Transformation de bureaux en logements : la solution miracle ?
Cela fait maintenant quelques années que le prix moyen des logements ne cesse de baisser, mais la correction reste faible pour compenser la hausse vertigineuse des années 2000. Pour bon nombre de Français, se loger est un véritable casse-tête, pour ne pas dire une source d’angoisse quotidienne. Quant à acquérir son logement, cela ressemble à un rêve de plus en plus lointain.
Pour affronter cette crise du logement, les hommes politiques souhaitent transformer des bureaux vides en logements notamment en région parisienne. Est-ce une solution viable ? Comment passer des idées à l’action ?
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Le problème de fond : la concentration de l’activité économique
Transformer des bureaux en logement est une intention louable, aucun doute là-dessus. Le hic, c’est que le problème est encore une fois pris à l’envers. Au lieu de repenser la carte de France en coloriages administratifs, nos dirigeants seraient bien inspirés de considérer les gisements de bien-être que recèle la province. A force de tout miser sur la seule région francilienne et d’y entasser toujours plus de population, on aggrave le problème au lieu de le résoudre. C’est bien simple, plus on construit en Ile-de-France, plus on affaiblit le reste du territoire. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que ces constructions contribuent à la désertification des autres régions alors qu’elles ne résolvent pas pour autant le mal-logement en région parisienne.
Il est navrant de constater que nos élus ne sortent pas du schéma de la centralisation parisienne alors qu’il existe des centaines de milliers de logements en province qui n’attendent que de revivre. Les réseaux routiers existants pourraient absorber sans problème les nouveaux arrivants. Le nouveau gribouillage de la carte de France, avec moins de régions, ne semble pas prendre le chemin d’une décentralisation réelle.
En effet, un nouvel échelon vient s’ajouter au millefeuille administratif, en région parisienne, avec la nouvelle Métropole Grand Paris (MGP), créée en début d’année, et qui ressemble d’ores et déjà à un outil de placement pour les professionnels de la politique. Le député-maire de Versailles donne sa vision à propos de la MGP.
Les magouilles et les batailles politiques pour le pouvoir tournent déjà à plein régime, les seuls bénéficiaires de la MGP étant encore une fois les politiciens, sans métier réel. Ces postes grassement rémunérés par nos impôts ne servent pas l’intérêt général, uniquement le leur.
La MGP pousse encore plus les communes où seront installées les gares du grand Paris à construire des surfaces de bureaux, comme le mentionnait déjà, l'été dernier, un article de La Tribune,
Il faut une vraie dynamique de l’Etat et qu’une réelle décentralisation opère. Déménager certains ministères ou services en régions enverrait un signal fort. Accompagné par des incitations fiscales pour les entreprises, le mouvement serait sans doute durable et bénéfique pour tous les territoires. Des bassins d’emplois se développeraient partout, de manière équilibrée. Que risque-t-on à essayer cette piste ? Peut-on se satisfaire des politiques menées depuis des décennies et qui aboutissent, toutes catégories confondues, à plus de 6 millions de chômeurs ?
Parier sur les innombrables ressources et l’attractivité de chaque région me semble plus opportun que de tout miser encore une fois sur l’Ile-de-France.
Le problème des bureaux en région parisienne : est-ce une fatalité ?
Même si, pour moi, l’avenir passe par les régions, on ne peut pas nier le problème des bureaux en Ile-de-France, d’autant plus qu’ils poussent comme des champignons. Cet article du Monde de novembre 2013 met déjà en relief la situation paradoxale des constructions. Ainsi, la construction de bureaux est de deux à trois fois supérieure aux besoins réels quand celle des logements est au moins deux fois inférieure à la demande.
Sans remettre en cause la construction de bureaux, nécessaire jusqu’à un certain point, un problème plus évident se pose : des programmes entiers qui sortent de terre et qui restent vierges de tout locataire. Et ce, des années durant.
C’est ce genre de gâchis qu’il convient d’éviter en le pénalisant financièrement. Il faut garder deux chiffres à l’esprit : l’Ile-de-France compte pour 25 % des mal-logés en France, soit quasiment 1 million de personnes concernées. Et on continue d’y construire des bureaux…
Il devient nécessaire que toute construction réponde à un vrai besoin. On ne peut plus se permettre de perdre du foncier au profit d’intérêts occultes. Un système de bonus/malus doit être considéré afin que les constructions collent au plus près de la demande de logements.
Certains bien-pensants trouveront peut-être cette démarche illégitime, mais n’oublions pas que l’Etat n’hésite pas à taxer très lourdement les propriétaires de terrains constructibles sur les zones tendues, terrains souvent détenus par de simples particuliers. Pourquoi n’en irait-il pas de même pour les immeubles de bureaux vides ? Deux poids, deux mesures ? Le même sort doit être réservé aux bureaux vacants du fait de leur vétusté et qui n’ont plus de locataires depuis plusieurs années. La mise en place d’un quota maximum de bureaux par commune et par territoire pourrait réguler les penchants mégalomaniaques de certains maires. Toute nouvelle construction ne pourrait se faire sans la destruction, ou la transformation, d’anciens bâtiments de bureaux en logements.
Transformer les bureaux vides en logements : une utopie ?
La transformation de bureaux en logements ne doit pas être envisagée comme la panacée. Ce n’est pas la transformation de bureaux en logements qui résoudra à elle seule le problème du logement en région parisienne. C’est une variable parmi d’autres qui mérite néanmoins qu’on s’y attarde. L’APUR a étudié la transformation de bureaux en logements à Paris de 2001 à 2012 et il en ressort qu’en moyenne annuelle, 400 logements ont été créés grâce à ce système.
Si on rapproche ces chiffres de transformation de ceux de la DRIEA, on constate que ces transformations sont loin d’être anecdotiques car elles représentent entre 8 et 17 % des constructions de logements neufs autorisées annuellement à Paris.
La transformation de bureaux en logements représente une source non négligeable de création de logements à Paris, mais aussi en région parisienne car les bureaux vides en première couronne pullulent.
Tout le monde ne partage pas cet avis, les cassandres évoquant une fausse bonne idée et préférant égrener les freins qui rendraient ces opérations impossibles.
En matière de logements, nous sommes loin d’avoir tout essayé. Pourquoi vouloir exclure la transformation des bureaux de la liste des solutions ? Le gisement de bureaux vides complètement vétustes est important, alors pourquoi s’en priver ?
Quels sont les freins avancés pour ne pas transformer ces bureaux ?
Argument favori des détracteurs : la rentabilité financière de telles opérations, faible, voire inexistante, selon eux.
Voici quelques exemples des freins qui compliqueraient ce type d’opération, toujours selon les cassandres :
- Les délais de libération des locaux et la multiplicité des locataires qui rendent difficiles les opérations.
Quand l’idée de transformation des bureaux est mise sur la table, on parle de bureaux rendus invendables car vides de tout locataire et impliquant des travaux substantiels. Pourtant, certains « experts » n’hésitent pas à inventer des problèmes qui n’en sont pas. On peut se demander quelle est la rentabilité de conserver des immeubles vides, sans locataire. A moins que bloquer le foncier fasse partie du jeu pour maintenir les prix délirants du marché immobilier résidentiel…
- Les recours sur les permis de construire qui gonfleraient les coûts.
Les recours sur les permis concernent aussi bien les créations ex nihilo que la transformation de bureaux en logements. Des coûts supérieurs, sans doute, mais aucune différence par rapport à la création d’un programme neuf supportant le même risque de recours. Peut-être est-ce même moins risqué car, dans le cas des programmes neufs, la faune ou la flore locale (espèces protégées) peuvent constituer un motif de blocage légitime, ce qui ne sera pas le cas concernant la rénovation d’un bâtiment déjà existant.
- Le pourcentage de logements sociaux trop élevé qui compromettrait la rentabilité.
La nécessité de réserver 25 % de logements sociaux, dans chaque programme de transformation, constituerait un facteur de perte financière, d’après les cassandres. Selon l’ORIE, les logements locatifs sociaux, identiques aux logements classiques ne se vendent pas plus de 3640 €/m² contre une moyenne de 8000 à 15000 €/m² pour les logements neufs aux prix déplafonnés.
Cet article du Moniteur montre pourtant cinq exemples de transformation de bureaux réussis en plein Paris.
Un autre exemple, avec la transformation à Courbevoie de l’ensemble SKY, 22 000 m² de bureaux anciens.
Même si Philippe Jossé, directeur général de Cogedim, évalue les coûts de rénovation à 2000 € le m² contre 1600 à 1700 € en programme neuf sur terrain nu, l’opération s’est réalisée et la rentabilité a été au rendez-vous. Autres avantages, les nuisances et la pollution dues au chantier sont moindres. Gros plus de cette restructuration : la hauteur des 15 étages n’aurait pas pu être conservée dans le cas d’un nouvel ensemble. On maximise donc les surfaces à vendre, ce qui améliore la sacro-sainte rentabilité.
Les opérations rentables existent également en province, où les prix de revente seront plus faibles qu’en région parisienne alors qu’il n’y aura pas de grosse différence sur les coûts de construction.
La réhabilitation d’un ancien centre de tri de la Poste à Tours est une réalisation qui mêle harmonieusement bureaux et logements, incluant des maisons de ville sur le toit… avec piscine ! L’immeuble est à énergie positive et respecte la prochaine RT 2020 ! Prix de vente entre 2500 et 3600 € le m². Qui a dit que ce n’était pas rentable ?
- La perte de surface qui passerait de l’ordre de 95 % pour des bureaux tertiaires à environ 80 % pour du logement, du fait de cloisonnements plus nombreux et de la multiplication des surfaces communes, avec comme exemple cité les surfaces en sous-sol dédiées aux archives que l’on ne peut pas recycler en logements.
Cet argument contredit totalement le point suivant. Cela étant dit, les surfaces d’archives ne sont pas totalement perdues puisqu’elles peuvent être transformées en caves, pièces techniques, etc…
- Emplacement près des axes routiers et autoroutes
Là, on nage dans le cynisme le plus total… Des programmes de logements neufs, qui poussent près des échangeurs autoroutiers, sous des lignes à haute tension, en pleines zones industrielles, j’en connais quelques uns dans des communes de l’Essonne ou des Yvelines. Encore en chantier ou qui viennent d’être achevés…
- La technicité des opérations
Certes, transformer des bureaux en logements exige une bonne dose de technicité. Cela demande aussi de la créativité, de la recherche et de l’innovation. Tous ces défis sont l’apanage des architectes et des urbanistes pour rendre les villes plus en phase avec leur époque. Donc, oui, c’est technique, mais les exemples de transformation proposés ci-dessus relevaient eux-mêmes d’une grande complexité.
Finalement, le soi-disant manque de rentabilité des transformations est basé sur des chiffres arrangés
Cet article du journal Les Echos, de mars 2014, explique parfaitement « l’arnaque » sur le montant des loyers. Entre les loyers affichés et ceux qui sont réellement payés par les locataires, la différence peut atteindre 35 % !
L’opacité est totale sur les statistiques concernant l’immobilier de bureaux. Les chiffres sont fournis par ceux qui les commercialisent. Un conflit d’intérêt évident sachant que si on communique sur les vrais chiffres des loyers, le signal envoyé est le suivant : l’immobilier de bureaux n’est pas aussi rentable qu’on s’époumone à le dire.
De cette façon, on entretient l’illusion que l’immobilier de bureaux est un secteur rentable, qui ne connaît pas la crise et qui demeure beaucoup plus performant que le logement.
Les calculs de rentabilité pour les opérations de transformation de bureaux sont basés sur les loyers affichés et non sur les loyers réels. A partir de là, tout est dit.
L’Etat, si prompt à intervenir à tout crin sur le marché immobilier résidentiel, ne trouve rien à redire sur ces pratiques douteuses. Qu’attend-il pour taper du poing sur la table et faire quelques exemples avec les tricheurs ? Serait-il complice ou bénéficiaire de ces agissements ?
Conclusion
Des millions de personnes ont de plus en plus de mal à se loger, alors stop aux beaux discours feutrés et place au concret et à l’action.
Dans le cas particulier de la transformation de bureaux en logements il reste plusieurs problèmes à régler :
- Mettre un terme au double discours politique (dire d’un côté qu’il y a trop de bureaux et, de l’autre, autoriser les permis de construire pour de nouveaux ensembles de bureaux ou refuser des permis de construire pour des opérations de transformation, par exemple).
- Construire des bureaux avec des bâtiments réversibles et facilement transformables en logements. Vinci a présenté dernièrement un bâtiment évolutif, 20 % moins cher à construire qu’un immeuble standard. Ce type de construction doit devenir la norme pour tous les projets de construction de bureaux. Cette démarche évitera de se demander à l’avenir si, oui ou non, on doit transformer des bureaux en logements.
- Encourager la construction de logements en taxant plus lourdement celle de bureaux. Pénaliser la détention de bureaux vides pour que les propriétaires vendent ou réalisent les opérations de transformation en partenariat avec des organismes publics pour les soutenir.
- Stopper impérativement la centralisation parisienne. Il faut arrêter de parler de décentralisation et l’appliquer réellement. Déménager un maximum de services étatiques en province pour libérer du foncier et transformer, si besoin, ces locaux en logements.
Le mal-logement n’est pas une fatalité. L’Etat a les moyens d’agir en appliquant, enfin, la décentralisation et en arrêtant les discours de faussaire. Parce que derrière les statistiques, les chiffres et les beaux discours, il y a des êtres humains. Des êtres humains qui, avec ou sans dents, se retrouvent de plus en plus sans vrai logement.
Laurent CRIADO
Site Internet : guidepratiqueachatimmobilier.com
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Crédit photo Brux - Fotolia
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