle devient inapplicable.
Que faire alors ?
Le principe des Safety Cases est différent car il envisage la position du régulateur de façon à ce que « quels que soient les choix pris par les acteurs, l’intérêt de ces derniers est de respecter la règle ou alors, ils risquent de subir de grosses amendes pouvant aller jusqu’à l’interdiction d’exercer sur cedit marché.
Comment cela marche-t-il ?
Huit étapes sont nécessaires :
1 Monsieur l’acteur, vous êtes un expert de votre marché et parce que vous êtes un expert, vous connaissez les risques que vous prenez et que vous pouvez faire prendre à vos consommateurs, clients, usagers...
2 Parce que vous êtes même le mieux placé pour savoir quels sont les différents risques que vous prenez, vous allez me décrire (par écrit) comment vous pensez qu’il faut les réduire.
3 Mais je vous impose des prérequis (directives) dans lesquelles j’exige que vous vous inscriviez.
4 Une fois que nous nous serons mis d’accord, vous allez mettre en œuvre ce que vous m’avez dit que vous devez faire.
5 Je garde le droit de vous contrôler quand je le désire. Si vous ne respectez pas ce que vous avez dit que vous alliez faire, je vous sanctionne.
6 Si vous développez de nouveaux produits ou de nouveaux services, de nouvelles activités, vous devez continuer à appliquer le principe de gestion de vos risques, que nous avons définis ensemble pour vos activités actuelles.
7 Si vous n’appliquez pas ce que vous avez décrit et que vous devez mettre en œuvre, je vous sanctionne.
8 Les sanctions vont d’amendes à des pénalités très lourdes qui vont influer sur vos bénéfices et enfin jusqu’à une interdiction d’exercer votre activité sur mon territoire.
Comme nous sommes dans une période où les régulateurs ont tendance à avoir une vision globale, qu’ils échangent entre eux des informations dans le monde entier, la transparence devient un outil très fort de coercition contre les contrevenants. Car l’information de non-respect des règles du régulateur devient une arme a détentes multiples :
Quels sont les choix possibles des acteurs du marché dans cette nouvelle forme de régulation ?
- Refuser de se plier aux exigences = amendes > sanctions > interdiction d’exercer> information connue des marchés financiers qui sanctionnent aussi l’acteur récalcitrant. (Risque de réputation, risque d’image en plus des autres risques sanitaires, financiers...) et avoir à gérer une pression des parties prenantes (consommateurs, « consommacteurs » qui rajoutent au risque d’image ou de réputation qui peut coûter très cher)
-
Ne faire que respecter les règles = stratégie à court terme d’allocation de ressources sur la réduction de leurs risques qui peut les obliger à renouveler ces budgets s’ils n’ont pas été vigilants et proactifs. Car le régulateur dans sa nouvelle position devient titulaire d’informations qui lui permettent de « benchmarker chaque acteur » en exigent de lui un minimum. Aussi, avoir à gérer une pression des parties prenantes (consommateurs, consommacteurs qui rajoutent au risque d’image ou de réputation qui peut coûter très cher (boycott d’une marque !)
Le respect du principe dans un esprit de proactivité devient le choix le plus rentable dans l’analyse coût/bénéfices que font les acteurs qui ont une vision à long terme, car le plus pérenne, le moins coûteux sur du moyen terme, le moins risqué en termes d’amendes, pénalités, informations négatives qui circulent sur les marchés et auprès des consommateurs.
Il n’est plus possible pour l’acteur de vouloir s’inscrire dans « ce qui n’est pas interdit est autorisé » au risque de se faire sanctionner puisqu’il sortira du cadre instauré par le régulateur.
La négociation des industries chimiques dans leur volonté de limiter à 30 000 produits (100 000 initialement) pour les exigences de traçabilité, de documentation vient de ce mode de régulation au sein des accord Reach.
L’exemple de Reach couvre l’ensemble de l’UE. Si un acteur ne respecte pas Reach, il peut se trouver exclu du marché de l’UE, ce qui devient pour lui un risque majeur inacceptable !
Mais pour toutes les banques, Bâle II, qui émane du comité de Bâl, rassemble les régulateurs de toutes les banques centrales du G10 (USA, Canada, Australie, Japon, UE, Suisse,....)
Ce mode de régulation est responsable, car il contraint les entreprises et les acteurs à une proactivité indispensable au maintien de la rentabilité de leurs opérations. Or, quelle est la motivation réelle d’une entreprise ? C’est de gagner de l’argent. Donc toucher à son modèle économique par les risques qu’elle encourt à cause d’une mauvaise appréhension de sa relation avec son régulateur devient alors un risque majeur pour elle, donc une motivation à changer de comportement...
références : http://csidoc.insa-lyon.fr/these/2006/chantelauve/these.pdf
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